Article extrait du Plein droit n° 22-23, octobre 1993
« De legibus xenophobis »

Le Gisti en action

Cette nouvelle rubrique a pour but d’informer les lecteurs de Plein droit des prises de position du Gisti sur des sujets d’actualité. Communiqués et lettres ouvertes ont parfois été mentionnés dans la presse, mais souvent de manière succincte. Il nous donc paru important de donner à nos lecteurs le contenu intégral de ces réactions.

Un collectif de défense des couples mixtes

Communiqué de presse

Le CNAFAL (Conseil national des associations familiales laïques)
La CSF (Confédération syndicale des familles)
Les APFS (Associations populaires familiales syndicales)
avec la collaboration du GISTI (Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés), ont décidé de mettre en place un Comité pour la défense du mariage des couples mixtes et l’acquisition d’un statut pour les conjoints étrangers.

Le droit au mariage et celui de vivre en famille sont des droits fondamentaux inscrits notamment dans la Convention européenne des droits de l’homme. Aujourd’hui, comme en a fait état la presse, les exemples se multiplient de couples que l’on interdit de mariage ou que l’on sépare quelques semaines après qu’ils aient convolé en justes noces. En effet, la loi du 24 août 1993 subordonne la délivrance de pleins droit de la carte de résident pour les conjoints de Français à la double condition que le mariage ait eu lieu depuis plus d’un an et que la communauté de vie soit effective.

Les quatre organisations précitées demanderont aux pouvoirs publics de revenir sur des décisions qui bafouent les principes qui ont fondé la République. Ils appellent les intéressés à se faire connaître soit auprès des instances nationales des organisations, soit auprès de leurs instances départementales, et à participer à l’élaboration de propositions et revendications qui les concernent directement.

À Paris,

Le 4 novembre 1993


Mort de faim en prison

Communiqué commun
Syndicat des Avocats de France - GISTI

Ainsi donc, nous en sommes là :
Le citoyen du monde Ignace Mabassa était en prison pour quatre mois. Séjour irrégulier.
Incarcéré fans une prison surpeuplée, il est mort d’épuisement et de faim, dans l’indifférence générale.

Le Syndicat des avocats de France et le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés sont indignés par cette mort scandaleuse.
Au-delà des responsabilités immédiates, qui seront (peut-être) établies, ils rappellent que la politique pénale et carcérale de la France est contraire aux droits de l’homme les plus élémentaires et condamnée comme telle par les organisations non gouvernementales.
Qui ne connaît la discrimination institutionnelle organisée par la loi qui maintient la double peine pour l’étranger ?
Cette discrimination entre dans les esprits, voilà le plus inquiétant.
Un homme pèse 30 kg et il « est trouvé mort dans sa cellule » selon le communiqué embarrassé et une hypocrite prudence du ministère de la Justice.
Lorsque l’on confond démagogie et politique pénale et que l’on n’a plus les moyens d’assurer la sécurité des personnes que l’on a sous sa garde, il ne reste plus alors qu’à céder, comme la Chancellerie vient de le faire, à l’explication de la mort de Mabassa par le comportement de celui-ci.

Devant cette irresponsabilité criminelle, le Gisti et le SAF considèrent que rompre avec la politique du tout carcéral est devenu une exigence civique.

Paris, le 4 janvier 1994

La démission du Gisti de la Commission nationale consultative des droits de l’homme

Paris, le 18 novembre 1993

Monsieur Paul Bouchet
Président de la Commission nationale
consultative des droits de l’homme
35, rue Saint-Dominique
75700 Paris

Monsieur le Président,

Le GISTI a décidé de se retirer de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Cette décision ne vous surprendra pas, je pense. Il y a un certain temps, en effet, que nous nous interrogions sur le sens de notre présence au sein de la Commission et, plus généralement, sur le rôle même de la Commission, dans un contexte où les droits fondamentaux d’une partie de la population, celle que notre association s’est donné plus particulièrement pour mission de défendre, c’est-à-dire les étrangers, sont depuis quelques années progressivement et méthodiquement restreints, et depuis quelques mois, systématiquement et gravement bafoués.

Vous le savez pour nous l’avoir souvent reproché, ne partageant pas sur ce point notre scepticisme, nous avons toujours douté de la capacité de la Commission à jouer pleinement son rôle de gardien des droits de l’homme en dehors des domaines qui ne représentent pas un enjeu politique immédiat pour les autorités gouvernementales (je pense notamment à l’éducation aux droits de l’homme).

C’est ainsi que toutes les mises en garde de la Commission en matière de droit d’asile n’ont empêché les pouvoirs publics ni de s’engager dans le processus de Schengen puis de Dublin, ni d’instaurer des sanctions pour les transporteurs aériens, ni de supprimer le droit au travail pour les demandeurs d’asile, ni de créer les zones d’attente.

C’est ainsi, de même, qu’à la suite du rapport - dont vous m’aviez confié la rédaction - et de l’avis rendu par la Commission à propos du fichier informatisé de gestion des étrangers, le ministère de l’Intérieur n’a pas cru bon d’apporter la moindre modification à son projet initial et pas une seule des garanties que nous suggérions pour limiter les risques inhérents à un fichier de ce type n’a été introduite dans le décret créant ce traitement.

