II. Condition de résidence habituelle
Les textes prévoient que le postulant doit, d’une part, justifier en règle générale d’une résidence habituelle en France durant les cinq années qui ont précédé le dépôt de sa demande (art. 21-17 du code civil), d’autre part résider en France au moment de la signature du décret de naturalisation (art. 21-16). La situation de séjour irrégulier fait par ailleurs obstacle à l’acquisition de la nationalité française (art. 21-27).
L’administration invoque parfois l’existence d’un court laps de temps pendant lequel la personne s’est retrouvée sans titre de séjour pour décider que la demande est irrecevable, alors même que cette interruption est due aux pratiques contestables des préfectures et que la durée de séjour régulier exigée par les textes est en réalité remplie (voir infra, III.D- Respect de la législation sur le séjour).
La résidence en France suppose que l’intéressé ait fixé en France, de manière « stable, effective et permanente », le centre de ses attaches familiales et de ses intérêts matériels. Il ne suffit donc pas qu’il séjourne régulièrement en France ni qu’il y soit domicilié : il faut encore, selon la formule consacrée par la jurisprudence, qu’il y ait son « domicile de nationalité ».
La nature du titre de séjour détenu constitue un premier indice de la stabilité ou de la précarité de la résidence en France : d’après la circulaire du 12 mai 2000 – qui n’est plus en ligne sur le site dédié de [1] – un titre de séjour de cinq ou dix ans apportait une « présomption forte » de résidence habituelle, tandis que la possession d’un titre de séjour d’un an est un indice de précarité. Les titulaires d’un titre précaire, tel un visa touristique ou une autorisation provisoire de séjour, ne peuvent être naturalisés.
Au-delà de la nature du titre de séjour, la pratique administrative, confortée par la jurisprudence, tient compte du lieu de résidence de la famille, d’une part, du niveau, de la stabilité et de l’origine des ressources, d’autre part.
Concrètement, pour que la condition de résidence habituelle soit remplie, on exige en général du postulant, sauf cas particuliers :
- qu’il ait la totalité de ses proches attaches familiales – conjoint et enfants mineurs – en France. Dans le cas contraire, il faut que des circonstances particulières le justifient : procédure de divorce, séparation de fait, ou encore caractère temporaire de la séparation, due par exemple à des raisons de santé ou professionnelles. Si une demande de regroupement familial a été déposée mais n’a pas abouti, a fortiori si aucune demande n’a été déposée, l’administration considérera, sauf cas très particuliers, que la condition n’est pas remplie.
- qu’il dispose de revenus personnels et stables lui permettant de subvenir à ses besoins et que la source de ces revenus ou de la majeure partie d’entre eux soit localisée en France.
Ces conditions rigoureuses, qui équivalent à faire de l’insertion professionnelle une condition de recevabilité de la demande, conduisent, dans un contexte de précarisation de l’emploi, à rejeter un grand nombre de demandes émanant de personnes dont l’intégration en France ne fait pourtant aucun doute. Le fait que les ressources proviennent exclusivement ou majoritairement d’aides sociales est aussi un motif fréquemment invoqué pour rejeter ou ajourner une demande.
C’est pour éviter ces conséquences trop rigoureuses que la circulaire du 12 mai 2000 avait prévu certains assouplissements. Elle indiquait par exemple qu’« une insertion professionnelle incomplète peut être compensée par une bonne intégration dans la vie sociale », et que le fait d’être momentanément au chômage ne devait pas être un motif suffisant pour considérer qu’une demande est irrecevable ou pour justifier un ajournement.
La circulaire rappelait également que la prise en charge par un tiers peut être admise dans certains cas : par exemple par le conjoint ou le partenaire avec lequel le demandeur a conclu un pacs, par les enfants pour une personne âgée, par les parents pour les étudiants. Cette dernière hypothèse vise les personnes qui ne sont pas venues France uniquement pour faire des études mais dont la famille y réside durablement. Dans ce cas, la circulaire précisait que les étudiants pris en charge par leur famille résidant en France pouvaient être considérés comme répondant à la condition de résidence habituelle et pouvaient donc solliciter leur naturalisation, alors même qu’ils n’étaient pas encore entrés dans la vie active et n’avaient pas de ressources propres.
