Article extrait du Plein droit n° 5, novembre 1988
« Immigrés : police, justice, prison »

Un inspecteur parle...

Interrogé sur le thème très vague des rapports entre la police et les étrangers, M. B., inspecteur principal d’un commissariat de la proche banlieue parisienne raconte les pratiques quotidiennes, ses impressions et ses critiques.

Instruments au service de la politique migratoire, les gardiens de la paix se sont emparés, par facilité, du rôle qu’on veut leur faire jouer. Les contrôles d’identité à outrance en tête de station de métro leur permettent des interpellations fructueuses. « La police en tenue marche au crâne » : M.B. explique qu’un crâne correspond à un délit constaté dont on a interpellé l’auteur. Évidemment, l’interpellation d’étrangers sans papiers est une opération toute simple par rapport à la recherche d’auteurs de « réelles » infractions.

La difficulté pour les gardiens de la paix dont le rôle est surtout préventif, est de « mesurer » leur travail, leur efficacité. C’est pourquoi ils comptabilisent les contraventions et les interpellations avec vérifications au poste, ce qui leur fera un bon point pour l’avancement et la notation. La police assure avec zèle et automatisme cette mission. Les législations successives sur les contrôles d’identité n’ont jamais réformé les pratiques : seule la transcription sur le papier (procès-verbaux de police) en a subi les effets et a donné plus de travail aux supérieurs hiérarchiques qui ont dû exercer un contrôle plus strict sur la rédaction des rapports.

D’ailleurs, nous précise M.B., les procès-verbaux de vérifications d’identité ; obligatoires dans les textes, ne sont jamais établis, sauf quand les opérations de contrôle ont débouché sur des infractions.

La consigne concernant les étrangers est de les mettre immédiatement en garde à vue, dès qu’ils sont pris « en flagrant délit de ne pouvoir justifier immédiatement de leur régularité au séjour ». Si le domicile n’est pas trop loin, les policiers iront eux-mêmes chercher l’éventuel titre de séjour oublié. Dans le cas contraire, la famille doit se déplacer au commissariat.

La consultation du fichier des personnes recherchées est systématique : gare aux arrêtés d’expulsion ou aux interdictions du territoire « en suspens » ! Si le délit d’infraction à la législation sur les étrangers est établi, et dans ce cas seulement, on dépouille le fichier des antécédents où sont consignés tous les « écarts » des individus.

La police intervient aussi à la demande de la préfecture, suite à des instructions, dans ce qui devrait être l’ultime phase de la police des étrangers : vérifier la sortie du territoire. L’opération motive peu les gardiens de la paix : si l’étranger n’est pas à son domicile, la note est renvoyée aussitôt à l’administration. Aucune recherche supplémentaire n’est envisagée.

On peut se demander si les policiers, premier maillon de la procédure qui mène l’étranger du métro à l’avion, ne pourraient pas fermer les yeux sur certains cas particulièrement injustes. Malgré certains abus de l’administration, c’est une responsabilité que la police ne peut pas prendre. Il faut essayer de plaider pour eux auprès du Parquet.

La question de la délinquance des étrangers est toujours délicate, car elle contient une infinité de paramètres dont il faut tenir compte. Dans la circonscription de M.B., le carnet des gardes à vue (épuré des infractions au séjour) révèle que la moitié au moins des délinquants sont de nationalité étrangère. Il faut relativiser cette donnée trop brute par deux éléments : d’une part, les étrangers sont essentiellement concernés par la petite délinquance ; d’autre part, ce sont souvent les mêmes que l’on retrouve au poste. L’étranger est plus que les autres un petit délinquant multi-récidiviste.

Reste le délit qui ne pardonne pas : le trafic de stupéfiants. La circonscription comprend des zones défavorisées et criminogènes. « La plupart des petits dealers sont des Maghrébins issus de la même cité désolée, complètement coupés de leur culture originelle et exclus de la nôtre pour des raisons économiques et sociales ». Le risque d’interdiction du territoire n’est perçu que trop tardivement. Peut-être est-il difficile d’y croire quand on est arrivé à l’âge de deux ans dans la région parisienne.

La facilité « de rendement » que procure la chasse au faciès et le lien systématique étranger/délinquant favorisent et conservent le réflexe raciste du policier. Mal dans sa peau de policier, le gardien de la paix cherche à se valoriser par rapport à l’étranger en situation plus précaire que lui. En groupe, il est de mode d’être plus ou moins raciste. Les plaisanteries de goût douteux fusent dans les commissariats. Il existe une tendance générale des policiers à considérer comme acquis ce racisme latent.

M.B. constate la timidité et la retenue des syndicats de policiers à prendre une position plus tranchée. « Malgré une certaine sensibilité, les syndicats ont peur qu’on leur reproche de faire de la politique s’ils s’engageaient sur le terrain des étrangers et du racisme » . Et pourtant, la pratique est constante de malmener les Maghrébins dans les locaux de la police ; ces derniers se plaignent rarement, ayant toujours à l’idée que ceux qui les reçoivent ont le pouvoir de leur prendre leur carte de séjour : on peut avoir le sentiment d’une continuité malheureuse, même si la brutalité a succédé à la violence suite aux mises en garde de la hiérarchie.

Parce que la question est d’actualité (encore que...), M.B. donne son point de vue sur l’éventuel changement de nature des mesures d’éloignement. Pour la préfecture, suite à l’enquête de la police judiciaire et à des vérifications rapides, l’étranger est ou n’est pas en situation régulière. Dans la négative, l’administration agit automatiquement pour éloigner. Redonner compétence en la matière au juge judiciaire, c’est au minimum accorder à l’étranger la possibilité d’avertir sa famille. Pour la préfecture, il n’est qu’un numéro non prévu sur le territoire français.

« Quant à nous, notre rôle est difficile. À l’origine, par l’interpellation, de tout un processus administratif aboutissant à la reconduite à la frontière, nous devons mettre entre parenthèses les éléments humains qu’on aurait souhaité faire valoir et nous contenter d’aller récupérer les 20 kg de bagages maximum accordés à l’étranger auquel on a interdit de séjourner sur le territoire français. »



Article extrait du n°5

→ Commander la publication papier
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : mardi 3 novembre 2015, 12:41
URL de cette page : www.gisti.org/article3431