Article extrait du Plein droit n° 10, mai 1990
« Le droit d’asile en question »
Nationalité : les tribunaux font la loi
En pratique, la procédure est semée d’embûches tant de forme — la durée de l’instruction des dossiers s’est nettement rallongée ces derniers temps — que de fond. Est-ce l’augmentation substantielle du nombre des déclarations (contrairement aux réintégrations ou aux naturalisations) qui a freiné les pouvoirs publics ? Toujours est-il que ces obstacles ne sont pas conformes aux prises de position politiques récentes qui laissaient présumer d’une bonne volonté dans l’accès à la nationalité française : « Je souhaite rendre plus accessible l’accès à la nationalité française non pas en modifiant le code de la nationalité mais en essayant d’accélérer le traitement des dossiers » (Déclaration faite par Claude Évin devant le Fonds d’Action Sociale le 10 février 1989).
Les déclarations de nationalité s’avèrent en fait plus difficiles à enregistrer… que les déclarations d’intention.
Aujourd’hui, la procédure de déclaration concerne environ 30 000 dossiers par an. Entre 1980 et 1988, l’augmentation la plus forte du nombre de déclarations a concerné les mineurs. Dans ce cas, la démarche est assurée par les parents et cet acte volontaire des parents au nom et pour le compte de leurs enfants est le plus souvent considéré comme le moyen, pour la mère ou le père, de régulariser sa situation administrative au regard du séjour en France. C’est la raison pour laquelle l’administration se montre davantage exigeante dans la production des documents et stricte dans l’examen des conditions requises par les textes.
Au-delà de la réglementation en matière de déclaration par anticipation — que nous rappellerons -, nous avons souhaité procéder à une enquête de terrain auprès de quelques tribunaux d’instance de Paris, afin de connaître leurs pratiques et leurs exigences.
Quels sont les textes applicables en la matière ?
L’article 54 du code de la nationalité donne la possibilité au gardien de l’enfant né en France d’anticiper sur la nationalité française de celui-ci (qui deviendra en effet automatiquement français à 18 ans s’il a résidé en France de 13 à 18 ans) en s’adressant au tribunal d’instance, seule juridiction compétente pour délivrer les certificats de nationalité française et procéder à l’enregistrement de la déclaration.
À partir du moment où le « gardien » a reçu un récépissé de sa demande, le délai pour l’enregistrement commence à courir. Le ministère chargé des naturalisations dispose alors de six mois pour l’instruction du dossier, c’est-à-dire pour vérifier que les conditions légales sont satisfaites. Il s’agit là d’un délai impératif et non d’un vœu pieux qui serait dénué de tout effet juridique en cas de dépassement. Au bout de six mois, en effet, l’enregistrement est de droit (articles 105 et 107 du code de la nationalité).
Or, en pratique, les intéressés n’obtiennent pas copie de la déclaration à échéance normale : la durée d’instruction est souvent doublée. À plusieurs reprises, le tribunal de grande instance de Paris a enjoint aux tribunaux d’instance récalcitrants de délivrer aux ressortissants étrangers le certificat de nationalité auquel ils ont droit mais qui ne leur est pas remis à terme faute de réponse du ministère (de plus en plus souvent, les tribunaux vérifient si les conditions de fond sont remplies avant de statuer sur le vice de forme).
En marge de la loi
Et on voit alors se développer des pratiques tout à fait contestables et en marge de la loi :
Monsieur L… a souscrit pour son fils une déclaration de nationalité française. Après la constitution du dossier, il reçoit un récépissé daté (la date commençant à faire courir le délai). Au bout d’un an, il n’a toujours pas de réponse et demande par écrit au tribunal d’instance de Montmorency de procéder à l’enregistrement de la déclaration.
Le tribunal se renseigne auprès du ministère et répond à Monsieur L… que « le délai d’enregistrement prévu (six mois) est passé, depuis plus de deux ans, à un an du fait du manque de personnel du ministère pour traiter les dossiers et de la recrudescence des demandes de déclarations de nationalité ».
Ainsi, les problèmes de fonctionnement du ministère priment sur les dispositions légales qui prévoient des délais en principe impératifs : une circulaire récente va même jusqu’à conseiller aux tribunaux d’instance de faire « au mieux », c’est-à-dire de respecter les délais dans la mesure où cela est compatible avec l’organisation interne de l’administration ! Quant aux conditions de fond, elles peuvent elles aussi, faire l’objet de discussions et de critiques.
