Article extrait du Plein droit n° 50, juillet 2001
« L’enfermement des étrangers »

Entretien sur l’application des peines

Nathalie Ferré

 
Xavier Lameyre est juge de l’application des peines au tribunal de grande instance d’Evry et exerce ses fonctions à la prison de Fleury-Mérogis. Il a accepté de s’entretenir avec le Gisti sur le traitement des étrangers en prison. Jusqu’en décembre 2000, il n’y avait qu’un seul juge de l’application des peines pour prendre en charge les cinq bâtiments occupés par des hommes. Ils sont désormais deux. Un autre juge continue de s’occuper des femmes incarcérées et des jeunes détenus. Fleury-Mérogis est une maison d’arrêt, c’est-à-dire un lieu d’exécution des détentions provisoires et des courtes peines.

Gisti – Que représente la population étrangère à Fleury-Mérogis ?

Xavier Lameyre 

– Avant toute chose, la population carcérale a, de façon générale diminué. Il y a à peu près 2 500 hommes détenus, contre environ 3 800 en 1998. J’y vois deux explications, tout d’abord une baisse sensible des détentions provisoires due pour partie aux incidences de la loi du 15 juin 2000 (voir encadré) ; il y a ensuite le fait que certains types de contentieux (en particulier dans le domaine des infractions à la législation sur les stupéfiants) sont moins poursuivis. En revanche, la population étrangère bouge peu. Elle représente, pour les hommes, entre 41 et 43 % de la population carcérale et, pour les femmes, entre 55 et 61 %. Ces chiffres sont très nettement supérieurs aux statistiques nationales. La part des infractions à la législation sur les étrangers est très importante.

Que pouvez-vous faire pour les étrangers incarcérés « sans papiers » ?

X.L. 

– Pour les étrangers en situation irrégulière, sous le coup d’une interdiction du territoire français, d’un arrêté de reconduite à la frontière ou d’une expulsion, il n’existe qu’une seule possibilité d’aménagement de peine, la libération conditionnelle expulsion, dans les conditions prévues par l’article 729-2 du code de procédure pénale. Cette mesure concerne toutes les infractions, les infractions à la législation sur les étrangers comme les infractions de droit commun. Selon cet article, la libération conditionnelle, d’où son nom, est subordonnée à la condition que la mesure d’éloignement soit exécutée. Mais la loi prévoit que la mesure ne peut être décidée sans le consentement de l’intéressé. Beaucoup de juges de l’application des peines ne respectent pas cette condition et se dispensent du consentement des étrangers, ce qui est contraire à l’esprit des mesures d’aménagement de peines.

Est-ce que les étrangers acceptent la libération conditionnelle expulsion et l’exécutent-ils ?

X.L. –

Il n’y a pas de règle générale. Tout dépend des individus et de leur pays d’origine. J’ai tout de même remarqué que les personnes venant des anciens pays de l’Est acceptaient plus souvent une telle mesure. Le JAP doit se tenir au courant des conflits mondiaux. Des exemples de refus ? On peut mentionner le cas de mineurs, considérés comme majeurs à la suite d’expertises osseuses. Or, après discussion avec ces jeunes venant du Sierra-Leone, refoulés puis incarcérés pour refus d’embarquement, il s’est avéré qu’ils étaient vraiment mineurs… Je n’ai pas non plus obtenu le consentement de ressortissants iraniens ou irakiens qui avaient, par ailleurs, la qualité de réfugiés dans un autre État de l’Union européenne.

Concernant l’exécution, je dirais d’abord qu’il s’agit d’exécuter des interdictions du territoire français et non des mesures d’expulsion. A Fleury, à ma connaissance, il n’y a actuellement aucune procédure d’expulsion en cours ; en revanche, les juges ont largement recours aux ITF prévues par le code pénal. Le taux d’exécution des mesures de départ forcé pour les détenus bénéficiant d’une libération conditionnelle expulsion ou étant en fin de peine ne dépasse guère 50-55 %. Il est toutefois meilleur aujourd’hui qu’il y a quelques années.

