Article extrait du Plein droit n° 26, octobre 1994
« Une protection sociale en lambeaux »

Cancers professionnels : le Conseil d’Etat stoppe la dérive des pratiques

Annie Thébaud-Mony

 

Dans un arrêt du 10 juin 1994, le Conseil d’État a donné raison au GISTI, à la FNATH (Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés), à l’ALERT (Association pour l’étude des risques du travail) et à la CGT en annulant une disposition d’un tableau de maladie professionnelle contraire au principe de présomption d’imputabilité.

Principe fondateur de la législation française [1] sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la présomption d’imputabilité suppose qu’est reconnue comme maladie professionnelle la pathologie inscrite sur la liste des maladies professionnelles indemnisables lorsque la victime a été exposée professionnellement aux risques figurant dans le « tableau de maladie professionnelle » correspondant. Ceci signifie que la victime n’a pas à prouver la relation de causalité entre sa maladie et son exposition professionnelle, dès lors que la pathologie présentée et les travaux effectués sont conformes aux conditions strictes énoncées dans le tableau.

Or, la disposition litigieuse (tableau 16 bis) indiquait que le cancer « devait être reconnu en relation avec les goudrons de houille, brai de houille ... ».

Cette disposition a été annulée par le Conseil d’État. Désormais, les personnes qui présentent un cancer broncho-pulmonaire primitif et qui ont été exposées, dans leur travail, aux goudrons ou huiles de houille, pourront prétendre à indemnisation au titre des maladies professionnelles.

Le GISTI s’est associé à ce recours eu égard à l’importance, pour les travailleurs étrangers, des expositions professionnelles aux risques en cause, en particulier dans la sidérurgie.

Les cancers liés aux goudrons et brai de houille, comme la plupart des autres types de cancers professionnels, apparaissent longtemps après la période durant laquelle le travailleur a été exposé. Cela signifie que la maladie peut survenir alors que le travailleur a cessé son activité dans l’entreprise concernée, soit du fait de la retraite soit du fait d’un licenciement. Il est important, quel que soit le moment où se déclenche la maladie, d’engager une procédure de reconnaissance en maladie professionnelle en tenant compte du fait que le délai de latence entre exposition et maladie n’est pas un facteur de rejet de la demande. Les travailleurs concernés peuvent s’adresser aux organisations syndicales ou à la FNATH pour les aider dans leurs démarches.

Le même jour, le 10 juin 1994, le Conseil d’État a également statué sur un litige concernant le tableau n° 30 relatif aux affections liées à l’amiante, et qui opposait une victime et ses ayants droit à la caisse primaire d’assurance maladie de Longwy. En effet, le tableau n° 30 indiquait que le cancer broncho-pulmonaire primitif n’ouvrait droit à réparation que lorsque « la relation avec l’exposition est médicalement caractérisée » .

Là encore, le Conseil d’État a estimé que cette restriction était prise en méconnaissance du principe de présomption d’imputabilité. Cette dernière décision du Conseil d’État, bien que limitée au litige en cause, crée néanmoins un précédent qu’il faudra savoir utiliser dans d’autres situations.

Ces deux décisions portent un coup d’arrêt à la dérive dangereuse qui se fait de plus en plus sentir dans les pratiques des experts et des caisses concernant la reconnaissance des maladies professionnelles. Ce que la délégation patronale à la commission des maladies professionnelles a d’ailleurs fort bien compris ! En apprenant la décision du Conseil d’État, les représentants patronaux ont immédiatement retiré leur accord à un autre tableau de maladie professionnelle concernant les cancers de la vessie associés aux amines aromatiques, qui venait d’être adopté par consensus lors de la même séance de la commission. Depuis lors, les travaux de cette commission sont suspendus.

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Pour les associations qui ont déposé ces recours, les maladies professionnelles doivent demeurer un thème de travail permanent, en particulier en ce qui concerne le respect des règles juridiques. La législation est très restrictive dans son esprit. Les procédures comportent de multiples obstacles pour ceux qui les engagent. Les travailleurs immigrés, là comme dans d’autres domaines administratifs, sont confrontés à des pratiques discriminatoires de la part des institutions chargées de la gestion de la réparation des maladies professionnelles [2].

Il est indispensable de faire connaître ces situations d’injustice qui sont d’autant plus inacceptables qu’il s’agit de préjudices subis dans l’exercice d’une activité salariée et de conséquences d’une non-application de règlements de prévention parfois élémentaires.





Notes

[1La loi d’octobre 1919 sur les maladies professionnelles s’inscrit dans le prolongement direct de la loi de 1898 sur les accidents du travail. Elle ouvre droit à réparation pour une liste limitée de maladies professionnelles pour lesquelles un tableau présente les caractéristiques des maladies et des travaux ou expositions prises en considération. Cette liste fait l’objet de modifications en fonction de l’état des connaissances et de l’évolution du travail.

[2Cf. Plein droit n° 14, « Quel droit à la santé pour les immigrés ? », juillet 1991 (numéro spécial en collaboration avec l’INSERM).


Article extrait du n°26

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Dernier ajout : vendredi 13 juin 2014, 15:23
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