Article extrait du Plein droit n° 50, juillet 2001
« L’enfermement des étrangers »

Un fonctionnement carcéral

Extrait du rapport 2001.
La préfecture de police de Paris dispose de deux centres officiels de rétention administrative : Vincennes et le centre situé sous le Palais de justice de Paris appelé le « Dépôt ». La Cimade y exerce sa mission d’assistance sociale et humanitaire auprès des personnes retenues. Dans ces deux centres, hormis la zone de rétention spécifique aux femmes situé au dépôt, les conditions de rétention du point de vue du respect des droits se sont peu à peu harmonisées. Au centre de rétention de Vincennes, 3508 personnes ont été retenues en 2000. La Cimade explique les enjeux et les difficultés de sa mission.

Le centre de rétention de Vincennes se trouve au sein de l’Ecole nationale de police de Paris, située dans le Bois de Vincennes à proximité de l’Hippodrome. D’une capacité de 134 places, il est composé de deux bâtiments séparés par une petite cour, dans lesquels sont répartis les étrangers, exclusivement des hommes, selon leur origine géographique. Les chambres de deux ou trois lits sont propres mais très succinctement aménagées. Chaque bâtiment dispose de WC, lavabos et douches, ainsi que de cabines téléphoniques et de distributeurs de boissons, cartes téléphoniques, cigarettes et friandises. La circulation est libre dans l’enceinte du centre de rétention.

Au rez-de-chaussée de l’un des bâtiments, se trouvent l’ensemble des services administratifs, le bureau de la Cimade, l’infirmerie, la salle de restauration (avec la télévision) et la cuisine.

Un certain nombre de fonctions, notamment le nettoyage et l’entretien du centre, les plateaux-repas, les distributeurs automatiques sont sous-traités à des sociétés privées. Cet entretien courant ne peut atténuer, après cinq ans d’utilisation, la détérioration progressive des conditions d’hygiène. Des travaux de peinture ont été entrepris, en début d’année 2001, dans tout le centre, ainsi que le renouvellement des matelas.

La garde du centre de rétention et les escortes sont assurées par la police nationale, donc sous l’autorité du préfet de police. L’organisation de l’éloignement de l’étranger est gérée depuis la préfecture de police (8° Bureau) qui donne ses instructions aux services de police du centre.

Le ministère de la justice dispose, de 6h30 à 23h30, de trois agents qui assurent l’accueil de l’étranger dans le centre, la délivrance d’un nécessaire d’hygiène, de draps, serviettes et couvertures, ainsi que l’organisation des repas. Ils sont en contact direct avec les étrangers pour toute question relative à la vie dans le centre, et ont, de ce fait, une fonction importante de médiation.

En journée, les services de police ne sont pas en contact avec les étrangers. L’entrée d’agents de police dans l’espace de circulation libre ne s’effectue, sur demande du responsable des agents du ministère de la justice, qu’en cas de problème d’ordre public ou de sécurité. Ce fonctionnement, outre qu’il permet une claire répartition des rôles, est une garantie importante de calme et d’un climat plus apaisé dans le centre.

Le service médical est sous la responsabilité de l’hôpital de la Croix-Saint-Simon, à Paris dans le 20° arrondissement et dispose d’un local dans le centre de rétention. Un infirmier est présent en permanence, et des médecins assurent des vacations journalières. Les hospitalisations se font à l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu.

Six intervenants de la Cimade sont habilités pour intervenir au centre de rétention de Paris-Vincennes et y assurent des permanences du lundi au samedi. Sont reçus tous ceux qui en font la demande ou qui sont ceux signalés par les autres intervenants à l’intérieur ou l’extérieur du centre (famille, amis, avocats, associations). En 2000, les intervenants ont réalisé 2 830 entretiens. Le champ d’action des intervenants à Vincennes est tributaire du type de retenus rencontrés. Cette année, l’augmentation considérable du nombre d’étrangers interpellés pendant leur « transit » vers un autre pays européen a entraîné une particulière activité d’interprétariat et d’assistance à la présentation de demandes de statut de réfugié.

Absence d’interprète

Lors du prononcé de la mesure d’éloignement et du placement en rétention, la préfecture remet à l’étranger une fiche intitulée « vos droits en rétention  ».