L’aménagement de peine signifie-t-il nécessairement l’éloignement du territoire français ?

X.L. 

– On peut aussi utiliser les possibilités offertes par l’article 729-3 du code de procédure pénale qui dit que la libération conditionnelle peut être accordée à toute personne condamnée à une peine privative de liberté égale ou inférieure à quatre ans (ou si la peine restant à subir est inférieure ou égale à la même durée) « lorsque ce condamné exerce l’autorité parentale sur un enfant de moins de dix ans ayant chez ce parent sa résidence habituelle  ». Sur ce fondement, j’ai accordé la libération conditionnelle à un Péruvien, condamné à trois ans d’interdiction du territoire français.

Pour les étrangers qui ne sont pas frappés d’une mesure d’éloignement, on peut subordonner l’octroi de la libération conditionnelle à la condition d’un retour dans le pays d’origine (« quitter le territoire et n’y plus paraître »). Le suivi de la libération conditionnelle peut donner lieu à une coopération entre États, comme le prévoit la convention européenne de Strasbourg pour la surveillance des personnes condamnées ou libérées sous condition.

Et pour les étrangers condamnés pour séjour irrégulier, mais qui ne sont pas sous le coup d’une mesure d’éloignement ? Un aménagement de peine est-il envisageable ?

X.L. 

– Les cas sont peu fréquents. Un aménagement de peine dans une telle hypothèse ? Pourquoi pas si la personne dispose d’un logement et d’un travail.

Comme tous les JAP, je vérifie toujours la régularité du séjour avant de penser à une mesure d’aménagement de peine ; si la régularisation est en cours, je considère que c’est suffisant. Donc, face à un étranger condamné pour séjour irrégulier, sans mesure d’éloignement, et qui peut justifier de démarches administratives en cours (et susceptibles d’aboutir), je peux songer à un aménagement de peine.

De nouvelles garanties pour les condamnés



Depuis le 1er janvier 2001, les décisions du juge de l’application des peines doivent être motivées et sont susceptibles de recours. La loi du 15 juin 2000, renforçant la présomption d’innocence, offre en effet de nouvelles garanties aux condamnés, conformes à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le JAP doit désormais statuer contradictoirement : « les mesures de placement à l’extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et de suspension des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle sont accordées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par décision du juge de l’application des peines saisi d’office, sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République. Cette décision est rendue […] à l’issue d’un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l’application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat […]  ».

Les avocats font ainsi leur entrée dans l’exécution des peines, et les mesures d’aménagement de peines visées par le texte ne pourront être prises ou remises en cause qu’à l’issue d’un débat équilibré où les parties sont à même de défendre leur point de vue.

Par ailleurs, les décisions prises par le juge de l’application des peines ont désormais une nature juridictionnelle, ce qui signifie qu’elles peuvent faire l’objet d’un recours, un appel porté devant la chambre des appels correctionnels. La mise en place d’un débat contradictoire et la possibilité de contester les mesures prises par le JAP par la voie de l’appel offrent de nouvelles perspectives pour les personnes incarcérées, y compris évidemment les étrangers privés de fait et/ou de droit de la plupart des mesures d’aménagement de peine. Xavier Lameyre pour sa part se réjouit que « la juridictionnalisation soit enfin aboutie  ».

Que se passe-t-il pour les étrangers dont le titre de séjour arrive à échéance pendant la détention ?

X.L. 

– Il y a quelques années, les étrangers incarcérés rencontraient de grandes difficultés pour le renouvellement de leur titre, les préfectures exigeant qu’ils se présentent en personne. Cela leur portait préjudice et les privait de fait des mesures d’aménagement de peine (impossibilité de trouver un employeur prêt à les embaucher…). Selon la circulaire du 28 octobre 1998 du ministère de la justice adressée aux présidents des TGI et aux juges de l’application des peines, un JAP peut tout à fait accorder à un étranger dont la validité du titre a expiré, des permissions de sortir, des placements à l’extérieur ou la semi-liberté. Dans ce cas, la décision du JAP accordant la mesure d’aménagement justifie la présence de l’étranger en France sans titre, donc finalement « vaut titre de séjour ».

