Article extrait du Plein droit n° 29-30, novembre 1995
« Cinquante ans de législation sur les étrangers »

L’évolution des accords franco-africains

Nadia Marot

Adjoint au chef du bureau Affaires internationales à la Direction de la population et des migrations (DPM)
Après l’indépendance, les ressortissants des anciens territoires d’outre-mer ont continué à bénéficier des principes d’assimilation au national et de libre circulation. Ces principes, consacrés par des accords bilatéraux, ont toutefois été progressivement remis en cause à partir du moment où ils sont entrés en conflit avec l’objectif de « maîtrise des flux migratoires » mis en avant par les autorités françaises. Le maintien d’un cadre conventionnel n’a pas empêché l’alignement sur le régime de droit commun défini par l’ordonnance du 2 novembre 1945.

Les relations conventionnelles entre la France et les pays d’Afrique au sud du Sahara anciennement sous administration française dans le domaine de la circulation des personnes et de leur établissement ont, au moment de l’accession à l’indépendance de ces États, à l’exclusion de la Guinée [1], consacré les principes préexistants d’assimilation au national et de libre circulation.

Ces relations ont ensuite évolué, au gré des changements de la situation économique et sociale et de la nécessité de plus en plus forte de maîtriser des flux migratoires, vers un rapprochement de plus en plus marqué avec le droit commun des étrangers fixé par l’ordonnance du 2 novembre 1945.

Trois périodes ont marqué les relations conventionnelles entre la France et les États africains :

  • 1960-1974 : un régime très privilégié de circulation et d’établissement ;
  • 1974-1990 : les premiers rapprochements avec le droit commun ;
  • 1991-1994 : l’application des dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945.

Outre des raisons historiques, le souci de préserver la situation des nationaux français dans ces pays a conduit à la conclusion d’accords de type particulier reposant sur le principe de réciprocité et, donc, dérogatoires aux dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945.

1960-1974 : La communauté francophone

Dans un premier temps, et dans l’optique de la Communauté franco-africaine prévue par le Titre XII de la Constitution du 4 octobre 1958, a été conclu l’accord multilatéral sur les droits fondamentaux des nationaux des États de la Communauté signé le 22 juin 1960 par la France, Madagascar et la Fédération Sénégal-Mali [2]. Ont adhéré par la suite à cet accord le Congo (15 août 1960), le Gabon (1er août 1960), la République centrafricaine (7 octobre 1960) et le Tchad (15 janvier 1961).

L’article 2 de l’accord multilatéral prévoyait la plus large liberté de circulation et d’établissement au profit des nationaux des États signataires.

Très rapidement, dans un second temps, des conventions bilatérales d’établissement sont venues préciser cet instrument. Elles ont été conclues avec la Fédération Mali-Sénégal (22 juin 1960), Madagascar (27 juin 1960), le Congo (15 août 1960), le Gabon (17 août 1960), le Tchad (11 août 1960), le Togo (10 juillet 1963).

L’ensemble de ces conventions comportaient une clause d’assimilation au national et prévoyaient que les ressortissants de ces États :

  1. Entraient sur le territoire français sous couvert d’une carte d’identité ou d’un passeport même périmé depuis cinq ans ;
  2. N’étaient pas soumis à la possession d’une carte de séjour et d’une carte de travail ;
  3. Pouvaient accéder à toute activité professionnelle salariée ou non, y compris aux emplois publics dans les mêmes conditions que les nationaux. Toutefois, pour l’accès à une activité professionnelle salariée – et c’était la seule obligation qui leur incombait –, ils devaient se soumettre au contrôle médical de l’Office national d’immigration en application de l’art. L. 161 du code de la sécurité sociale.

Pour des raisons politiques, guidées par le souci d’éviter toute discrimination juridique à l’égard de certains États, le bénéfice de ce régime juridique privilégié défini par voie conventionnelle a été étendu, par décision du ministère des affaires étrangères du 10 mars 1961, à l’ensemble des pays d’Afrique au Sud du Sahara anciennement sous administration française, à l’exclusion de la Guinée.

Ce dispositif a été complété par des conventions de circulation.

En effet, le régime très libéral mis en place en 1960 a suscité l’émergence, vers la France, d’un flux migratoire peu important au plan quantitatif, mais qui était source de problèmes difficiles (absence de préparation à la vie dans la société industrielle, conditions de vie et de logement misérables).

Cette situation a conduit les pouvoirs publics français, en accord avec les autorités de ces pays, à conclure des conventions de circulation complétant les conventions d’établissement. Ces conventions prévoyaient la production de garanties de rapatriement, de certificats internationaux de vaccination, d’un contrat de travail visé par les services du ministère du travail du pays d’accueil et d’un certificat de contrôle médical délivré par un médecin agréé par le consulat du pays d’accueil.