Un détournement de sens
Pour que le jeune acquière automatiquement la nationalité française à l’âge de dix-huit ans, il faut qu’il réside en France de façon habituelle de treize à dix-huit ans (la condition de régularité du séjour n’est plus requise depuis la loi du 22 décembre 1961). Quand le « gardien » procède à une déclaration au nom et pour le compte de son enfant mineur, la condition de résidence de cinq ans est reportée sur sa tête. Les textes actuels du code de la nationalité ne parlent que de « résidence habituelle » ; de même que les anciens se référaient à la notion de domicile de nationalité : la cour de cassation entend ces deux concepts de » résidence » ou de « domicile de nationalité » dans le sens d’une résidence effective présentant un caractère stable et permanent et coïncidant avec le_ centre des attaches familiales et des occupations professionnelles. C’est une notion de fait, indépendante semble-t-il de la situation administrative de l’intéressé.
Or, dans la pratique, on réclame au gardien de l’enfant son titre de séjour en cours de validité. S’il n’en possède pas, c’est le refus systématique, quelle que soit la durée de sa présence en France. Si le gardien n’est titulaire que d’une carte de séjour « étudiant », les autorités compétentes considèrent qu’il n’a pas fait de la France le centre de ses intérêts tant familiaux que professionnels puisqu’il a vocation à repartir. La naissance d’un enfant en France est cependant là pour faire la preuve du contraire même si, effectivement, l’acquisition de la nationalité française par l’enfant permet au père et/ou à la mère de stabiliser son droit au séjour.
La position de l’administration s’avère encore plus discutable quand elle réclame aux deux parents un titre de séjour en cours de validité. L’article 54 du code déjà cité parle de « gardien » au singulier. Dès lors, en admettant même que l’on exige la possession d’un titre de séjour par l’un des deux parents comme garantie de la stabilité du séjour, il paraît tout à fait abusif de l’exiger des deux parents.
Des dossiers de plus en plus lourds
La circulaire du 12 août 1988 relative à la constitution des dossiers de déclarations fait le récapitulatif des pièces devant être exigées aux « parents ou aux personnes exerçant l’autorité parentale ». Le déclarant, entendu comme le père, doit prouver la résidence en France de son épouse, c’est-à-dire :
- qu’elle habite effectivement en France au moment de la demande, tout document pouvant l’établir (figurer comme ayant droit sur la carte d’affiliation à la sécurité sociale du mari, par exemple) ;
- qu’elle remplit elle aussi la condition de cinq ans de résidence en France. Le problème s’est alors posé de savoir si cette résidence devait être prouvée par la production d’un titre de séjour. Sur ce point, le flou de la circulaire permet en fait une interprétation souple : elle envisage la preuve du séjour de l’épouse par tout document tel que le titre de séjour ; elle ouvre donc la porte à tout autre moyen de preuve.
Cependant, à la lecture de bon nombre de formulaires distribués aux candidats à l’article 54 par les tribunaux d’instance, force est de constater que la liste des pièces à fournir a tendance à s’allonger. Ainsi, à Noisy-le-Sec, on exige, outre un certain nombre de documents relatifs à l’état-civil et au mariage des parents, les attestations de résidence de plus de cinq ans au jour de la souscription de la déclaration (délivrées au vu des cartes de séjour par la préfecture de Bobigny) concernant les deux parents, la photocopie et l’original de la carte de séjour de chaque parent, etc. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la confiance ne règne pas.
Comme ailleurs, les quelques tribunaux d’instance parisiens contactés ont confirmé cette pratique : pas de déclaration de nationalité possible si les parents ne produisent pas leur titre de séjour. L’exigence de la présentation, lors du dépôt de dossier, de la carte de séjour de la mère ou du père prouve la suspicion généralisée portée sur la motivation des parents. Ainsi, on a pu entendre un greffier nous dire : « Nous ne sommes pas dupes des motifs qui poussent tant d’étrangers à faire une déclaration de nationalité au nom de leur enfant ». La rudesse des propos laisse présager de l’accueil réservé aux familles…
Pourquoi cette réticence à accorder la nationalité, par application du jus solis, quand les parents font la démarche par anticipation, au nom de leur enfant mineur ? Quand bien même l’accès à la nationalité française a permis et permet encore — de moins en moins souvent cependant — de débloquer des situations administratives inextricables dans lesquelles peut se retrouver l’un des deux parents, il n’y a pas pour autant une intention malveillante ou blâmable de la part des intéressés. Le code de la nationalité contient des dispositions légales explicites que l’administration est tenue d’appliquer strictement. D’autre part, la démarche entreprise par les parents témoigne d’une volonté claire de s’installer durablement en France.
La réglementation tient de toute façon sa part de responsabilité dans ce qu’on tend communément à appeler « les détournements de procédure ». En effet, comment reprocher à des mères de familles arrivées en dehors de la procédure de regroupement familial de vouloir mettre un terme à des années de séjour irrégulier, en saisissant parfois l’opportunité de la déclaration de nationalité de leur(s) enfant(s).
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