Édito extrait du Plein droit n° 4, juillet 1988
« L’emploi immigré dans la crise »
Et maintenant ?
ÉDITO
Le 8 mai au soir, bon nombre de Français et la quasi-totalité des étrangers en France ont éprouvé un immense sentiment de soulagement, avec la claire conscience d’avoir échappé au pire. Mais qui pourrait dire, aujourd’hui, avec certitude ce que va être l’attitude du nouveau gouvernement à l’égard des immigrés ?
Une chose paraît sûre : on ne touchera pas dans l’immédiat au code de la nationalité, et c’est heureux. Mais pour le reste ? À la lumière de la politique menée par la gauche entre 1983 et 1986 et à la lumière de ce qui s’est dit (ou ne s’est pas dit) au cours de la campagne présidentielle, on peut s’interroger sur les intentions des responsables politiques concernant l’ensemble des problèmes de l’immigration.
En tout état de cause, le minimum de ce que nous sommes en droit d’attendre du nouveau gouvernement quel qu’il soit, c’est qu’il mette un terme aux excès auxquels a conduit la politique de son prédécesseur. Même si le Président-candidat a manifesté son légitime désir de ne pas voir bouleverser sans cesse la législation, on ne comprendrait pas que les dispositions les plus détestables de la loi Pasqua ne soient pas abrogées et remplacées par d’autres, plus conformes à l’idée qu’on doit se faire des droits de l’homme : on ne comprendrait pas, par exemple, que ne soient pas immédiatement rétablies des garanties de procédure – judiciaires ou autres, on peut en débattre – en matière de reconduite à la frontière ; et que ne soit pas réaffirmé le droit absolu, pour les étrangers entrés en France avant l’âge de dix ans, de demeurer sur le territoire, quelles que soient les fautes qu’ils aient pu commettre.
Pour notre part, nous attendons également du nouveau gouvernement :
- qu’il revienne sur la décision prise en septembre 1986 d’imposer des visas de circulation, dont la délivrance est l’occasion de vexations et d’abus multiples de la part des autorités chargées de les établir, et qu’il abroge cette monstruosité juridique qu’est le visa préfectoral de sortie pour les étrangers résidant en France ;
- qu’il revienne sur l’interprétation restrictive de l’ordonnance de 1945, qui conduit à ôter toute signification à la notion même de « plein droit », en refusant la délivrance d’une carte de résident à toute personne qui n’est pas en situation régulière – voire à toute personne démunie d’un visa en cours de validité – au moment du dépôt de la demande ;
- qu’il prenne les mesures nécessaires pour sortir de l’impasse où ils se trouvent actuellement les conjoints de Français, et surtout les jeunes entrés en France entre dix et seize ans et dont on refuse de régulariser la situation alors que toute leur famille est établie en France et qu’ils n’ont pas d’attaches ailleurs qu’ici ;
- qu’il apure enfin, et une fois pour toutes, la situation des familles qui, entrées en France depuis des années, bien avant les mesures restrictives de 1984, n’ont toujours pas obtenu leur régularisation et sont contraintes de vivre dans une précarité et une insécurité que ne manqueraient pas d’accroître les mesures prises récemment en vue de restreindre la protection sociale aux seules personnes détentrices de titres de séjour.
Voilà pour le court terme. Mais le nouveau pouvoir sera aussi jugé sur sa capacité à tracer – autrement que dans des déclarations d’intention – les grandes lignes d’une véritable politique d’insertion – professionnelle, économique, sociale et politique (droit de vote aux élections locales) – de la population immigrée résidant en France.
Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis quinze ans se sont polarisés presque exclusivement sur le problème de l’immigration « clandestine » et se sont livrés à une véritable surenchère dans la répression. Pour la société française elle-même, il apparaît que cette politique à courte vue a été catastrophique. Maintenant, il y a urgence. Car la crise dissout les solidarités, fragilise le tissu social, accroît les tensions.
La crise, au demeurant, ne frappe pas seulement les Français, mais, bien sûr, aussi les immigrés : c’est ce que nous voulons montrer dans le dossier consacré à « l’emploi immigré dans la crise ». Tout d’abord, parce qu’ils sont touchés par le chômage dans une proportion désormais plus importante que les travailleurs de nationalité française. Ensuite, parce que la crise a modifié la fonction économique remplie par l’emploi immigré : le besoin d’une main-d’œuvre malléable et flexible se traduit à la fois par une précarisation générale de l’emploi, avec la multiplication de situations « intermédiaires » entre le chômage et l’activité, et par un recours accru au travail clandestin, que par ailleurs on fait mine de combattre. Et cette précarisation pourrait bien déboucher, si l’on n’y prend garde, après l’ouverture généralisée des frontières européennes à partir de 1993, sur l’institutionnalisation d’un double marché du travail, dont les immigrés seraient encore les premières victimes.
Autre incidence de la crise sur les travailleurs immigrés : l’aide à la réinsertion, conçue comme l’une des mesures du traitement social du chômage, et proposée aux étrangers licenciés pour motif économique ou sur le point de l’être. Là encore, tant l’expérience française que les expériences étrangères montrent clairement les limites des dispositifs mis en place : le retour, dans les termes où il est conçu, n’est une solution ni pour les intéressés eux-mêmes, ni pour les pays d’origine, ni pour les pays d’accueil où il peut même produire localement des effets pervers.
Élément encourageant, toutefois, dans ce tableau plutôt sombre : le dynamisme qu’on rencontre dans certains secteurs de l’immigration, et notamment – mais pas seulement – parmi les jeunes des cités, généralement considérés comme voués au chômage et à la marginalité. Un dynamisme et un esprit d’initiative qui se concrétise en particulier – air du temps oblige – dans la création d’entreprises. Ces réussites, il convenait aussi de les rappeler, fût-ce de façon fragmentaire et incomplète.
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