Article extrait du Plein droit n° 35, septembre 1997
« Des papiers pour tout »

Pour un débat de fond sur les migrations

« On a gagné, mais pas beaucoup » confiait Madjiguene Cissé, porte-parole des sans-papiers, à Libération à la veille du premier anniversaire de l’expulsion de l’église Saint-Bernard.

Au moment où le gouvernement Jospin donne le coup d’envoi au processus législatif pour une nouvelle réforme de l’ordonnance de 1945 – la deuxième de l’année – on ne saurait dresser meilleur bilan.

Sans doute l’annonce par le premier ministre, dès son arrivée à Matignon, de sa décision de faire procéder au réexamen de certaines situations d’étrangers en situation irrégulière n’aurait-elle jamais eu lieu sans l’opiniâtreté des sans-papiers depuis plus d’un an ; mais la circulaire du 24 juin, qui en fixe le cadre, est largement en-deçà de leurs attentes et ne permettra pas de « mettre fin à la situation intolérable ou inextricable » de la plupart d’entre eux. Pire, elle risque d’en engendrer d’autres(1). Et surtout, elle n’est accompagnée d’aucun gel des éloignements, mesure sans laquelle l’opération est largement vidée de son sens.

Ainsi, au lieu d’organiser une vaste campagne de régularisation, facile d’accès, simple à mettre en œuvre et seule susceptible de créer un climat propice à la « réflexion d’ensemble sur les problèmes d’immigration » annoncée, le gouvernement a donc choisi, dans ce domaine, la voie de la demi-mesure.

C’est la même logique qui sous-tend l’avant-projet de loi rendu public fin août, dont le détail reprend quasi-intégralement les propositions du rapport Weil(2) – à l’exception notable de la grande loi sur le droit d’asile.

La lettre de mission du premier ministre confiant à Patrick Weil le soin d’analyser la législation en vigueur soulignait pourtant avec justesse que celle-ci avait été rendue « complexe, parfois incohérente, et surtout incompréhensible, par trop de modifications successives ». Elle ajoutait que son contexte avait changé, « les flux migratoires étant aujourd’hui davantage la conséquence des crises et du sous-développement et générant souvent l’incompréhension de beaucoup de nos compatriotes ».

On pouvait croire que ce constat et ce souci de pédagogie appellaient une réflexion en profondeur. Mais il faut se rendre à l’évidence : tel n’était pas l’objectif de la mission Weil comme le confirment la hâte avec laquelle le parti socialiste a approuvé le contenu du rapport rendu fin juillet à l’issue d’un maigre mois d’enquête, et la célérité dont a fait preuve le ministre de l’intérieur pour en tirer les bases d’un projet de loi.

Que la promesse du candidat Jospin d’abroger les lois Pasqua-Debré n’ait pas été tenue n’est pas le pire ; tout au plus cette « trahison » – dont le caractère symbolique n’est toutefois pas négligeable – figurera parmi les couleuvres que certains élus de juin 1997 auront à avaler. Le plus grave est le refus manifesté par le gouvernement de procéder enfin à une mise à plat des politiques d’immigration menées par la France depuis vingt-cinq ans.

Six organisations, dont le Gisti, adressaient dès le 10 juillet dernier une lettre ouverte à Lionel Jospin, pour lui faire part de la nécessité que revêt, à leurs yeux, l’instauration d’un débat de fond sur les migrations. Cette lettre après avoir analysé les conséquences de toute législation fondée sur l’objectif de la « maîtrise des flux migratoires », invite à réfléchir à l’intérêt que la France, tout autant que les étrangers qui y vivent, pourraient tirer d’une politique d’ouverture des frontières.

Cette proposition, considérée – dans le meilleur des cas – comme utopique par les commentateurs, assimilée par Patrick Weil au discours tenu aux Etats-Unis par « la droite capitaliste la plus dure » (3), ne constitue-t-elle pourtant pas la seule voie qui permettrait de sortir de la spirale infernale dans laquelle la prétendue recherche d’un équilibre entre fermeté et humanité, prônée par la droite comme par la gauche depuis si longtemps, a enfermé la société française ? Reconnaissons au moins que la question mérite d’être posée.


Notes

(1) Pour une analyse détaillée de la circulaire du 24 juin, voir les deux brochures du Gisti, Sans-papiers, régularisation ? et Documents complémentaires à la circulaire du 24 juin 1997, juillet et août 1997.

(2) Patrick Weil, Mission d’étude des législations de la nationalité et de l’immigration, Rapport au premier ministre, La Documentation française, Paris, août 1997.

(3) Dans une interview à Marianne, 11-17 août 1997.



Article extrait du n°35

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Dernier ajout : samedi 22 mars 2014, 00:08
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