Article extrait du Plein droit n° 51, novembre 2001
« Entre ailleurs et ici : Quels droits pour les femmes et les enfants étrangers ? »
Vigilance et propreté ?
Au lendemain de l’effondrement, le 11 septembre 2001, des deux tours du World Trade Center de New-York, la plupart des poubelles publiques de Paris, et sans doute d’ailleurs, ont été condamnées. On a ensuite vu fleurir sur les trottoirs des poubelles dont on avait enlevé la carrosserie. Désormais pendouillent un peu partout des sacs verdâtres en plastique tamponnés « NF » (norme française) où l’on peut lire « Vigilance Propreté ». Quand elle est associée à la vigilance, la propreté menace toujours les libertés. Dans ce contexte, les étrangers font trop souvent figure d’ennemis potentiels et de terroristes supposés. Même s’il ne vise pas explicitement ces étrangers et tous ceux – français – qui leur sont assimilés sur la base de leur seule apparence, le projet de loi « Sécurité quotidienne » proposé en urgence au Parlement par le gouvernement légitime cette assimilation xénophobe et tout ce qui risque d’aller avec. Vigilance et propreté ? A voir.
A l’Assemblée nationale et au Sénat, les parlementaires s’entendent pour voter en urgence les amendements proposés par le gouvernement pour « combattre le terrorisme » en les intégrant au projet de loi sur la sécurité quotidienne. Le caractère temporaire des mesures ne saurait calmer les craintes pour les libertés individuelles qu’elles nourrissent : fouille des véhicules, pouvoirs accordés aux agents de sécurité d’opérer des contrôles et des palpations sur les individus, surveillance et accès aux données téléphoniques et à internet… Les atteintes illégitimes aux libertés individuelles sont évidentes dans la mesure où il n’est en aucun cas démontré une adéquation entre ces nouveaux moyens et pouvoirs et l’objectif recherché, à savoir lutter contre le terrorisme.
L’imprécision des dispositions, notamment par leur généralité et l’absence de réelles garanties, va avoir inévitablement pour effet de multiplier les pratiques arbitraires et discriminatoires. Ce sont du reste les mêmes raisons qui avaient conduit le Conseil constitutionnel à déclarer, en 1977, le texte de loi autorisant la fouille des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales, incompatible avec la protection de la liberté individuelle. S’il s’agit de « rassurer l’opinion publique », l’addition est bien lourde… Et puis de quelle opinion s’agit-il ?
Pendant ce temps là, une proposition de décision-cadre, entendant imposer aux Etats membres de l’Union européenne une harmonisation des législations anti-terroristes, comporte une définition si large du terrorisme qu’elle permet de faire entrer dans son champ les mouvements politiques et sociaux contestataires.
Beaucoup d’associations ont dénoncé, à juste titre, les amalgames entre terrorisme et immigration que le plan Vigipirate et les nouvelles mesures créent ou vont créer. Déjà, des maires jouent de cet amalgame pour refuser de délivrer des attestations d’accueil à ceux qui désireraient recevoir, pour un court séjour, des membres de leur famille et des amis étrangers. Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 18 octobre 2001, loin d’apaiser les esprits, énonce que la décision du maire de Castelnau-lès-Lez ne fait pas obstacle à ce que d’autres autorités délivrent des attestations d’accueil. Peu importe donc que de telles décisions soient illégales, il suffit d’aller frapper à la bonne porte !
Au-delà de la stigmatisation d’une catégorie de la population, déjà fragilisée par la politique migratoire et l’obsession de la clandestinité, il est manifeste que les nouveaux moyens d’investigation favorisent leur utilisation abusive et détournée. D’ailleurs, il est prévu dans le projet de loi sur la sécurité quotidienne que, si la mise en œuvre des moyens permet de constater d’autres infractions que celles liées au terrorisme, la procédure ne sera pas nulle pour autant. On songe, en premier lieu, au dispositif infractionnel en matière d’entrée et de séjour en France des étrangers. La Cimade, dans un communiqué, a ainsi relevé que le taux de « fréquentation » dans les centres de rétention avait augmenté de 30 % ces dernières semaines. La police trouve une nouvelle légitimité avec le plan Vigipirate pour procéder à des contrôles au faciès à destination des personnes étrangères ou présumées l’être. Qui a cru bon de lui rappeler que la Cour de cassation, par un arrêt du 18 mars 1998, avait jugé que la seule référence à ce plan ne suffit pas à justifier le bien-fondé de l’interpellation ? Il faut surtout laisser croire que tout est permis en cette période troublée. Quitte, une fois de plus, à désigner une frange de la population comme bouc émissaire. Vigilance et propreté, normes françaises ?
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