La seule affaire importante dans laquelle la Commission a été sinon entièrement suivie - loin s’en faut - mais partiellement écoutée, concerne le fichier des renseignements généraux, où elle a obtenu que soit inscrit dans le décret un droit d’accès plus ouvert que ce qui était primitivement prévu.

Si, malgré son scepticisme quant à l’efficacité concrète du travail fourni par la Commission, le Gisti a continué à siéger en son sein, c’est parce qu’il avait le sentiment que les réactions vigoureuses de la Commission pouvaient ponctuellement être entendues, comme ce fut le cas lorsqu’elle émit une protestation unanime contre l’« amendement Marchand ». Protestation qui n’a pas empêché au demeurant le gouvernement d’instaurer par la suite, à défaut de zones de transit, des zones d’attente...

Mais, précisément au moment où des atteintes de plus en plus caractérisées sont portées aux droits de l’homme, et en particulier - mais pas exclusivement - aux droits des étrangers, nous constatons que la Commission consultative des droits de l’homme, au lieu d’adapter la vigueur de ses réactions à la situation ainsi créée, semble au contraire perdre sa capacité d’indignation et ne réagit plus qu’avec une extrême mollesse à ces atteintes, comme en témoignent, entre autres, l’avis adopté à propos de la réforme du code de la nationalité et l’absence totale de réaction de la Commission plénière après l’entrée en vigueur de la loi Pasqua.

En restant au sein de la Commission dans les circonstances actuelles, nous aurions donc le sentiment de servir de caution à des entreprises que nous condamnons.

C’est la raison pour laquelle, Monsieur le Président, nous avons décidé de nous en retirer.

Danièle Lochak

Le dépôt de la préfecture de police de Paris et la rétention des étrangers

LETTRE OUVERTE

Le 12 novembre 1993

Monsieur Charles Pasqua
Ministre d’État
Ministre de l’intérieur et de
l’aménagement du territoire
Place Beauvau 75008 Paris

Monsieur le Ministre d’État,

Les conditions dégradantes auxquelles sont astreints les étrangers placés en rétention au Dépôt de la préfecture de police à Paris ne sont pas tolérables. Dès 1991, le Conseil de l’Europe s’était ému de cette situation. Rien n’a changé depuis lors. Votre immobilisme à cet égard, comme celui des responsables qui vous ont précédé, témoigne du mépris croissant dans lequel la France tient les étrangers venus des pays défavorisés de la planète.

S’il n’en était pas ainsi, il aurait été facile d’améliorer les conditions d’existence dans ce centre de rétention. Leur pérennisation est à l’image de la politique générale de la France à l’encontre des immigrés, fondée sur la suppression et la fragilisation progressives de leurs droits. De ce point de vue, la loi du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France est un modèle du genre, puisque la rétention administrative y est devenue « normale » dans toute procédure d’éloignement alors qu’elle était auparavant « exceptionnelle ». De même, dans son projet initial, cette loi a institué une « rétention judiciaire » de trois mois contre les étrangers non admis ou éloignés dépourvus de titres de voyage.

Malgré son invalidation par le Conseil constitutionnel, vous allez proposer au Parlement d’adopter prochainement cette mesure, agrémentée de quelques garanties secondaires.

Alors même que vous vous efforcez donc de multiplier les cas de rétention et la durée de cette privation de liberté, vous ne vous êtes aucunement soucié d’humaniser les conditions d’existence déjà dégradantes du Dépôt de la Cité. C’est évidemment pourquoi il est protégé par le secret et rendu, depuis de longues années, inaccessible à la presse et aux avocats. Cette politique du « ni vu ni connu » en dit long sur l’absence de toute intention d’améliorer le cadre de vie et l’exercice des droits de ceux qui sont incarcérés dans ces oubliettes de la République.

Comme en 1991 et en 1992 à propos des rétentions en zone internationale devenue « zone d’attente », le Gisti a dû demander à la justice de faire cesser ce qu’il considère comme une voie de fait. Cette fois, il a fallu déposer une requête auprès du président du tribunal administratif de Paris pour obtenir une ordonnance permettant d’entrer au Dépôt et autorisant l’expertise des lieux. Cette visite s’est avérée si édifiante que, dans un souci de défense des libertés publiques et des droits humains, nous n’avons eu d’autre choix que d’assigner le préfet de police de Paris devant le tribunal de grande instance dans l’espoir de faire interdire toute rétention au Dépôt de la Cité dans les conditions actuelles.

Au-delà, il est clair pour le Gisti que l’obsession de la fermeture des frontières en guise de politique de gestion des flux migratoires génère, par sa nature inégalitaire et répressive, tous les ingrédients qui légitiment et légitimeront de graves atteintes aux droits de la personne humaine, qu’elle soit française ou étrangère. Le cas du centre de rétention de la préfecture de police de Paris est un symptôme parmi d’autres des dérapages inhérents à ce contexte général. Il nous paraît plus que temps de réfléchir à des façons moins sommaires d’encadrer la liberté de circulation à l’échelle internationale.