Intervenez-vous dans le cadre des requêtes en relèvement d’interdiction du territoire français ?

X.L. 

– Oui, nous donnons un avis sur les relèvements d’ITF, sur la base du comportement en détention et des informations fournies par le service pénitentiaire d’insertion et de probation. Je ne sais pas quel poids peut avoir cet avis, car les JAP ne sont pas destinataires des décisions en la matière.

Est-ce que les étrangers s’adressent souvent à vous ? Que vous demandent-ils ?

X.L. 

– Dans l’ensemble, les étrangers m’écrivent peu et demandent assez rarement à me voir. Ils désirent être entendus le plus souvent dans deux cas, soit pour une libération conditionnelle expulsion, soit pour une permission de sortir (dans le but de faire renouveler leurs papiers). Le détenu étranger sans projet de retour au pays ne fait pas signe au JAP.

L’aménagement des peines



Le placement à l’extérieur, la semi-liberté ou la libération conditionnelle, restent des mesures d’exception : 82 % des détenus libérés en 1996, n’en avaient pas bénéficié. La proportion d’étrangers en ayant bénéficié est encore bien moindre. Plusieurs explications peuvent être avancées : jusqu’en 1996 la durée d’emprisonnement moyenne des étrangers était inférieure à celle des Français. Or, la fréquence de l’aménagement des peines (et notamment des libérations conditionnelles) augmente avec la durée de celles-ci. Surtout, les étrangers frappés d’une interdiction du territoire français ou d’un arrêté de reconduite à la frontière ne peuvent bénéficier d’une remise de peine qu’à condition d’accepter une expulsion anticipée : seuls 7 % des détenus incarcérés suite à une infraction à la police des étrangers et libérés en 1996 ont ainsi bénéficié d’une libération conditionnelle. Au problème de la régularité du séjour s’ajoute celui des garanties de représentation (logement, travail…) analysées par le juge d’application des peines. Leur faiblesse explique aussi pourquoi seuls 3 % des étrangers condamnés pour vol sans violence ont bénéficié d’une mesure de libération conditionnelle contre 8 % des Français. Reste à comprendre pourquoi, en moyenne, les contrevenants à la législation sur les stupéfiants (sauf cession seule ou usage seul) bénéficient plus de libérations conditionnelles quand ils sont étrangers que lorsqu’il s’agit de Français (21,5 % contre 19 %) : au regard des critères analysés par les juges d’application des peines seraient-ils les étrangers les mieux intégrés ?...

Les chiffres ci-dessus sont tirés de Tournier Pierre, « Aménagement des peines privatives de liberté, des mesures d’exception », Questions pénales, juin 2000 et Kensey Annie, Tournier Pierre, Des aménagements d’exception, rapport au ministère de la justice, février 2000.

Et il y en a qui ont « des projets de retour au pays » ?

X.L. 

– J’ai donné des libérations conditionnelles sous condition de quitter le territoire pour des étrangers en transit ou des touristes ne faisant que passer. Ce fut le cas pendant la coupe du monde.

Y a-t-il quelque chose à dire de particulier sur le comportement des étrangers en prison ?

X.L. –

Les étrangers incarcérés pour infraction à la législation sur les étrangers sont tranquilles. Généralement, ils travaillent. Ils ont tenté leur chance pour vivre en France et ont échoué. L’emprisonnement les concernant n’a pas de sens, ne serait-ce qu’au regard du nombre de récidives. J’ai des dossiers de personnes condamnées à plusieurs ITF exécutées et qui reviennent. Pour les autres ? Je les connais peu, car ils n’ont rien à me demander le plus souvent. Les comportements sont variés mais il serait sans doute nécessaire de faire une étude sur les mutilations en prison car elles se révèlent assez nombreuses. ;



Article extrait du n°50

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Dernier ajout : vendredi 18 avril 2014, 20:21
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