Des conventions de ce type ont été signées avec le Bénin (ex-Dahomey) (12 février 1971), la Côte d’Ivoire (21 février 1970), le Gabon (12 février 1974), la Haute-Volta (30 mai 1970), le Mali (8 mars 1963), la Mauritanie (15 juillet 1963), le Niger (16 février 1970), le Sénégal (21 janvier 1964) et le Togo (25 février 1970).

1974-1990 : vers le droit commun

Le dispositif mis en place par les conventions de circulation s’est rapidement révélé inadapté à un véritable contrôle des flux migratoires. Y faisaient notamment obstacle la faculté d’entrer sur le territoire français sous couvert d’une simple carte nationale d’identité aisément falsifiable et l’absence d’efficacité de l’obligation de fournir des garanties de rapatriement (cession du billet retour, réutilisation de la caution déposée auprès du Trésor du pays concerné...). Quant à l’exigence du contrat de travail visé, elle était vidée de son sens par la clause d’assimilation : en effet, les ressortissants de ces pays entrés en France en qualité de touristes accédaient librement à un emploi, sans que la situation de l’emploi puisse leur être opposée.

En conséquence, et à l’occasion de la révision des accords de coopération engagée en 1974, un nouveau type de conventions de circulation et d’établissement a été élaboré, en premier lieu avec le Sénégal (29 mars 1974).

De plus, après la décision de suspension de l’immigration de main-d’œuvre en juillet 1974, qui faisait suite au choc pétrolier, le gouvernement français a décidé «  d’insérer progressivement l’immigration en provenance des pays africains et malgache d’expression française dans le cadre général de la politique française de l’immigration ».

Face au développement incontrôlé des mouvements migratoires entre ces pays et la France et à ses conséquences, le gouvernement français, avant même la révision des conventions applicables, a pris la décision de réglementer l’établissement des ressortissants de ces pays par deux simples circulaires du 30 novembre 1974 (intérieur et travail) en imposant l’obligation d’une carte de séjour et d’une carte de travail délivrées dans les conditions prévues par le droit commun des étrangers.

L’annulation partielle de ces circulaires par un arrêt du Conseil d’État du 24 novembre 1978 a conduit à l’adoption d’instructions conformes au cadre conventionnel.

Mais cet arrêt a confirmé qu’aucune convention de circulation ou d’établissement ne pouvait avoir pour objet, ou pour effet, de déroger à l’obligation, pour tout étranger résidant en France, de détenir un titre de séjour, obligation prévue par l’ordonnance du 2 novembre 1945.

Renégociation

Le résultat des négociations n’ayant pas été identique pour l’ensemble des États concernés, il est nécessaire d’examiner la situation des liens conventionnels par groupe de pays. Les ressortissants de certains pays se sont vu maintenir le régime privilégié antérieur, alors que les autres étaient désormais soumis à un régime plus ou moins proche du droit commun.

La République centrafricaine, le Gabon et le Togo ont continué à bénéficier d’un régime privilégié fondé sur les principes de libre circulation et d’assimilation au national. Toutefois, les ressortissants gabonais et togolais restaient soumis à l’obligation de produire un contrat de travail visé, sans qu’on puisse leur opposer la situation de l’emploi.

Le rapprochement avec le droit commun était beaucoup plus marqué pour le Bénin, le Congo, le Cameroun, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Haute-Volta (qui deviendra le Burkina Faso en 1984) et la Mauritanie. Les ressortissants de ces États entraient en France sous couvert d’un passeport en cours de validité, de garanties de rapatriement et de certificats internationaux de vaccination. Ils étaient – sauf les ressortissants maliens soumis au visa de long séjour – dispensés de visa.

Pour tout séjour de plus de trois mois, ils devaient être titulaires d’un titre de séjour délivré sur présentation :

  1. pour les étudiants, d’une attestation d’inscription dans un établissement d’enseignement ;
  2. pour les travailleurs salariés, d’un contrat de travail visé, avec opposabilité de la situation de l’emploi, et d’un certificat de contrôle médical ;
  3. pour les travailleurs non salariés et les non actifs, de la justification des moyens d’existence suffisants ;
  4. pour les membres de famille, d’une attestation ou d’un certificat de logement.

Sous réserve que l’autorisation de travail était matérialisée par la mention « travailleur salarié » apposée sur le titre de séjour et non par une carte de travail, et qu’elle ne comportait pas de limitation géographique ou professionnelle, l’exercice d’une activité relevait donc désormais du droit commun des étrangers.

Dans le cas de Madagascar, du Tchad et du Mali, enfin, c’est l’application aux ressortissants de ces États de l’ensemble des dispositions de l’ordonnance de 1945 qui a résulté de la dénonciation ou de la renégociation des conventions.

Les autorités malgaches ayant dénoncé les accords de coopération en 1974 et établi l’obligation du visa pour les nationaux français, le visa d’entrée en France a été rendu obligatoire, conformément au principe de réciprocité, le 1er août 1974, et l’application des dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945 étendue aux ressortissants malgaches le 1er novembre 1974, et des droits acquis prévus pour ceux d’entre eux résidant en France avant le 1er octobre 1974.