Peu appliqués en pratiques, ces assouplissements ont été repris par la circulaire du 16 octobre 2012. Ainsi, s’agissant des jeunes de moins de 25 ans, elle suggère de réserver un « examen attentif » aux demandes de ces jeunes qui bénéficient d’une « forte présomption d’assimilation à la communauté française » dès lors qu’ils résident depuis plus de dix ans en France et y ont été scolarisés de manière continue pendant au moins cinq ans. Elle réserve toutefois l’hypothèse où ils auraient commis « de graves écarts de conduite » témoignant d’une insertion insuffisante.
La circulaire du 21 juin 2013 – qui n’est pas en ligne – va aussi dans le sens d’un assouplissement de la condition de résidence : tout en rappelant que la stabilité des ressources « constitue un facteur autant qu’une preuve d’intégration », elle demande « de ne pas faire des périodes de chômage ni de la succession de contrats précaires des éléments systématiquement défavorables » mais de s’assurer de « la persévérance manifestée par le postulant pour s’insérer professionnellement et disposer de revenus autonomes ».
Il n’en reste pas moins que le niveau « suffisant » des ressources et l’insertion professionnelle des candidats font encore l’objet d’une appréciation stricte de la part des préfectures, peu enclines à prendre en compte la situation personnelle de ces derniers.
Le cas des étudiants
Compte tenu de l’interprétation donnée de la condition de résidence habituelle en France, l’administration considère a priori qu’un étranger qui séjourne en France en tant qu’étudiant n’a pas en France son « domicile de nationalité » : d’une part, en effet, il est censé regagner son pays à la fin de ses études, d’autre part ses ressources sont en général précaires ou proviennent de son pays d’origine (subsides versés par la famille demeurée au pays).
Mais la circonstance que l’intéressé poursuit des études supérieures ne peut pas, à elle seule, entraîner l’irrecevabilité de la demande. En effet, la qualité d’étudiant n’est plus un obstacle s’il ressort des circonstances de l’espèce que le candidat à la naturalisation a l’intention de se fixer définitivement en France.
La circulaire du 16 octobre 2012 a prétendu clarifier la situation en rappelant que la détention d’un titre de séjour « étudiant » ne devait pas conduire automatiquement à une décision défavorable, dès lors que le postulant justifie d’une « insertion professionnelle avérée ». Elle recommande « d’apprécier avec discernement » certaines situations, en particulier celles des candidats présentant un « potentiel élevé ». Ces directives ont été réitérées dans la circulaire du 21 juin 2013* qui préconise d’examiner « avec ouverture » les demandes émanant de postulants « qui présentent un potentiel manifeste d’employabilité, soit parce que jeunes diplômés ou étudiants de filières d’excellence reconnues, soit parce qu’étudiant ou exerçant dans une spécialité présentant une utilité économique ou scientifique » pour la France.
En pratique, pourtant, à l’exception de situations particulières (étudiants dont les membres de famille sont installés en France, ou « à très haut potentiel »), les étudiants voient leur demande de naturalisation rejetée ou ajournée la plupart du temps, quels que soient leur parcours et leur intégration professionnelle, notamment parce que leurs ressources sont systématiquement considérées comme accessoires et insuffisantes.
Le cas des personnes handicapées
Les personnes handicapées ont été traditionnellement traitées avec une grande sévérité. Même lorsqu’elles sont reconnues invalides, elles se voient opposer l’absence d’intégration professionnelles et/ou de ressources suffisantes dès lors qu’elles ne disposent pour vivre que de l’allocation adultes handicapés (AAH). Les décisions négatives sont en général entérinées par le juge au nom du large pouvoir d’appréciation dont dispose l’administration. Les juridictions relèvent le cas échéant que le fait d’être titulaire de l’AAH n’empêche pas nécessairement d’exercer une activité professionnelle et que, dès lors, aussi bien l’absence d’emploi que le niveau des ressources financières peuvent être opposés aux demandes de naturalisation de personnes bénéficiaires de l’AAH. Ce raisonnement est maintenu dans les cas où leur incapacité à travailler est difficilement contestable en raison du fort taux d’invalidité qui leur est reconnu - ce qui revient à légitimer une discrimination fondée sur le handicap.
La jurisprudence du Conseil d’État témoigne toutefois, depuis 2016 d’un assouplissement qui laisse espérer un changement des pratiques administratives. Il a effet dit clairement que l’administration ne pouvait « se fonder exclusivement ni sur l’existence d’une maladie ou d’un handicap ni sur le fait que les ressources dont dispose l’intéressé ont le caractère d’allocations accordées en compensation d’un handicap, pour rejeter une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française ».
A. La résidence dans les textes
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