Cette fiche, traduite en une douzaine de langues, présente rapidement les droits des étrangers retenus, tant en matière de récupération de biens que de contacts avec un avocat ou d’accès à la permanence de la Cimade. Depuis 1999, le 8° bureau dispose d’un service d’interprètes. Ceux-ci sont normalement présents lors de la notification de ces droits. Toutefois, pour certaines langues (albanais, ourdou), le service ne dispose pas d’interprètes assermentés. Ce qui conduit à s’interroger sur la qualité de l’information donnée, lors de la notification des décisions d’éloignement ainsi que de la notification des droits en rétention.

Après cette phase de notification, effectuée à la préfecture de police, l’étranger est transféré au centre de rétention où il n’y a pas d’interprète. Les agents du ministère de la justice disposent d’une brochure détaillée présentant le fonctionnement du centre. Cette brochure, traduite en plusieurs langues, est simplement montrée à l’étranger lors de son arrivée. Aucun règlement intérieur n’est affiché.

La récupération des bagages et, plus encore, des sommes d’argent, est un problème récurrent à Vincennes. Selon la pratique, et pour une question évidente de proximité et de facilité, ce sont les services de police interpellateurs qui doivent assurer la récupération des bagages. Mais, à Paris, la situation est particulière. Les services de police sont amenés régulièrement à intervenir dans les communes limitrophes, et la plupart des interpellations concernent des étrangers résidant en banlieue. Or, les services d’escorte du centre de rétention ont pour instruction de n’intervenir que sur le département de Paris. Aussi, il arrive régulièrement qu’un étranger résidant hors de Paris se voie refuser une escorte de police pour récupérer ses effets personnels. Pour les étrangers résidant sur Paris, la récupération des bagages ne pose pas de problème particulier.

En matière de récupération d’argent, notamment dans les banques, la situation est beaucoup plus difficile du fait, dans la grande majorité des cas, de l’absence de document d’identité permettant les retraits d’argent. Soulevées régulièrement, ces difficultés n’ont trouvé aucune solution durable. S’il est impossible d’apporter des éléments quantitatifs sur les récupérations d’argent depuis le pays d’origine, les témoignages de nombreux retenus indiquent qu’ils se heurtent à de grandes difficultés du fait soit à nouveau de l’absence de document d’identité, soit de la situation économique ou politique du pays de retour, soit de leur éloignement d’une grande ville, etc.

L’accumulation de ces obstacles et retards ajoute à l’angoisse, propre au maintien en rétention, devant l’impossibilité de préparer dans des conditions dignes un retour éventuel. Au centre, l’absence de ressources rend la vie de l’étranger plus compliquée et plus dure : pas de possibilité de téléphoner, d’acheter des cigarettes, de boire un café, etc.

Escortes et menottes

Malgré la présence permanente d’agents du ministère de la justice, d’un service médical, de la Cimade, des difficultés inhérentes à la condition de privation de liberté apparaissent quotidiennement. La rétention est en effet marquée par le caractère expéditif des procédures et l’incertitude permanente des étrangers quant à leur éventuel éloignement. Elle se traduit par de longues périodes d’attente pendant lesquelles le stress et l’angoisse des personnes sont évidents.

Les escortes entre le centre de rétention et les tribunaux ou les représentations consulaires se font dans des fourgons cellulaires blindés comprenant plusieurs « cages » individuelles d’une surface inférieure à 1m2. Les conditions de sécurité dans ces fourgons, surtout lorsque le nombre de retenus escortés est important, sont insuffisantes. Ainsi, le 5 novembre 2000, trois retenus ont été examinés par le service médical du centre de rétention à la suite d’un coup de frein brusque du fourgon ayant entraîné des contusions. Cette année, une nouvelle fois, des retenus se sont plaints d’attentes de plusieurs heures dans ces véhicules, notamment lors de présentations à des ambassades. En été comme en hiver, les températures extrêmes entraînent des conditions d’attente inacceptables.

A la prévention des évasions ou actes délictueux qui devrait fonder l’utilisation au cas par cas des menottes, s’est substitué une utilisation « de facilité » des menottes par les services d’escorte, ce qui constitue une indéniable atteinte à la dignité des personnes.

Le centre de rétention dispose de six cabines téléphoniques (trois par bâtiment) d’accès libre. Des distributeurs automatiques permettent d’acheter des cartes téléphoniques. Une certaine solidarité entre les retenus permet aux étrangers démunis de pouvoir contacter l’extérieur, et la Cimade aide les retenus en permettant l’accès à son téléphone ou à la télécopie.

