Article extrait du Plein droit n° 2, février 1988
« Logement : pourquoi des ghettos ? »

Réveillon en zone internationale

Aéroport d’Orly, le 27 décembre 1987 à 11 heures : trente Capverdiens venus visiter leurs familles installées en France arrivent. Tous sont munis d’un visa consulaire délivré par l’ambassade de France au Cap-Vert. Vingt et un d’entre eux passent la frontière sans difficulté et surtout sans faire l’objet d’aucun contrôle. Puis subitement, les neuf dernières, parmi lesquels une femme et ses deux enfants jumeaux âgés de cinq ans, sont bloqués en zone internationale. Ce sera pour eux le début d’une longue attente dans des conditions de précarité intolérable.

Contraints par la force de rester dans la zone internationale de l’aérogare, sous la surveillance de fonctionnaires dépendant du ministère de l’Intérieur, ils se voient interdire de téléphoner à leur consulat, à leur famille et même à des avocats. Ils sont ainsi parqués dans un hall de l’aérogare sans aucun confort ni intimité, sans lits, sans couverture et livrés à eux-mêmes pour la nourriture.

Les familles qui les attendaient, inquiètes de leur absence à l’arrivée du vol, tentent d’obtenir des informations de la Police de l’Air et des Frontières (PAF), mais sans succès. Elles saisissent alors des avocats et le Consul du Cap-Vert, espérant que ces derniers pourront les informer. Le Consul et les avocats tentent de voir les personnes séquestrées mais ce droit, pourtant prévu par les textes, leur est refusé sans motif.

Plus de quarante-huit heures après leur arrivée en France, aucune décision n’est encore prise et, plus grave encore, le service compétent au ministère de l’Intérieur, la Direction des Libertés Publiques et des Affaires Juridiques, n’est même pas informé.

Mercredi 30 décembre : Après de nombreux appels téléphoniques des avocats au ministère de l’Intérieur, le Consul est finalement autorisé, vers 21 heures, à voir ses ressortissants. Les avocats, eux, se voient une nouvelle fois refuser, sans justification, la possibilité de contacter leurs clients. La femme et ses deux enfants, ainsi que deux des hommes sont libérés vers 20 heures, apparemment très éprouvés.

Jeudi 31 décembre : En fin d’après-midi, les avocats des Capverdiens sont reçus au ministère de l’Intérieur par des collaborateurs du ministre qui leur font savoir que des décisions de refus d’entrée sont susceptibles d’être prises pour les quatre dernières personnes pour des raisons d’insuffisance de ressources et d’absence de garantie de rapatriement.

Les avocats rappellent alors d’une part que le Consul en personne a donné des garanties à ce sujet, d’autre part que les familles offrent de mettre à niveau les ressources et qu’au surplus les intéressés ont des billets de retour. Ils reçoivent l’assurance qu’en cas de refoulement, celui-ci sera opéré le dimanche 3 janvier sur la ligne aérienne qui a conduit les Capverdiens.

Vendredi 1" janvier : Se rendant à l’aérogare, le Consul, les avocats et un membre de Gisti apprennent que les Capverdiens ont été transférés à l’aéroport de Roissy. Ils arrivent sur place à 14 H 30 et, malgré leurs demandes et leurs protestations, ils n’obtiennent pas l’autorisation de les voir.

Ce même jour, à 15 H 35, les Capverdiens sont expulsés et embarqués dans un vol Air France à destination de Dakar.

Toute cette procédure aura été diligentée en violation totale et flagrante des textes. L’article 5-3° de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit que :

  • Tout refus d’entrée doit faire l’objet d’une décision écrite et spécialement motivée d’après les éléments de l’espèce dont le double est remis à l’intéressé : cette disposition n’a pas été respectée.
  • L’étranger auquel est opposé un refus d’entrée est mis en mesure d’avertir la personne chez laquelle il a indiqué qu’il devait se rendre, son consulat ou le conseil de son choix : les touristes cap-verdiens se sont vu interdire toute communication avec l’extérieur.
  • la décision de refus d’entrée est immédiatement exécutoire sauf si l’autorité consulaire demande un sursis à exécution d’un jour franc : le Consul du Cap-Vert a demandé, le 31 décembre, un sursis à exécuter de la décision de refus d’entrée. Cette demande a été totalement ignorée.

Les droits de la défense ont été également bafoués tout au long de cette affaire puisque les avocats n’ont jamais eu la possibilité de rencontrer leurs clients.

Un barrage de plus pour certains touristes



La loi du 9 septembre 1986 ne reconnaît plus un droit automatique d’entrée sur le territoire français à l’étranger muni des documents exigés par les textes.

La loi du 29 octobre 1981 avait consacré ce principe et les cas de non-admission étalent limitativement énumérés : menace à l’ordre public, arrêté d’expulsion, interdiction du territoire.

Désarmais les articles 2 et 3-1 du décret du 30 juillet 1987 modifiant celui du 27 mai 1982 définissent les conditions à remplir pour être admis en France pour un séjour de trois mois au plus. Outre la passeport, le visa et, le cas échéant le certificat & hébergement une condition supplémentaire s’ajoute, la justification de moyens d’existence

La circulaire du 8 août 1987 du ministre de l’intérieur relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en, France précise que ce contrôle sur les moyens d’existence concerne essentiellement les « voyageurs originaires de pays source d’immigration irrégulière » et consiste à vérifier une deuxième fois si les éléments fournis pour obtenir le visa consulaire sont encore réunis lors de la présentation à la frontière il s’effectuera alors que les intéressés auront déjà investi une somme importante pour leur voyage !

Les personnes chargées de ce contrôle détiennent un véritable pouvoir d’appréciation pouvant remettre en cause les décisions prises par les services consulaires. La circulaire du 8 août 1987 décrit de manière détaillée les critères d’appréciation des moyens & existence et donne des indices de référence, les mesures et les précautions à prendre dans le cas où le visiteur ne Satisferait plus aux conditions d’entrée. Ainsi écrit que toute décision de non-admission à l’encontre d’un voyageur muni d’un visa consulaire ne peut être prise que par les services de la Direction des Libertés Publiques et des Affaires juridiques.

Cette précaution a certainement été prévue pour atténuer les risques d’arbitraire et de dérapage auxquels peut donner lieu d’application des nouvelles dispositions, et de garantir un minimum de droit au visiteur risquant de se voir refouler. L’affaire des Capverdiens démontre cependant une fois de plus, que dans la pratique arbitraire et dérapage existent, soigneusement couverts par le ministère de l’Intérieur… auteur de la circulaire et apparemment si soucieux des droits des individus !



Article extrait du n°2

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Dernier ajout : mercredi 2 avril 2014, 16:16
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