En ce qui concerne le Tchad, l’entrée en vigueur, en 1978, des accords de coopération signés le 6 mars 1976 a eu pour effet d’entraîner la sortie de ce pays de la Communauté, et donc la caducité de l’accord multilatéral sur les droits fondamentaux des nationaux des États de la Communauté du 22 juin 1960, déjà dénoncé par les autorités tchadiennes en 1973.

La convention d’établissement du 12 juillet 1960 a été dénoncée par la partie tchadienne le 29 janvier 1976. À compter de 1978, les ressortissants tchadiens ne bénéficiaient donc plus, en droit, d’un régime privilégié. Ce régime a néanmoins été maintenu jusqu’en janvier 1981, date à laquelle ils ont été soumis à l’ensemble des dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945.

Dans le cas du Mali, enfin, l’entrée en vigueur de la convention de circulation, de la convention d’établissement et du protocole relatif aux travailleurs salariés et aux membres de leurs familles du 11 février 1977 a soumis les ressortissants de ce pays au droit commun des étrangers.

En pratique, cependant, la décision unilatérale du gouvernement français de septembre 1986 suspendant les dispositions des conventions de circulation relatives à la dispense de visa a enlevé toute portée au principe de libre circulation et, dans une large mesure, au principe d’assimilation au national découlant de l’accord multilatéral et des conventions d’établissement de la première génération encore en vigueur.

1991-1994 : l’alignement

Conformément à la décision prise, dans le cadre de la politique de maîtrise des flux migratoires, par le Comité interministériel du 10 juillet 1991, et aux engagements souscrits par la France résultant de la Convention d’application de l’accord de Schengen signée le 19 juin 1990, la révision des conventions de circulation conclues, notamment avec les États d’Afrique francophone, a été engagée.

Les négociations ont ainsi abouti à la conclusion, avec l’ensemble de ces pays, de conventions de circulation alignant les conditions d’entrée, de séjour et d’exercice d’une activité professionnelle sur celles prévues par l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée.

Les dispositions de ces nouveaux accords prévoient notamment :

  • l’instauration du visa de court et de long séjours dont l’obligation résulte désormais d’une disposition conventionnelle et non plus de la mesure unilatérale prise par le gouvernement français en septembre 1986 ;
  • pour un court séjour, outre la possession d’un visa, la justification, à l’entrée sur le territoire de l’autre État, de l’objet du séjour, de moyens de subsistance et de garanties de rapatriement, telle qu’elle est prévue par l’article 5 de l’ordonnance ;
  • pour un long séjour, outre la possession d’un visa de long séjour, la production des justificatifs exigés en fonction de la nature du séjour envisagé (exercice d’une activité professionnelle salariée ou non, inactifs, étudiants) et la détention d’un titre de séjour délivré conformément à la législation de l’État d’accueil ;
  • l’application de la législation nationale de l’État d’accueil en matière de regroupement familial.

L’évolution des conventions bilatérales fixant les conditions d’entrée, de séjour et de travail des ressortissants des États africains en France reflète assez fidèlement l’évolution des préoccupations des pouvoirs publics en matière d’immigration.

Les conventions franco-africaines sur la circulation des personnes ont eu initialement pour objet de maintenir des liens tout à fait privilégiés entre la France et les pays d’Afrique francophone, à une époque où l’existence ou le développement de flux migratoires ne constituait pas un élément de préoccupation. C’est ainsi qu’a été mis en place un régime totalement dérogatoire par rapport à celui prévu par l’ordonnance du 2 novembre 1945.

La dégradation de la situation économique au début des années 1970, l’augmentation des flux migratoires incontrôlés et le développement de la construction européenne ont rendu tout à fait prioritaires aux yeux du gouvernement la maîtrise de ces flux et la lutte contre l’immigration clandestine.

Ces priorités n’étant plus compatibles avec le cadre conventionnel existant, un processus de renégociation a dû être engagé. Cependant, compte tenu des liens particuliers entretenus avec ces États, la définition d’un nouveau cadre conventionnel et l’alignement de ses dispositions sur le droit commun n’ont pu s’effectuer que progressivement et par l’acceptation de dispositions parfois plus restrictives pour les nationaux français, en matière de circulation et d’établissement.

Les conventions sur la circulation des personnes et le séjour conclues depuis 1992 avec l’ensemble de ces pays scellent définitivement la rupture avec un cadre conventionnel plus ou moins dérogatoire au droit commun des étrangers. En effet, elles reprennent, voire même renvoient aujourd’hui, aux dispositions nationales et donc, pour la France, aux dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée.




Notes

[1Ce pays ayant choisi, par un non massif au référendum organisé par la France en septembre 1958, de ne pas faire partie de la Communauté francophone.

[2Publié au J.O. de la Communauté n° 8 le 15 août 1960.


Article extrait du n°29-30

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Dernier ajout : lundi 25 août 2014, 17:15
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