Atteinte au respect de la dignité

Situé dans le Bois de Vincennes, donc loin du centre de Paris, le centre est difficilement accessible pour les personnes qui n’ont pas de véhicule. De plus, aucune signalisation n’indique son emplacement. Les visites, autorisées tous les jours de 9h à 12h et de 13h à 18h30, sont souvent strictement limitées à vingt minutes. La Cimade souligne la multiplication de mesures d’interdiction se rapprochant, voire même dépassant, les conditions appliquées en milieu carcéral. Ainsi à l’intérieur du centre de rétention, les retenus ne peuvent garder avec eux la nourriture, les cigarettes et les briquets fournis par des visiteurs et doivent les déposer à la fouille.

Le service de gestion du ministère de la justice dispose de modèles d’appels 35 bis et de recours au tribunal administratif. Les étrangers qui souhaitent présenter un recours sont envoyés systématiquement vers la permanence de la Cimade qui les assiste dans la rédaction et l’argumentation de celui-ci et qui le transmet directement par télécopie au greffe du tribunal concerné. En son absence, ou pour des raisons de délai, les agents du ministère de la justice peuvent assister la personne ; le recours est envoyé par les services de police.

Le service de gestion du ministère de la justice affiche chaque soir dans le centre la liste des audiences prévues le lendemain. Cet affichage ne répond qu’à minima aux exigences légales : effectué le soir entre 19h et 22h pour des audiences débutant parfois dès 10h le lendemain, il ne permet pas la préparation sérieuse par l’étranger de sa défense.

L’absence d’interprètes à l’intérieur du centre rend très difficile l’exercice des droits et la vie quotidienne pour les étrangers ne parlant aucune langue européenne. Ainsi, lorsque des groupes d’étrangers originaires d’Asie (Chine, Vietnam, Pakistan, etc…) sont placés en rétention, notamment après des opérations de police dans des ateliers clandestins, ils éprouvent les pires difficultés à comprendre leur situation et à exercer leurs droits de recours. La Cimade est alors sollicitée fréquemment pour faire cette information, suppléant ainsi aux obligations données à l’administration par la loi.

L’administration a, en effet, l’obligation de permettre à l’étranger d’accéder à tout moment à l’assistance d’un interprète, d’un médecin, d’un conseil. En matière médicale, cette disposition a entraîné la mise en place d’un réel suivi médical dans les centres, avec permanence de personnel qualifié. Pour le conseil, la préfecture de Paris mentionne pour l’instant aux étrangers le numéro de téléphone de l’Ordre des avocats. Seule la question des interprètes n’a pas marqué d’évolution.

Il n’existe pas de modalités d’information systématique des retenus sur l’organisation de leur éloignement (délivrance du laissez-passer et date de réservation du vol). De ce fait, lors de leur départ, les personnes sont simplement appelées par haut-parleur et ne savent pas, en quittant le centre, si elles vont être effectivement reconduites. Cette situation entraîne évidemment une angoisse permanente et représente foncièrement une atteinte au respect de la dignité et des droits des personnes.

Automutilation

Un système d’information similaire à celui du centre de rétention du Mesnil-Amelot (en Seine Saint-Denis), existe depuis septembre 2000. Il s’agit d’une liste journalière fournie par la préfecture de police à la Cimade, mentionnant les étrangers dont l’éloignement est fixé (réservation d’un vol et délivrance du document transfrontière). Conformément aux demandes préfectorales, cette liste n’est pas affichée dans le centre, et pour les personnes potentiellement susceptibles d’actes d’automutilation, la délivrance d’informations est conditionnée à un accord des différents intervenants au centre.

A l’expiration du délai de rétention ou après une décision du juge ou de l’administration, les étrangers peuvent être remis en liberté. Les libérations se font systématiquement sur ordre de la préfecture, faxé au centre de rétention, et non sur l’initiative des services de police. Lorsqu’un étranger est libéré ou assigné à résidence par un tribunal, il dispose normalement de la possibilité d’être libéré immédiatement. Beaucoup sont ramenés par les services de police au centre de rétention afin de récupérer leurs effets personnels, ce qui peut entraîner une attente parfois longue pendant laquelle, malgré la décision de justice, l’étranger se trouve toujours en situation de privation de liberté.

L’année 2000 a été marquée par une très forte augmentation du nombre de demandes d’asiles présentées en rétention administrative et examinées par la procédure prioritaire. Une enquête réalisée à Vincennes du 3 août au 6 octobre 2000 a ainsi permis de recenser 44 candidats à l’asile en majorité des ressortissants kurdes – de Turquie ou d’Irak – d’Albanais ou de Kosovars. La totalité de ces étrangers rencontrés venaient d’arriver et étaient simplement en transit à Paris avant d’émigrer en grande majorité vers la Grande-Bretagne. Ils allaient rejoindre les milliers de réfugiés qui attendent, dans le Nord/ Pas-de-Calais, de pouvoir franchir la Manche et demander l’asile en Angleterre.

