Article extrait du Plein droit n° 35, septembre 1997
« Des papiers pour tout »

« Un calvaire administratif »

Dora Kœnig-Bachir

Praticien hospitalier à l’hôpital Henri Mondor

« Mon fils est né en 1977 à Alger. De père algérien et de mère française, il est français. Depuis 1986, nous vivons en région parisienne.

En février 1996, mon fils perd sa carte nationale d’identité établie huit ans auparavant sans problème. Il dépose un dossier à la mairie dont nous dépendons en mars 1996 ; un mois plus tard, une lettre de la mairie l’informe qu’il doit fournir un certificat de nationalité française. Au même moment, je lis un article du magazine Viva faisant état du parcours administratif pour obtenir ce même certificat par une jeune fille née à Alger en 1974 de mère française et de père algérien. Je pressens que nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Pour disposer d’un papier d’identité, mon fils demande un passeport, qu’il obtient facilement.

Fin mai 1996, je l’accompagne au tribunal d’instance de Charenton après avoir constitué le dossier : extrait de naissance demandé à Nantes (obtenu dans le délai habituel d’un mois), extrait de naissance de mon mari, mon extrait de naissance, en plus des pièces habituelles (photocopies du livret de famille et de ma carte d’identité, carte de séjour du père, justificatifs de domicile,…).

Je fournis de plus mon certificat de nationalité française établi en 1986 par le tribunal d’instance de Pantin pour l’obtention du titre de séjour de mon mari, le certificat d’inscription de mon fils au service national français, sa carte d’électeur qui prouvent, à mon avis, son attachement à la France.

Vous avez une carte d’identité, une carte d’électeur, vous êtes fonctionnaire ? Ça ne prouve rien !

Je demande à la personne du tribunal qui reçoit notre dossier le délai d’obtention du certificat. Elle me dit : « nous allons effectuer une enquête pour vérifier que votre fils n’a pas repris la nationalité de son père et que vous, la mère, n’avez pas répudié votre nationalité française ; cela peut demander quelques mois ». Je rétorque, pour la première question, que mon mari est algérien aux yeux de l’Algérie car de père algérien ; cette enquête auprès des autorités algériennes n’a pas de sens.

Pour la deuxième question, j’ai fourni un certificat de nationalité française ainsi que ma carte d’identité : cela ne prouve rien, me dit l’employée du tribunal (je signale en plus que je suis fonctionnaire de l’État, j’ai donc dû faire la preuve de ma nationalité française pour être recrutée). « Tous ces éléments ne prouvent rien, l’enquête est exigée par la loi ».

En septembre 1996, j’appelle le tribunal, le certificat ne nous étant toujours pas parvenu. On me répond que l’enquête est en cours, que l’on a demandé un extrait de naissance de mon père (né en Allemagne, naturalisé en 1945) et que l’on ne l’a pas obtenu. Je m’étonne de cette demande qui me paraît absurde : la préposée se perd en explications très peu claires.

En novembre 1996, je rappelle : il manque toujours le certificat de non répudiation de la nationalité française me concernant, non obtenu de Nantes.

En janvier 1997, toujours pas de certificat. J’appelle, excédée, le tribunal. La préposée me dit qu’elle se rappelle mes précédents coups de fil peu tendres pour l’administration judiciaire, mais qu’elle n’y peut rien. La loi doit être appliquée : il manque toujours ce certificat établi par Nantes, de non répudiation de la nationalité française. Je menace de porter plainte pour abus de droit.

En février 1997, je rappelle « Le certificat est à la signature, votre fils va être convoqué par lettre ».

Fin février, lettre au domicile : le certificat est prêt au tribunal. Dix jours plus tard, mon fils peut se libérer pour aller le chercher. Nous nous apercevons alors, mon mari et moi, d’une erreur sur notre lieu de mariage.

Rappel au tribunal : il vaut mèieux faire rectifier, mais « il faudra attendre plusieurs jours car le juge d’instance ne vient qu’une fois par semaine et il ne signe que le haut de la pile ». On nous signale que, pour la carte nationale d’identité, il faut fournir l’original du certificat, les photocopies ne sont pas valables.

Face à ce calvaire administratif, je demande si ma fille, née en 1980 également à Alger, ne peut pas faire dès maintenant sa demande de certificat de nationalité française (qu’on lui réclamera lors du renouvellement de sa carte d’identité) et bénéficier ainsi de l’enquête récente à mon sujet. On me répond : cela ne changera rien aux délais, la procédure ne tient pas compte du frère, et surtout, si elle demande maintenant son certificat, celui-ci ne sera valable que jusqu’à ses dix-huit ans. Après, comme un seul de ses parents est français, elle disposera d’une année pour répudier sa nationalité française.

Vos enfants sont français sans équivoque, me dira-t-on, mais sont-ils citoyens français de seconde zone ? Pourquoi cette méfiance ?

Au tribunal, j’ai rencontré une dame de 68 ans, née en Tunisie de parents français nés en Tunisie, qui avait perdu sa carte d’identité. Même périple pour obtenir un certificat de nationalité : l’impossibilité de prouver sa nationalité française. La réponse de bon sens de cette vieille dame a été : « dans ce cas, je me passerai de carte d’identité… ».



Article extrait du n°35

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Dernier ajout : vendredi 21 mars 2014, 23:50
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