Article extrait du Plein droit n° 2, février 1988
« Logement : pourquoi des ghettos ? »

Attributions à deux vitesses

Depuis plusieurs années, à Paris et en région parisienne, l’accès aux logements sociaux de type HLM est quasi impossible pour les familles immigrées. Le problème se pose d’ailleurs dans les mêmes termes pour les familles françaises d’origine étrangère et pour les Français des DOM-TOM.

Les travailleurs sociaux, les militants d’associations côtoient tous les jours des familles qui vivent dans des logements trop petits ou insalubres et dangereux, ou dont les loyers sont trop élevés compte tenu des ressources du ménage. Ces familles aspirent toutes à être relogées décemment. Elles ont déposé une demande auprès d’un ou plusieurs organismes, pour nombre d’entre elles sans résultat. Les demandeurs sont généralement en France depuis longtemps, souvent employés par la même entreprise et justifient de ressources stables.

Nul n’ignore aujourd’hui l’importance d’un bon habitat sur l’équilibre d’une famille ; de mauvaises conditions de logement sont à l’origine d’échecs scolaires des enfants et un facteur de délinquance. Les parents, quant à eux, vivent bien souvent dans un état de surmenage et d’énervement. Cette population est fréquemment atteinte de maladies respiratoires et psychosomatiques.

C’est pourquoi trois questions peuvent être posées :

  1. Pourquoi les familles immigrées n’obtiennent-elles pas de logement HLM ?
  2. Qui opère la discrimination ?
  3. Comment y mettre un terme ?

L’analyse des textes en vigueur et de leur application permet d’apporter certaines réponses.

Les organismes HLM ont pour objet principal de :

  • construire, gérer, acquérir et remettre en état des logements en vue de la location ou de la vente ;
  • provoquer la construction de logements collectifs ou individuels.

Qui finance ?

Ils sont financés par :

L’état principalement, qui octroie des prêts par le biais de la Caisse des Dépôts et Consignations ou du Crédit foncier de France, à des conditions particulièrement intéressantes dont le Prêt Locatif Aidé (dit PLA). Il peut en outre accorder des subventions, des bonifications d’intérêts ou garantir le remboursement d’emprunts.

Les collectivités territoriales (régions, départements, communes), qui peuvent :

  • consentir des prêts ou des subventions
  • garantir le remboursement d’emprunts
  • souscrire à des obligations de sociétés HLM
  • faire apport de terrains de construction.

Les communes peuvent également construire de leur propre initiative des habitations pour familles nombreuses ou les faire construire par les Offices publics ou les sociétés anonymes d’HLM à l’aide de prêts et subventions.

Les employeurs et salariés des entreprises privées par le biais du 1 % logement participent au financement des organismes HLM. Une fraction de cette somme, soit 0,1 % doit être réservée par priorité au logement des travailleurs immigrés et de leur famille. (1)

D’autres financements peuvent être obtenus sous forme de subventions ou prêts aux fonctionnaires : prêt épargne logement, prêt des caisses d’épargne, prêt des caisses d’allocations familiales.

Les prioritaires

En contrepartie de ces financements, les HLM doivent réserver un certain nombre de logements aux organismes « payeurs » pour y loger une catégorie de population définie par les textes. Les bénéficiaires de ces logements doivent être des « personnes physiques de nationalité française et des personnes physiques admises à séjourner régulièrement sur le territoire français… dont les ressources n’excèdent pas des limites fixées… par arrêté… »

Des catégories de bénéficiaires sont prévues par la loi (2).

Il s’agit :

  • des personnes qui ont un besoin urgent de logement lié à l’évacuation d’un immeuble déclaré en état de péril, à une expulsion, à une situation d’hébergement à titre temporaire, à l’occupation d’un logement qui a fait l’objet d’une déclaration d’insalubrité ou qui ne satisfait pas aux normes de salubrité et d’occupation prises en compte pour l’octroi de l’allocation logement ;
  • des « personnes ayant des difficultés spécifiques de logement, en particulier lorsqu’il s’agit… de familles nombreuses ».