Interpellés à la Gare du Nord ou lors de leur arrivée dans le train Eurostar, ces personnes ont toutes fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière et ont été placées en rétention sur cette base. C’est lors de ce placement qu’elles ont été mises en mesure de présenter une demande d’asile politique.

Quand l’exception devient la règle

Cette véritable explosion de la demande d’asile en rétention révèle une évolution récente. Après la multiplication des demandes d’asile territorial, par les ressortissants algériens, recensées en 1998 et 1999, l’arrivée massive de réfugiés en provenance majoritairement des Balkans et du Proche et Moyen-Orient, en simple transit par la France, a entraîné un durcissement des conditions d’accès à l’asile et pose plusieurs questions.

La procédure d’asile distingue deux demandes : l’admission au séjour, déterminée par la préfecture, et la demande de statut de réfugié, examinée par l’OFPRA. L’admission au séjour, qui consiste, pour la préfecture, à délivrer un récépissé valant autorisation de séjour, est la règle. Dans certaines situations strictement définies par la loi, la préfecture peut refuser l’admission au séjour mais ne peut toutefois empêcher l’examen de la demande d’asile. Dans ce cas, l’OFPRA dispose d’une procédure d’examen en urgence, appelée prioritaire, qui permet de statuer en quelques jours sur une demande d’asile.

Le refus d’admission au séjour a lieu notamment lorsque « la demande d’asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d’asile ou n’est présentée qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement prononcée ou imminente. » Cette justification est appliquée systématiquement aux étrangers interpellés à Paris, notamment en Gare du Nord. La préfecture refuse l’admission au séjour et estime dilatoire toute demande d’asile sollicitée en rétention, même dans les situations fréquentes où l’étranger n’a pas été mis en mesure de solliciter l’asile avant son interpellation.

Ainsi, plusieurs témoignages d’étrangers interpellés à la Gare du Nord font apparaître qu’en l’absence d’interprètes dans leur langue, ceux-ci n’ont pu indiquer aux services de police qu’ils souhaitaient demander l’asile politique. Dans plusieurs situations également, des étrangers qui avaient fait valoir leurs craintes au retour et leur souhait de demeurer en Europe pour demander l’asile, se sont vu répondre qu’ils pourraient présenter leur demande depuis le centre de rétention, sans que leur admission au séjour n’ait été examinée.

Pratiquement, un étranger souhaitant demander l’asile en rétention se voit remettre, par les services de police, un formulaire de l’OFPRA. En l’absence d’interprètes dans le centre de rétention, il doit se débrouiller seul, ou parfois avec l’assistance de la Cimade, pour remplir un dossier touffu et précis sur sa situation personnelle et familiale et les raisons ayant amené son exil. Etant donné l’origine géographique des personnes arrivées récemment en France, la Cimade est amenée à utiliser systématiquement les services d’interprètes par téléphone pour faire comprendre à l’étranger les questions contenues dans la demande et la nécessité de détailler son récit.

L’impossible récupération de preuves

Dans la quasi totalité des cas, l’étranger ne dispose d’aucun document à l’appui de sa demande. La brièveté de la procédure (l’étranger dispose généralement d’un à trois jours pour remplir sa demande et joindre des pièces) rend impossible la récupération de preuves.

S’il est impossible de connaître le taux de reconnaissance du statut de réfugié pour des demandes traitées selon la procédure prioritaire, il semble évident que ces conditions d’urgence, l’absence d’entretien et d’information sur l’importance du récit détaillé, de document probatoire et la brièveté des récits entraînent le rejet de l’immense majorité des demandes.

Les conséquences pour le candidat à l’asile sont désastreuses : du fait de la Convention de Dublin, il ne pourra plus par la suite déposer de demande d’asile dans aucun autre pays européen signataire de cette convention.

L’absence d’interprètes, d’entretien préalable, le caractère expéditif de l’examen, la multiplication des « pré-notices asile », autant d’obstacles préalables qui visent, sur le fond, à donner un vernis légitime à une course contre la montre engagée par les autorités contre cette nouvelle vague de réfugiés symbolisée par le camp de Sangatte en bordure de la Manche. ;



Article extrait du n°50

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Dernier ajout : mardi 2 juin 2015, 18:26
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