Article extrait du Plein droit n° 35, septembre 1997
« Des papiers pour tout »
D’étranges papiers venus d’ailleurs
La section civile du parquet de Bobigny s’est attaquée, il y a trois ans, au « cas zaïrois » en adressant une circulaire à tous les maires du département sur la nécessité de contrôler la validité des documents d’état civil des ressortissants de ce pays. Vaste entreprise face à l’administration du Zaïre de Mobutu, l’une des plus corrompues de la planète, où les cartes d’identité sont établies sur simple déclaration du requérant.
D’entrée de jeux, la circulaire disqualifie les services consulaires zaïrois, le parquet de Bobigny considérant « qu’il n’est pas possible de demander l’avis du consulat ou de l’ambassade du Zaïre à Paris. Ces services se bornent, la plupart du temps, à confirmer les indications verbales de l’intéressé ».
Le parquet de Bobigny se tourne donc vers l’ambassade de France à Kinshasa pour connaître la marche à suivre. La réponse fournie par le vice-consul ne manque pas de sel puisqu’elle conseille de prendre l’attache du service central de l’état civil belge. Les autorités du pays sont donc écartées au profit de l’ancienne puissance coloniale !
La procédure de vérification ainsi mise en place par la circulaire est démesurée : les personnes nés avant l’indépendance du Congo belge, c’est-à-dire avant 1960, doivent « interroger M. le Procureur du Roi au Palais de justice de Bruxelles pour transmission au Service central de l’état civil belge, et soumettre les faits au Ministère de la justice (Service de l’Entr’Aide judiciaire Internationale et Bureau du Droit Civil International) pour obtenir leurs avis et instructions ». Il est aisé d’imaginer les délais d’attente engendrés par de telles vérifications. Quant aux Zaïrois nés après l’indépendance, il n’est bien sûr pas question qu’ils s’adressent aux autorités belges. Mais le parquet de Bobigny ne fait pas de détail, tous les dossiers de Zaïrois doivent être transmis. A charge, pour les maires, « de différer momentanément les projets de mariage ».
Les ressortissants de l’ex-Zaïre ne sont pas les seuls visés. Il a suffi qu’une préfecture découvre soixante-quatre faux documents concernant des déboutés du droit d’asile guinéens et maliens pour qu’en janvier 1993, le ministère envoie à tous les préfets une circulaire leur donnant instruction de vérifier que les documents d’état civil présentés par les ressortissants de ces deux pays, notamment dans le cadre d’une demande de titre de séjour en tant que parents d’enfants français, n’ont pas été obtenus frauduleusement.
Ces instructions recommandent ni plus ni moins aux services préfectoraux de vérifier, à l’occasion d’une demande de carte de résident déposée par les parents, que les tribunaux d’instance ont convenablement fait leur travail avant de délivrer un certificat de nationalité française.
Les services préfectoraux doivent être « particulièrement vigilants lorsque l’acte de naissance du demandeur de titre aura été établi tardivement par rapport à la date de naissance (cas des naissances constatées par jugement supplétif récent) » ; ce qui revient à mettre en cause la date de naissance de la majorité des ressortissants de ces deux pays qui sont nés avant l’indépendance, puisque les registres d’état civil des personnes soumises aux statuts locaux ont été très mal tenus par le pouvoir colonial.
Une fois de plus, les instructions du ministre de l’intérieur sont marquées par une très forte défiance à l’égard des consulats et des ambassades étrangères : « les mentions de date de naissance figurant sur les nouveaux passeports, délivrés par l’ambassade de Guinée à Paris, ne peuvent être tenues pour exactes ou suffisantes ».
Le 19 décembre 1994, quatorze guinéens ont comparu devant la 2ème chambre pénale du tribunal de grande instance de Bobigny pour usage de document administratif contrefait et obtention indue d’un document administratif.
Il leur était reproché de s’être fait délivrer un certificat de nationalité française pour leurs enfants en fournissant de faux document d’état civil portant une date antérieure à celle de l’indépendance de la Guinée, de manière à bénéficier des dispositions de l’article 23 de l’ancien code de la nationalité (règle de la double naissance sur le sol français).
Le tribunal a considéré qu’il n’était pas établi que les prévenus avaient utilisé en toute connaissance, c’est-à-dire en sachant qu’ils étaient entachés d’irrégularités, les actes administratifs litigieux (actes de naissance, actes de mariage, passeports), et qu’en conséquence le délit d’usage de document administratif falsifié n’était pas constitué.
Mais surtout cette décision a mis en évidence le mépris à l’égard des autorités étrangères et le caractère unilatéral des vérifications. Elle relève que figurent « au dossier uniquement les courriers de l’ambassade de France en Guinée et des autorités françaises […]. En l’absence d’investigations supplémentaires notamment auprès des services de l’état civil guinéen afin de connaître le fonctionnement de cet état civil avant et après l’indépendance… ».
Bref, tous les immigrés sont des fraudeurs potentiels et mieux vaut se méfier de leurs ambassades et de leurs consulats. Dans une lettre adressée au préfet de Martinique, l’ambassadeur de France à Port-au-Prince va encore plus loin et s’en prend directement aux services de l’état civil haïtien. Il estime tout simplement que « dans la plupart des cas, l’acte de naissance haïtien ne peut être authentifié par le Directeur des Archives nationales de la République d’Haïti » et qu’il vaut mieux « interroger [les services de son ambassade] sur les documents d’état-civil provenant d’Haïti, avant de délivrer des certificats de nationalité française ou de dresser des documents d’état-civil ».
On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.
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