Article extrait du Plein droit n° 36-37, décembre 1997
« La République bornée »

Des associations domiennes se mobilisent

Dans les DOM-TOM, de nombreuses associations se sont constituées pour défendre les étrangers, dénoncer le non-droit dont ils sont victimes, et réclamer l’extension de l’application des textes et réglementations à la France entière et non à la seule métropole. Nous publions ici des communiqués de plusieurs de ces associations.

ASSOKA
Asosyasion Solidarité Karaïb

Le nouveau gouvernement français vient de prendre l’engagement devant le Collectif des “sans-papiers” de procéder à une régularisation massive d’étrangers en situation irrégulière ayant des liens étroits avec le territoire national français ou étant en détresse humaine.

Même si cette déclaration n’est pas exactement conforme aux promesses du Parti socialiste lors des événements de l’Église Saint-Bernard en août 1996, c’est incontestablement un acquis significatif pour tous ceux qui sont attachés au respect de la personne humaine. C’est aussi et avant tout le fruit de la lutte des “sans-papiers” depuis près de deux années.

Pour l’ASSOKA, il s’agit de faire que cette régularisation s’applique aussi à la Martinique.

Il convient de rappeler que depuis la mise en application de l’ordonnance de 1945 dans notre pays à travers la loi Bonnet, jamais il n’y a eu une régularisation d’étrangers en Martinique.

Sciemment, l’administration préfectorale, avec la complicité des politiciens traditionnels de toutes tendances, avait saboté la régularisation de 1982. Il en avait été de même pour celle de 1990.

Les appels visant à voir procéder à une régularisation basée sur des critères précis dans notre pays comme cela avait été le cas à Saint-Martin en 1992, s’étaient heurtés au mur de la xénophobie anti-caribéenne régnant à la préfecture de la Martinique.

Aujourd’hui, vivent en Martinique des centaines d’étrangers depuis des années, ayant des enfants ou un conjoint français, à qui la régularisation est refusée de manière scandaleuse ou à qui la préfecture refuse d’attribuer une carte de séjour de dix ans.

Cette situation ne peut plus durer. Elle est inhumaine et contraire à l’ambition et l’intérêt de notre peuple à entretenir des relations normales avec les autres peuples de la Caraïbe.

L’ASSOKA exige que la régularisation prévue en France s’applique aussi à la Martinique.

Elle va immédiatement entreprendre des démarches et des interpellations pour que les autorités françaises n’échappent pas une fois de plus à leurs responsabilités.

Nous appelons les Martiniquais, citoyens élus ou organisations, à réclamer du gouvernement français que la régularisation des étrangers s’applique aussi à la Martinique.

Fort-de-France, le 12 juin 1997

Ordre des avocats du Barreau de la Guyane

Nous, avocats soussignés du Barreau de la Guyane avons pris connaissance du projet du gouvernement destiné à régulariser sous certains critères la situation des « sans-papiers ».

Nous avons été informés des propositions du député-maire de Saint-Laurent du Maroni visant à ce qu’un sort différent et plus restrictif soit réservé aux « sans-papiers » vivant sur notre sol.

Une circulaire du 24 juin 1997, émanant du ministre de l’intérieur préconise de procéder à un réexamen de la situation de certaines catégories d’étrangers en situation irrégulière et de leur délivrer un titre de séjour.

Ce texte dispose expressément qu’il ne saurait préjuger celui du projet de loi qui sera soumis à l’automne au parlement.

Cependant, cette circulaire s’adresse à « Mesdames et Messieurs les préfets (métropole) ».

Il semblerait donc que d’ores et déjà la Guyane soit exclue du projet et ce alors même qu’il s’agit, selon ce texte, de « garantir l’intégration républicaine ».

Nous nous opposons à toute forme de sectarisme.

Au contraire, nous considérons qu’il convient de régler définitivement la situation des « sans-papiers » par ailleurs intégrés dans notre société.

