Article extrait du Plein droit n° 10, mai 1990
« Le droit d’asile en question »
Un droit d’asile au rendement ?
Il y a quelques semaines, nous avions exprimé nos inquiétudes quant à la dégradation du droit d’asile en France. Pressentant que les diverses déclarations publiques de différents hommes politiques assimilant demandeurs d’asile et « faux réfugiés », demandeurs d’asile et clandestins, conduisaient à accentuer une politique défavorable au droit d’asile, nous avions sollicité du gouvernement une concertation en ce domaine. Si nous avons été reçus par M. Hubert Prévot, Secrétaire général du Comité interministériel à l’Intégration, lequel a enregistré notre souhait de concertation, le Premier ministre est resté sourd à notre demande. Aujourd’hui, ce que nous craignions est en train de se produire.
Rappelons que la reconnaissance du statut de réfugié est confiée à deux organismes : en première instance l’OFPRA et, en cas de décision défavorable, la commission de recours. L’OFPRA reçoit les dossiers. En son sein, les officiers de protection examinent les dossiers et doivent normalement s’entretenir avec le requérant avant que la décision soit prise. Si cette décision s’avère défavorable, la commission de recours est saisie du dossier, peut entendre le requérant et tranche en dernier ressort.
Depuis plus de dix ans, en raison de la carence des gouvernements successifs, ces organismes n’ont pas eu les moyens de remplir leur mission.
L’on a donc assisté à la création de véritables « stocks » de dossiers en retard, ce qui a amené des procédures à durer de deux à cinq ans ! Encore convient-il de souligner que la constitution du dit « stock » ne date pas d’aujourd’hui mais d’une époque où le nombre des demandeurs d’asile était de 19 000 (en 1980). L’augmentation des demandes enregistrée depuis (61 000 en 1989) n’a pas amélioré la situation et n’a fait que gonfler le « stock ».
Certes, en 1983 et 1987-88, des décisions de renforcement des effectifs et des équipements ont été prises. Mais, prises trop tard, trop peu importantes et souvent mal dirigées, ces mesures n’ont en aucun cas permis de résoudre le problème.
Aujourd’hui, le gouvernement vient de prendre la décision d’augmenter de manière significative le budget de l’OFPRA, dont les efforts de réorganisation sont appréciables, et celui de la commission de recours. Mais, sans attendre que ces mesures produisent leurs effets, il est demandé à l’OFPRA, dans un premier temps, d’augmenter son « rendement » de 50 % en janvier 1990, et de 100 % en février 1990, le tout devant aboutir à un apurement des stocks pour juin 1990.
Les dossiers nouveaux, quant à eux, doivent être traités en trois mois. Au total, on estime à 80 000 les dossiers qui doivent être traités avant la fin du semestre ; alors que la totalité du personnel supplémentaire n’est toujours pas en place et encore moins formée.
Sans doute, afin de « motiver » les agents de l’OFPRA, est-il prévu de leur attribuer une prime de rendement dont le montant sera variable en fonction de l’objectif atteint. Encore n’est-ce là que l’aspect « carotte », car l’aspect « bâton », c’est la menace de morceler l’OFPRA en plusieurs centres régionaux si l’objectif n’est pas atteint.
Un travail déshumanisé
Tout cela n’est ni convenable ni sérieux.
Que l’on nous comprenne bien : nous n’avons pas attendu les derniers émois gouvernementaux pour demander que les dossiers soient traités dans des délais normaux et non pas en deux ou cinq ans. Mais nous avons toujours demandé aussi que les dossiers soient traités de manière normale et équitable !
Les mesures prises par le gouvernement ne sont pas de nature à nous laisser croire qu’il en sera ainsi. Comment ne pas s’interroger sur la valeur de décisions qui seront prises, quelles que soient la bonne volonté et la conscience professionnelle des agents de l’OFPRA qui ne sont pas ici en cause, dans une atmosphère de précipitation ?
Comment ne pas craindre qu’atm de satisfaire au « rendement » sollicité, il soit de plus en plus difficile aux agents de l’OFPRA de convoquer et d’entendre un nombre significatif de demandeurs, alors que nul n’ignore que c’est là un des moyens essentiels de traiter convenablement un dossier ?
Comment, enfin, ne pas penser que le sens même des décisions rendues sera influencé par la marque d’une volonté politique de restriction de l’accès au droit d’asile ?
Notre inquiétude est d’autant plus vive que l’OFPRA avait déjà manifesté de telles tendances : nous en voulons pour preuve le rejet quasi-systématique des demandes des ressortissants Sri-Lankais avant que l’on ne se rende compte que l’on ne pouvait les renvoyer chez eux sous peine de mettre leur vie en danger !
Encore ne rentrons-nous par dans les détails techniques des nouvelles directives en matière de procédure où l’on voit que l’erreur ou l’oubli pourront conduire le demandeur d’asile à des problèmes insolubles.
Sans même examiner les autres conséquences d’une telle politique (que fera la commission de recours face à un afflux de réclamations, comment pourra-t-elle les traiter ?), force est de constater que le gouvernement nous sert là ce que nous n’osions imaginer : un droit d’asile au « rendement » !
Entre des procédures s’étalant jusqu’à cinq ans et une procédure expéditive de trois mois, il y a moyen de faire autrement.
Mais la volonté politique de faire autrement existe-t-elle ?
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