L’article R 441-3 du Code de la Construction et de l’Habitation ajoute que les attributions sont prononcées par chaque organisme d’HLM au bénéfice des demandeurs, en vue notamment :

  • de leur permettre d’occuper un logement correspondant à la taille et à la composition de la famille
  • de rapprocher ou regrouper les membres d’une même famille et notamment de rendre possible un regroupement familial. Aucune condition de résidence sur le territoire de la commune où le logement est demandé ne devrait être exigée.

Un droit de réservation est reconnu aux organismes de financement sur ces logements lors de leur première mise en location et au fur et à mesure qu’ils se libèrent. Le nombre de logements réservés est fonction du financement et fait l’objet de conventions. Lorsqu’il existe des financements étatiques, le préfet bénéficie de réservations qui lui permettent de proposer des candidats. Si le candidat est récusé par l’organisme, le refus doit être motivé.

Dans la réalité, la plupart des familles immigrées demandeuses de logements sociaux entrent dans la catégorie des bénéficiaires prioritaires.

Les blocages

À Paris et en région parisienne, il est cependant courant que de telles familles rencontrent des obstacles au regroupement familial, essentiellement parce qu’un logement leur est refusé. Cette situation est d’autant plus paradoxale que, dans la plupart des communes, le parc de logements vacant progresse et que, fréquemment, des priorités d’attribution sont réservées, au détriment des mal logés, à des familles dont les revenus se situent nettement au-dessus des plafonds de ressources prévues en HLM.

Actuellement, de nombreuses familles d’immigrés, ainsi que des familles françaises à revenus modestes, attendent pour leur relogement. Et quand bien même leur candidature est proposée par un organisme de financement, titulaire d’un droit de réservation, les obstacles demeurent.

Il semble bien qu’il faille chercher les causes d’un tel blocage dans les nombreux abus et discriminations relevés dans la procédure d’attribution des logements.

Pourquoi une telle discrimination et qui l’opère ?

Il faut rappeler que les demandes de logement peuvent être déposées auprès : soit des organismes d’HLM, soit du service du logement de la mairie de Paris, soit du service des mal logés de préfecture.

Il y a donc trois intervenants dans l’attribution de ces logements. Au niveau des offices HLM, la demande devrait être examinée par une commission d’attribution composée de membres d’origine diverse : repré sentants des organismes HLM, délégué du Préfet, représentants des collectivités locales et des associations de locataires (dans lesquelles les familles immigrées sont très peu représentées). En pratique, c’est fréquemment une seule personne qui examine les dossiers et procède aux attributions.

D’autre part, les municipalités s’opposent au relogement des familles étrangères essentiellement pour des raisons d’ordre électoral. L’objectif premier d’un maire est d’être réélu et, pour ce faire, il cherche à satisfaire en priorité ses électeurs dont les étrangers ne font pas encore partie. En outre, l’électorat de nombreuses communes accepte mal l’arrivée de familles immigrées sur son lieu de vie, voire le simple emménagement dans un logement HLM d’une famille vivant déjà sur la commune. Le maire tient compte de cette opinion qui, bien souvent, associe de façon simpliste immigration et délinquance, donc dégradation du cadre de vie, de l’image des cités.

Enfin, un des arguments avancés à tort est le coût financier que fait supporter au budget local d’aide sociale l’arrivée de nouvelles familles d’immigrés. Outre que la portée d’une telle allégation est aujourd’hui fortement tempérée par les conclusions contraires de nombreux rapports et études publiés ces dernières années, l’incidence de ces coûts sur les budgets communaux est de toute façon sans commune mesure avec les surcoûts sociaux que toute collectivité est amenée à supporter en maintenant certaines populations dans de mauvaises conditions générales de vie (soins médicaux, aide à la réinsertion professionnelle, animation et soutien scolaire…)

Les organismes HLM attribuent également à ces familles la responsabilité des dégradations et des impayés de loyer, occultant ainsi l’incidence sur celles-ci de la mauvaise qualité des matériaux, de la conception inadaptée des logements et des conditions générales d’urbanisme. Quant au non-paiement des loyers, il est démontré qu’il n’est pas principalement le fait des familles d’immigrées.

« Les quotas »

Enfin, depuis les lois de décentralisation, la délivrance des permis de construire relève de la compétence exclusive du maire de la commune, ce qui constitue un élément supplémentaire de pression. Les organismes qui attribueraient leurs logements à des populations non souhaitées pourraient se voir refuser à l’avenir tout permis de construire risque on ne peut plus dissuasif.

