Édito extrait du Plein droit n° 2, février 1988
« Logement : pourquoi des ghettos ? »

Édito

ÉDITO

Dans notre précédent numéro, nous avions choisi d’attirer l’attention sur un problème urgent : la spectaculaire dérive de l’État de droit, que traduit l’attitude actuelle des pouvoirs publics face aux, immigrés, et qui place ceux-ci dans une situation de précarité et d’insécurité grandissante.

Nous ouvrons, dans ce second numéro, le dossier du logement qui, pour être en apparence d’une actualité moins brûlante, n’est pas moins essentiel pour comprendre la situation des immigrés en France.

Ce qui est ici un jeu, en effet, ce ne sont pas seulement les conditions de vie matérielles – trop souvent déplorables – de la population immigrée : l’absence de logement décent, lorsqu’elle ne fait pas tout simplement obstacle au regroupement familial ; a des répercussions négatives sur la scolarité des enfants et hypothèque à plus long terme leur insertion sociale et professionnelle.

Mais le logement n’est pas seulement un espace domestique, un espace privé ; c’est par lui aussi que les immigrés se situent dans l’espace public, c’est lui qui détermine la nature des rapports qui se nouent, localement, entre la population immigrée et la société d’accueil.

On peut, à propos du logement des immigrés adopter un point de vue optimiste, mettant l’accent sur les efforts considérables accomplis en vingt ans, et qui ont abouti à la suppression des bidonvilles et des cités de transit. Mais, dans une version plus réaliste, on constatera que les immigrés, étroitement contrôlés dans les foyers, subrepticement exclus du parc social de type H.L.M., sont souvent condamnés à vivre dans des logements vétustes et insalubres, jusqu’au jour où ils en sont chassés par une opération de rénovation… ou un incendie meurtrier.

Nous n’avons pas voulu nous borner à dénoncer les maux ou abus les plus connus, les plus évidents : l’autoritarisme des gérants de foyer, le manque d’audace des maires, prompts à céder aux pressions de leur électorat, les méfaits de la spéculation immobilière… Notre propos est avant tout d’essayer de comprendre et de faire comprendre les mécanismes qui produisent l’exclusion et la ségrégation.

– Comprendre, c’est d’abord connaître les faits et les chiffres ; c’est aussi connaître les dispositifs juridiques et financiers existants. Et si le lecteur éprouve parfois une sensation de vertige à l’énoncé de tous ces sigles, au rappel de tous ces textes de loi et de décrets, qu’il se dise que cette complexité reflète fidèlement l’opacité qui caractérise la politique – ou l’absence de politique – dans le domaine du logement des immigrés.

– Comprendre, c’est aussi et surtout montrer comment les instruments mis en œuvre en arrivent à produire les effets inverses de ceux escomptés – faute de moyens, parfois, faute de réflexion préalable sur les véritables besoins de la population immigrée, souvent, faute d’une véritable volonté politique, enfin. En dépit des intentions généreuses couramment affirmées, malgré les sommes d’argent injectées dans le circuit et l’ingéniosité des dispositifs imaginés, on voit fonctionner, de façon insidieuse mais très efficace, toute une série de mécanismes d’exclusion générateurs de marginalisation et de ségrégation, et qui, comme en un cercle vicieux, emprisonnent les immigrés dans une image qui leur ferme encore un peu plus les filières d’accès à un logement conforme à leurs besoins.

Sortir de cette impasse apparaît comme une nécessité absolue : non seulement pour le bien-être des immigrés, mais aussi pour rétablir des équilibres sociaux menacés. La politique des ghettos, les comportements discriminatoires peuvent être payants économiquement ou électoralement à court terme ; ils ne peuvent être que désastreux à moyen et long terme, et pour tout le monde.

Le souci du long terme ne pouvait nous détourner de l’actualité.

L’actualité, c’est d’abord, c’est encore la nationalité. Nous reviendrons dans notre prochain numéro sur le rapport de la Commission présidée par Marceau Long, qui représente, au même titre que le. rapport Hannoun, l’indice d’une évolution dans la façon de poser les problèmes de l’immigration. Pour l’heure, nous avons surtout voulu attirer l’attention sur tout ce qui, dans les pratiques actuelles de l’administration, dénote la volonté non équivoque d’anticiper une future réforme du Code de la Nationalité.

L’actualité, c’est aussi la longue grève des mineurs marocains, dont l’opinion n’a pas saisi le véritable enjeu : le sort des immigrés dont la France n’a plus besoin.

L’actualité c’est enfin les refoulements aux frontières des prétendus « faux-touristes », sans aucun respect du droit.



Article extrait du n°2

→ Commander la publication papier
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : mercredi 2 avril 2014, 14:53
URL de cette page : www.gisti.org/article3336