Édito extrait du Plein droit n° 50, juillet 2001
« L’enfermement des étrangers »
Fracture citoyenne
ÉDITO
« Démocratie de proximité ». Ainsi s’intitule un projet de loi que le gouvernement a soumis au Parlement dans la foulée des élections municipales de mars dernier [1]. L’alerte avait alors été relativement chaude pour certains partis de la gauche. D’où peut-être l’irruption soudaine de la démocratie de proximité dans le calendier parlementaire. Globalement, le projet vise à améliorer le statut des élus locaux et la transparence d’un certain nombre de décisions prises à l’échelon municipal. Il entend également faciliter la participation des habitants à la cogestion de leur environnement immédiat. Des « conseils de quartier » – consultatifs – seront institués dans les villes d’au moins 20 000 habitants. Pour le gouvernement, les membres de ces conseils devront être des « citoyens », choisis dans les listes électorales par le conseil municipal sur proposition du maire.
La timidité de la réforme – pas d’élection des membres, statut consultatif – conduit davantage à un rapprochement entre élus et population qu’à l’institutionnalisation d’une véritable démocratie de proximité.
Au cours de la discussion de ce projet, un amendement tendant à donner le droit de vote aux étrangers à l’échelon communal a été repoussé par le Parti socialiste. Les députés ont cependant réussi à substituer les « habitants » aux « citoyens », ce qui élargit aux étrangers non communautaires la participation aux conseils de quartier. Le gouvernement, lui, n’y avait pas pensé.
Il y a quelque chose d’indécent dans ce nouveau renvoi aux calendes grecques d’une innovation qui s’avère ne plus poser de difficultés dans l’opinion. Sondages, articles, débats parlementaires, prises de position à gauche comme à droite ont montré, au cours des derniers mois, que la France y est globalement prête. Du coup, il est également indécent de vouloir renforcer la démocratie locale tant que les résidents étrangers non communautaires ne peuvent s’exprimer. Car on élargit ainsi ce qu’on peut appeler la « fracture citoyenne ». Toute modernisation de la participation des citoyens à leur destin de proximité doit commencer par l’entrée en lice de ceux qui, parmi eux, sont toujours privés de tout moyen d’expression démocratique. Après, et seulement après, il sera légitime d’améliorer les conditions de la participation de tous.
Aux partisans d’un droit de vote aussi large que possible des étrangers, le gouvernement répond invariablement qu’il ne saurait en être question qu’aux élections locales. Et voilà qu’en pleine discussion parlementaire sur la démocratie municipale, la réforme essentielle reste interdite.
Dans ces conditions, on peut soupçonner le gouvernement de tirer pour longtemps encore un trait sur la réforme du droit de vote des étrangers non communautaires qui sont, une fois de plus, rayés de la carte démocratique.
Dans ce contexte, la création à Paris d’un conseil consultatif des non-résidents fait aussi figure de cache-misère. Son existence pose beaucoup de questions, d’autant qu’on connaît le bilan mitigé de ce type de structures là où elles existent déjà. En l’absence d’un collège électoral des étrangers, qui va, par exemple, désigner leurs représentants et comment échapper, dans ces conditions, aux risques d’une dérive clientéliste ? Quels problèmes collectifs ne concernent que les étrangers ? Pourquoi ces étrangers n’auraient-ils rien à dire sur les problèmes de tous les Parisiens ?
Au-delà des interrogations sur les structures, il y a la signification symbolique de ce genre d’initiatives. En excluant les étrangers non communautaires des futurs conseils de quartier, en créant à Paris, à Strasbourg et ailleurs des conseils spécifiques, qui plus est dénués de tout pouvoir de décision, on légitime leur exclusion et on s’en accommode. Cette acceptation de la fracture démocratique porte un tort considérable à la valeur républicaine d’égalité. Elle conforte même les tenants d’une démocratie sans les résidents étrangers. Elle cautionne l’idée selon laquelle tous les habitants ne sont pas logés à la même enseigne. Elle affecte à certains d’entre eux une place à l’écart, hors du droit commun. Au fond, derrière les réformettes consultatives, pourrait se cacher la tentation de se demander pourquoi les étrangers deviendraient électeurs puisqu’ils peuvent donner leur avis.
Le droit commun doit rester une exigence. La démocratie représentative implique que les citoyens puissent élire et être élus. Les consultations, la participation, le souci de la cogestion de proximité ne valent rien si, par ailleurs, tous les habitants sans exception ne déterminent pas, à égalité, la politique à l’échelon de la ville, du département, de la région, de la nation et de l’Union européenne. Sans doute procèdera-t-on par étapes. Sans doute les étrangers pourront-ils d’abord voter et être élus aux élections municipales. Mais, puisque le gouvernement a encore choisi d’attendre, il doit immédiatement faciliter leur entrée de plain-pied dans les conseils de quartiers, dans les comités d’usagers des services publics, ou encore dans les conseils d’école.
* Sur ce thème de la citoyenneté et du droit de vote, on pourra se reporter à l’édito du n° 45 de Plein droit, qui a pour titre « Une citoyenneté très tricolore ».
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