Article extrait du Plein droit n° 22-23, octobre 1993
« De legibus xenophobis »

Méditations transcendantales au Parlement européen : Au fait, les Indiens ont-ils une âme ?

L’article 8A du traité CEE, inclus dans le traité de Maastricht, stipule que :

« Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du présent traité » .

Au « Marché commun » du Traité de Rome est donc ajoutée une nouvelle notion, celle d’espace sans frontières, dont les perspectives, à la veille de l’entrée en vigueur de l’Union européenne, sont venues chatouiller les États membres soucieux de défendre la forteresse européenne contre une immigration venue d’ailleurs.

Espace sans frontières pour les marchandises, les services, les capitaux, d’accord... Mais les « personnes » ? Quelles personnes ?

En novembre 1992, le service juridique du Parlement européen a donc été chargé de donner son interprétation de la notion de « personnes », dans un avis dont sont extraites les citations suivantes.

« Il ne ressort pas du texte de cette disposition si la notion de « personnes » comprend seulement les ressortissants des États membres ou si elle inclut également des ressortissants des pays tiers. [...]

Étant donné que l’interprétation textuelle de l’article 8A du traité n’apporte rien, il faut examiner - au moyen d’une interprétation téléologique - la portée et la finalité de cette disposition. [...]

La libre circulation doit [...] être vue dans le contexte de la création d’un marché sans frontières extérieures. À cet égard, il est nécessaire de distinguer entre plusieurs catégories de « personnes », selon leur statut juridique propre.

a. ressortissants des États membres : cette catégorie de personnes est certainement visée par l’article 8A du traité. [...]

b. ressortissants d’un pays tiers membres de famille d’un citoyen communautaire : cette catégorie de personnes tombe également sous la notion de « personnes » au sens de l’article 8A du traité. [...]

c. ressortissants d’un pays tiers avec lequel la Communauté a conclu un accord d’association : [...] la Communauté européenne peut conclure des accords avec des pays tiers qui peuvent, entre autres, prévoir la libre circulation des travailleurs venant de ces pays tiers. (C’est le cas notamment de l’accord d’association avec la Turquie). Si les dispositions d’un tel accord ont été mises en vigueur, les travailleurs des pays tiers ainsi que les membres de leur famille peuvent circuler librement à l’intérieur de la Communauté et disposent donc des mêmes droits que les travailleurs communautaires.

d. ressortissants d’un pays tiers ayant le droit de séjour dans un État membre : il est controversé dans quelle mesure (sic) les autres ressortissants des pays tiers profitent de l’achèvement du marché intérieur et tombent donc sous la notion de « personnes » au sens de l’article 8A du traité. En fait, au moment de l’abolition des frontières intérieures et de tout contrôle douanier, toute personne a la faculté de circuler librement à l’intérieur de la communauté. À ce moment-là, il serait impossible de distinguer entre citoyens communautaires et ressortissants des pays tiers et de maintenir pour ces derniers un contrôle aux frontières internes. [...]. En vertu de l’abolition des frontières, les ressortissants des États tiers se trouvent dans une « situation de fait » qui permettra leur circulation sur tout le territoire communautaire. »

Comme quoi, tout bien réfléchi, il faut reconnaître qu’une « personne » est une personne...



Article extrait du n°22-23

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Dernier ajout : mercredi 17 septembre 2014, 16:23
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