Cependant, les préfectures assurent (ou ont assuré) le relogement en HLM des familles immigrées sur certains départements. Or, le nombre de logements mis à disposition est insuffisant par rapport à la demande et du fait que, généralement, le préfet ne cherche vraiment ni à imposer ses demandeurs ni à utiliser la totalité des logements lui revenant de droit. Il faut savoir que le droit de réservation implique seulement un droit de présentation des candidats.

D’autre part, le préfet se voit opposer que le « quota » d’immigrés dans l’immeuble ou le quartier est largement dépassé, le « seuil de tolérance » atteint et qu’il ne faut pas créer des ghettos sociaux et raciaux qui nuiraient aux différentes communautés, sans pouvoir non plus utiliser son droit de suite en cas de libération d’appartements.

Comment agir ?

Cependant, l’article R.441-14 du Code de la Construction et de l’Habitation prévoit qu’« en cas de manquements graves ou répétés aux règles d’attribution des logements, le commissaire de la République peut désigner un délégué spécial chargé de prononcer les attributions ». Nous n’avons malheureusement pas connaissance que cela se soit produit.

Peut-on faire cesser ces discriminations ?

Il existe des textes ayant pour objet de permettre le logement des familles défavorisées. S’ils étaient appliqués, un grand nombre de ces familles vivraient décemment.

La politique actuelle d’attribution discriminatoire des logements HLM n’est pas tolérable. Pourtant, quelques moyens juridiques et pratiques sont à notre portée pour la combattre. Rappelons, tout d’abord, que toute décision de refus d’attribution fondée sur l’origine ou la nationalité d’un demandeur constitue un délit pénal prévu et réprimé par la loi du 1" juillet 1972. Son auteur est passible de poursuites devant les tribunaux correctionnels. Il ne faut donc pas hésiter à déposer plainte et à saisir celles des associations d’immigrés ou de soutien aux travailleurs immigrés qui peuvent se constituer partie civile.

De même, tout refus d’enregistrement d’une demande de logement motivé par un délai insuffisant de résidence sur la commune, est illégal. Le postulant a la possibilité de saisir par lettre recommandée avec accusé de réception, le service du logement de la mairie ou de l’organisme d’une demande d’enregistrement de son dossier. En cas de refus écrit ou sans réponse de l’organisme, l’intéressé est fondé à saisir les tribunaux (3). Cette action aura l’intérêt certain de faire cesser une pratique qui consiste à interdire le dépôt de toute demande de logement dans les meilleurs délais ; et ce d’autant qu’au moment de l’enregistrement du dossier, ces familles se verront opposer qu’aucun logement ne pourra leur être attribué avant plusieurs années, compte tenu d’attentes plus anciennes.

Les obligations du préfet

Des logements disponibles, il y en a. Le préfet, commissaire de la République, nous l’avons vu, a des droits sur une grande partie de ceux-ci. Il a en outre le pouvoir de faire cesser les attributions discriminatoires en nommant un délégué

spécial. Encore faut-il qu’il fasse valoir ses droits et qu’il utilise son pouvoir de contrôle ! Il n’est jamais inutile de lui rappeler que, parmi ses obligations, il a celle de pourvoir au relogement des mal logés. Il n’est pas inutile, non plus, de lui signaler la politique d’attribution pratiquée par certaines mairies ou certains organismes… qu’il n’ignore pas bien souvent. Mais il est à espérer que les abus de ceux-ci et la pression de ses administrés, d’associations, de services sociaux, l’obligeront à réagir.

Actuellement, pour obtenir leur relogement, les familles immigrées se tournent de plus en plus vers les associations, les militants d’origine diverses. Des lettres sont adressées au maire de la commune, à l’organisme HLM, au Préfet. voire au Président de la République, rappelant les nombreuses demandes déposées, les démarches déjà entreprises, l’histoire de la famille et ses conditions de logement. Des interventions émanants d’habitants du département, d’employeurs, d’autorités ecclésiastiques, du médecin de famille, viennent régulièrement appuyer ces dossiers. L’assistante sociale a, bien souvent déjà, établi un rapport qui a été adressé à l’autorité compétente. Ces interventions ne sont pas toujours suffisantes. Il faut sans cesse relancer les organismes et obtenir notamment les motifs écrits et précis justifiant le non-relogement.