Ces personnes que nous côtoyons et qui nous interpellent régulièrement de manière désespérée pour assurer leur défense, vivent dans la hantise de voir remise en question leur vie et celle de leurs enfants, nés et scolarisés en Guyane, et ce alors même qu’ils ont souvent déjà obtenu des permis de séjour temporaires délivrés par la préfecture…

La régularisation envisagée ne concerne que des immigrés ne pouvant être expulsés pour diverses raisons de droit, mais sans titre de séjour, et qui n’ont jamais commis le moindre délit.

Trop souvent l’amalgame est fait entre d’une part l’« immigration clandestine » et, d’autre part, la situation de personnes intégrées à notre société mais qui, par suite de l’incohérence de la loi, se trouvent dans l’impossibilité de régulariser leur situation.

C’est pourquoi, dans le cas de la Guyane, des moyens administratifs particuliers devraient être mis en œuvre pour recenser les « sans-papiers » afin d’assainir la situation et permettre leur intégration définitive tant sur le plan humain et familial qu’économique, social et fiscal.

Seule une telle attitude, empreinte d’humanité et de dignité, est conforme aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et à celle de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui instituent un droit fondamental à la vie familiale.

Cayenne, le 27 juin 1997

Amnesty international
Asosyasion solidarité Karaïb (ASSOKA)
Association des Haïtiens en Martinique
Association Martinique-Sainte-Lucie
Haïma
Fraternité africaine

Fort-de-France, le 21 juin 1997

Monsieur le Premier ministre,

Monsieur le ministre de l’Intérieur,

L’ensemble de nos associations est particulièrement investi dans la défense des droits des immigrés dans notre pays, la Martinique.

Comme vous devez le savoir, l’application du droit commun, l’ordonnance de 1945, est particulièrement récente, en 1979, dans les départements d’outre-mer. Aujourd’hui encore, de la volonté du législateur, la loi est appliquée de manière incomplète, particulièrement quant aux dispositions protectrices des droits des étrangers.

Nous espérons donc que, dans le cadre de votre référence au pacte républicain, vous ferez qu’à l’avenir les droits des étrangers soient aussi appliqués dans notre pays.

Cependant, au-delà de la théorie, il y a la pratique de l’administration préfectorale en Martinique qui est peu soucieuse d’appliquer la loi telle qu’elle est, mais en fait une interprétation particulièrement restrictive.

A titre de simple exemple, la préfecture de la Martinique a comme politique de délivrer des cartes de séjour d’un an, même quand l’étranger a droit à une carte de dix ans. Ceci permet de précariser les communautés étrangères dans notre pays, astreintes en permanence à des enquêtes de police et de gendarmerie pour les renouvellements de titre de séjour.

Nous avions déjà eu l’occasion d’attirer l’attention de Monsieur le préfet sur cette situation, mais celui-ci n’a pas donné suite à notre demande d’audience.

Il convient de savoir aussi que les régularisations exceptionnelles de 1981 et de la fin des années quatre-vingt n’ont jamais été mises en pratique en Martinique. Tel est aussi le cas en Guadeloupe et en Guyane où la situation est encore plus grave, comme l’ont démontré l’accident d’avion de décembre 1995 ainsi que les événements de Saint-Martin en fin d’année 1995.

Présentement, les médias font état d’un engagement de votre gouvernement à procéder à une régularisation des “sans-papiers”.

Du fait de l’absence de régularisation après 1979 et de la politique restrictive de la préfecture, les “sans-papiers” sont nombreux en Martinique.

L’intervention de nos associations près de vous vise à faire que, cette fois, la politique de régularisation s’applique aussi à la Martinique et que, dans le même temps, des cartes de dix ans soient attribuées à ceux qui y ont droit.

Nous espérons vivement que cette revendication, qui ne fait que demander l’application du droit, sera prise en compte.

Enfin, il serait équitable qu’en attente de la mise en place de ces circulaires, vous donniez pour instruction à l’administration en Martinique de suspendre toute expulsion.

Nos associations resteront vigilantes sur ces points.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, Monsieur le ministre de l’Intérieur, à l’expression de nos sentiments distingués.



Article extrait du n°36-37

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Dernier ajout : mardi 2 juin 2015, 18:29
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