Espérant que vous comprendrez notre souci de veiller ainsi au respect des droits et des libertés de tous, je vous prie, Monsieur le ministre d’État, de recevoir l’expression de ma haute considération,

Danièle Lochak,
présidente.

Le 14 janvier 1994

Communiqué

Le syndicat de la magistrature et le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés s’étonnent des propos tenus par le procureur de la République de Paris lors de l’audience de rentrée du tribunal sur les conditions indécentes de rétention des étrangers au dépôt du Palais de justice, qu’il feint de découvrir et de critiquer.

Il convient de rappeler que cette situation était connue depuis longtemps du parquet puisque la loi lui confie la mission de contrôler les conditions de rétention des étrangers.

La soudaine indignation du procureur est d’autant plus surprenante que, dès le mois de novembre dernier, plusieurs syndicats et associations - dont le Gisti, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France - avaient intenté une procédure de référé devant le tribunal de Paris et qu’à cette occasion, le parquet, bien loin de conforter la dénonciation du caractère dégradant de l’hébergement des retenus avait, au contraire, conclu au caractère infondé de cette démarche. Son indignation tardive ne doit donc pas faire illusion et masquer sa carence.

*
* *

Ce communiqué fait suite à la déclaration de Bruno Cotte, procureur du tribunal de grande instance de Paris le mercredi 12 janvier rapportée par Le Monde du 14 janvier, qui affirmait qu’il fallait « d’urgence doter la capitale de locaux permettant d’exécuter décemment les mesures de rétention » et qu’il était « désormais de notoriété publique que les conditions d’hébergement à proximité du dépôt sont, c’est un euphémisme, insuffisantes ».


À propos des rafles et interdictions dans les communautés algériennes et kurdes

SUR LE GRAND AIR DE LA CALOMNIE

Après deux rafles qui ont frappé les communautés algériennes et kurdes, l’heure des interdictions d’associations kurdes arrive.

Dès l’origine, ces opérations ont fait l’objet d’une orchestration médiatique soignée sous le prétexte du démantèlement d’organisations menaçant la sécurité de l’État. À quels périls la France est-elle exposée de la part des Algériens et des Kurdes ? À en juger par les résultats actuels de cette gesticulation, on peut avoir des doutes sur leur réalité :

  • sur les 88 interpellations d’Algériens, il reste 3 mises en examen ;
  • sur plus de 110 interpellations de Kurdes, il y a 21 mises en examen, dont le nombre se réduit de jour en jour ;
  • quelques assignations à résidence ont été prononcées ;
  • la police n’a découvert aucune cache d’armes, aucun stock d’explosifs, aucune liste de personnes à abattre ;
  • les documents saisis sont sans surprise : notes et rapports sur la situation en Algérie et en Turquie, ainsi que des reçus de dons.

Il ne reste donc rien des chefs d’accusation jetés à la cantonade contre deux communautés étrangères : « association de malfaiteurs », en liaison avec une organisation terroriste, « en vue de commettre des actes de terrorisme ».

Il n’empêche que l’opinion garde en mémoire ces accusations du ministère de l’Intérieur, proférées sur le grand air de la calomnie. De ce point de vue, l’objectif est atteint. Il s’agissait de porter atteinte à la dignité et à l’image de deux des principales communautés d’étrangers vivant en France et, au-delà, d’intimider des étrangers installés régulièrement sur le territoire, par une démonstration de force à usage interne et externe.

Paris, le 1er décembre 1993

Un collectif de défense des super-déboutés

Communiqué de presse

Depuis maintenant un an, le préfet de police de Paris retire la carte de séjour à d’anciens demandeurs d’asile régularisés. Il remet en cause une partie des assurances prises dans la circulaire du 23 juillet 1991.

Un certain nombre de personnes concernées a déjà fait l’objet d’arrêtés de reconduite à la frontière, elles sont de ce fait menacées d’une expulsion imminente.

Comme il s’agit d’un problème d’autorisation de travail, des centaines de recours ont été adressées au ministère des Affaires sociales. À ce jour, ils sont restés sans réponse.

Les organisations syndicales et associations soussignées ont saisi à deux reprises, le 9 août 1993 et le 20 octobre 1993, les ministères des Affaires sociales et de l’Intérieur, ces demandes de rendez-vous sont également restées sans réponse.

Les organisations soussignées s’étonnent du silence du ministère des Affaires sociales, d’un problème dont il a la responsabilité directe et pour laquelle il serait facile de trouver une solution.

Le respect des engagements pris par l’État par le biais de la circulaire de régularisation des déboutés doit être assuré et, dans cette perspective, nous insistons pour être reçus par Madame Simone Veil dans les meilleurs délais.

Paris, le 20 décembre 1993
Unions départementales
CFDT, CFTC, CGT, FEN, FO
Associations
Accueil et Promotion, Cimade, Fasti, Gisti,
Ligue des droits de l’homme, MRAP, SNPM



Article extrait du n°22-23

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Dernier ajout : mardi 2 juin 2015, 18:13
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