Des motifs contestables

Il y a quelques années, certains organismes, certaines municipalités motivaient leur décision de refus par l’origine ou la nationalité du demandeur. Aujourd’hui, les motifs officiellement allégués par écrit sont l’insuffisance des ressources (!), l’absence de logement correspondant à la composition de la famille, l’existence d’autres propriétaires et de demandes plus anciennes. Si le motif indiqué par écrit, ou bien souvent verbalement, est inexact, il faut l’établir, demander à son interlocuteur de s’expliquer, le harceler de courriers, lui démontrer le cas échéant que d’autres familles logées décemment, voire dont les demandes sont plus récentes, ont bénéficié d’un logement. FILM.

Dans le cas de procédure d’expulsion, diligentée par le propriétaire d’un logement privé qui souhaite le récupérer pour- l’occuper ou le vendre, il convient de rappeler aux organes saisis d’une demande que la famille entre dans la catégorie des bénéficiaires prioritaires et qu’ils doivent appliquer la législation sur les HLM.

Enfin, nous méconnaissons bien souvent l’aide que peut apporter la publicité donnée à de telles situations par voie de distributions de tracts, lettres ouvertes, d’articles dans la presse locale et nationale, de manifestations de protestation. Lorsque les interventions amiables n’aboutissent pas, il faut utiliser la voie judiciaire et, dans ce cas, prendre conseil auprès d’un avocat.

Un parcours sans faute… mais sans espoir



Khémis S., de nationalité algérienne, est en France depuis une vingtaine d’années. Il a toujours résidé à Suresnes ou à Puteaux, Travaillant dans le bâtiment, il n’a jamais été au chômage, ne serait-ce qu’un mois : Marié, il s’est installé en 1981 ; faute de mieux, dans un appartement minuscule et insalubre situé à Puteaux.

Dès cette époque, il s’est mis à la recherche d’un logement décent pour lui et sa famille :

  • inscription au fichier des mal-logés de la préfecture des Hauts-de-Seine ;
  • inscription auprès de l’Office Public d’H.L.M. de la Ville de Puteaux ;
  • inscription au service du logement de la caisse d’allocations familiales ;
  • inscription auprès de l’Office Public départemental H.L.M. des Hauts-de-Seine ;
  • inscription auprès de l’Office Public H.L.M. de la Ville de Paris ;
  • inscription auprès de son employeur au titre du 1 % patronal.



Ces demandes ont été régulièrement renouvelées mais sont restées sans résultat.

Entre 1981 et 1987, les conditions d’habitation de la famille S. se sont aggravées du fait de la naissance de quatre enfants. La DDASS (Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale) a alors estimé que l’insalubrité du logement constituait un danger pour

ces derniers. Des interventions ont été faites pour faire cesser cette situation tant par l’assistante sociale de la Caisse régionale d’assurance-maladie du secteur que par le juge pour enfants alerté par elle. De plus, à partir de 1983 et jusqu’à ce jour, le propriétaire du logement insalubre occupé par la famille S. tente d’expulser celle-ci alors qu’elle paie régulièrement son loyer.

Une nouvelle procédure judiciaire est en cours Khémis S., sa femme et ses quatre enfants risquent, après l’hiver, de se retrouver à la rue.

Aucune réponse n’a été donnée à cette famille après sept années d’attente, malgré les interventions multiples de particuliers et d’associations locales.

Quand on sait que Khémis S. cumule tous les critères qui font de lui un demandeur prioritaire de logement HLM : travailleur salarié disposant d’un revenu régulier et supérieur au plafond de ressources exigé par les textes, marié, quatre enfants à charge, vivant en surpeuplement dans un logement insalubre et dangereux, sous la menace d’une expulsion de logement, on est en droit de se demander s’il ne s’agit pas là d’un cas typique, mais hélas fréquent, de discrimination due à l’origine étrangère de la famille.


(1) Voir p. 17.

(2) Art. R.441-4 du code de la Construction et de l’Habitation (Loi du 19 mars 1986).

(3) Cf. GISTI. Guide des étrangers face à l’administration. Ed. La Découverte – 1988 –.



Article extrait du n°2

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Dernier ajout : mercredi 2 avril 2014, 15:24
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