Article extrait du Plein droit n° 5, novembre 1988
« Immigrés : police, justice, prison »

La « libération-expulsion »

L’individualisation de la peine privative de liberté trouve son fondement dans la loi du 29 décembre 1972. Ce texte, comme les autres dispositions législatives en la matière promulguées postérieurement, ne détermine aucune discrimination entre les condamnés. L’article D. 526 du code de procédure pénale, relatif à la libération conditionnelle est ainsi libellé : «  L’examen porte essentiellement sur les perspectives de réinsertion du condamné, en fonction de sa situation personnelle ». On pouvait ainsi légitimement supposer qu’un condamné de nationalité étrangère avait accès à la libération conditionnelle dans les mêmes conditions qu’un condamné « national ».

En fait, il semble bien que, dès l’entrée en vigueur de la loi, les magistrats en charge de l’application des peines aient fait preuve d’une grande réserve dans l’attribution de la libération conditionnelle à des non-nationaux. Si l’on en juge par la jurisprudence de certaines commissions d’application des peines [1], les décisions prises à l’égard des étrangers furent particulièrement restrictives et comportaient notamment, si la libération conditionnelle était accordée, l’éloignement définitif du territoire national.

Quel fut exactement le nombre des libérations conditionnelles prononcées au profit des ressortissants étrangers condamnés ? Nul ne saurait le dire avec certitude puisque le service des statistiques de la Chancellerie lui-même l’ignore, sauf naturellement le chiffre qui concerne précisément les cas où la libération conditionnelle était conjuguée avec une mesure d’expulsion administrative ou judiciaire...

En tout cas, depuis l’entrée en vigueur du décret n° 84-809 du 28 août 1984, la libération conditionnelle pour les étrangers est bel et bien devenue la « libération-expulsion ». Ce décret permet en effet, comme l’explique la circulaire d’application du 5 novembre 1984, « lorsqu’une mesure de libération conditionnelle peut être envisagée en faveur d’un condamné de nationalité étrangère qui ne fait pas l’objet d’un arrêté d’expulsion, d’en subordonner l’octroi à la condition d’être reconduit à la frontière ou à celle de quitter le territoire national et de n’y plus paraître ».

Le décret, devenu le nouvel article D. 535 du C.P.P., précise naturellement pour commencer que la libération conditionnelle peut être accordée aux étrangers frappés d’une décision d’expulsion, de reconduite ou d’extradition.

Pour ceux-ci, évidemment, la libération anticipée peut apparaître comme une faveur, puisque de toute façon la mesure d’éloignement devrait être exécutée à leur levée d’écrou. Ils bénéficient ainsi d’une réduction de leur temps de détention. Il faut pourtant remarquer que ce système de « libération-expulsion » peut aussi constituer une sorte de piège. En effet, s’agissant d’étrangers dont l’expulsion pose question et serait sujette à contestation — notamment ceux dont toutes les attaches sont exclusivement françaises — leur éloignement anticipé les prive de la possibilité de mettre en œuvre tous les moyens de recours contre la décision qui les frappe et de la faire éventuellement annuler.

Il va de soi que cette remarque est encore plus valable concernant ceux qui ne font pas l’objet d’une mesure d’éloignement et devant qui l’on fait miroiter la possibilité d’une libération anticipée, à condition qu’ils s’engagent à quitter d’eux-mêmes le territoire national et à « n’y plus paraître » !

Quant aux étrangers pour lesquels la mesure d’éloignement n’est pas sujette à contestation ou qui sont eux-mêmes volontaires pour un départ du territoire français, les dispositions du Code de Procédure Pénale devraient permettre au contraire aux commissions d’application des peines de prendre dans les meilleurs délais les décisions de libération conditionnelle à mi-peine, afin de contribuer au désencombrement des prisons.

On est ainsi amené à souhaiter que les autorités responsables de la mise en liberté conditionnelle, fidèles à l’esprit des textes relatifs à l’individualisation de la peine privative de liberté, opèrent un discernement élémentaire entre les étrangers qui, étant donné leurs attaches en France, ont vocation à y demeurer et les autres, et n’utilisent pas cette procédure pour éloigner de France, indistinctement, le plus grand nombre possible d’étrangers, selon les critères d’une politique d’exclusion et de xénophobie qui ne devrait plus avoir cours.

Un arrêt discriminatoire



Les détenus étrangers condamnés à la peine complémentaire d’interdiction du territoire ne peuvent pas bénéficier de permissions de sortir, selon les arrêts rendus par la Cour de cassation le 25 mars 1987.

La chambre criminelle, saisie par le procureur de la République de Rennes, a en effet annulé quatorze jugements du tribunal correctionnel de Rennes, confirmant des permissions de sortir autorisées par le juge de l’application des peines, au motif que l’interdiction du territoire français implique celle de séjourner en France durant l’exécution de la peine d’emprisonnement ailleurs que dans l’établissement où elle est exécutée.

Cette décision est particulièrement critiquable, parce qu’elle impose, dans l’exécution des peines, une discrimination liée à la nationalité des détenus non prévue par la loi, alors que les permissions de sortir facilitent la réinsertion sociale et permettent le maintien des liens familiaux.




Notes

[1Les commissions d’application des peines siègent pratiquement à huis clos.


Article extrait du n°5

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Dernier ajout : mardi 13 mai 2014, 10:26
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