Article extrait du Plein droit n° 18-19, octobre 1992
« Droit d’asile : suite et... fin ? »
De sinueuses histoires d’exil
Jean-François Ploquin
L’extraordinaire complexité de la situation zaïroise explique mieux que d’autres la difficulté inhérente à l’examen des demandes d’asile. Le règne de la débrouillardise, qui s’y substitue souvent à l’État de droit, la sinuosité des chemins de l’exil, l’interprétation de la répression et de la pauvreté multiplient les risques de jugements simplistes.
En 1991, le Zaïre représente 26% de la demande d’asile africaine — plus d’un demandeur africain sur 4 — avec 4 260 demandes sur 16 172. Il arrive bon premier de ce continent devant le Mali (3 218) et l’Angola (1 638), l’Afrique arrivant elle-même avant les autres continents. Au total, le Zaïre représente 9,1 % de la demande d’asile en France, arrivant ainsi en deuxième position derrière la Turquie (21 % des demandeurs) [1].
Si le Zaïre arrive également en tête du continent africain en valeur absolue avec 33 % des 2 258 accords (c’est-à-dire statuts de réfugiés accordés), il ne représente plus que 4,6 % des 16 112 accords délivrés pour tous les pays en 1991.
Certes, les chiffres des demandes et des accords pour une même année ne peuvent être immédiatement rapprochés, en raison du décalage de temps existant entre le dépôt d’une demande et son traitement. On peut toutefois faire les trois observations suivantes : la demande d’asile zaïroise est massive (355 dossiers par mois en 1991, soit 82 dossiers par semaine). Il s’agit là d’une tendance lourde : plus de 31 000 Zaïrois ont demandé l’asile en France entre 1983 et 1991 [2] ; en 1991, un réfugié statutaire africain sur trois est zaïrois [3]. Rapporté à l’ensemble de la demande d’asile, le taux d’acceptation apparaît pour les Zaïrois deux fois moindre que la moyenne, ce qui est confirmé par les statistiques des années 1987 à 1991 : 3,9 % des demandes d’asile déposées pendant cette période ont fait l’objet d’un accord [4].
(évolution 1984-1992)
Année | Mois | Demande mondiale | Demande africaine | Zaïre | |||
Demandes Zaïroise | % | Rang | Accords% | ||||
1984 | 21 624 | 3 965 | 1 244 | 5,7 | 7 | ||
1985 | 28 809 | 9 984 | 2 620 | 9,1 | 3 | 28,8 | |
1986 | 26 196 | 10 708 | 3 314 | 12,6 | 1 | ||
1987 | 27 568 | 10 478 | 3 494 | 12,7 | 2 | 9,3 | |
1988 | 34 253 | 14 725 | 4 255 | 12,4 | 2 | ||
1989 | 61 422 | 23 204 | 7 417 | 12,1 | 2 | ||
1990 | 56 053 | 22 122 | 5 806 | 10,4 | 2 | ||
1991 | août | 3 259 | 253 | 7,8 | 3 | ||
oct. | 3 589 | 327 | 9,1 | 3 | |||
année | 46 545 | 16 172 | 4 260 | 9,1 | 2 | ||
1992 | janv. | 2 506 | 771 | 258 | 10,3 | ||
févr. | 2 130 | 652 | 193 | 9,1 | |||
mars | 2 418 | 813 |
Demandes : il s’agit du nombre de primo-demandes déposées, à distinguer du nombre dossiers traités dans la même année ; pourcentages de demandes (%) et rang sont rapportés à la demande tous pays confondus ; les accords portent sur le nombre de dossiers traités.
Source : OFPRA et Documentation Réfugiés pour l’année 1990.
La demande d’asile zaïroise a régulièrement crû d’une année sur l’autre depuis 1984 jusqu’en 1989. Cette augmentation (demande multipliée par six) est-elle liée à une augmentation proportionnelle du nombre de personnes persécutées au Zaïre ? Nous ne le pensons pas. Par contre, la situation économique qui n’a cessé d’empirer durant la même période, n’est pas sans influence sur cet exode.
« L’article 15 »
Peut-on expliquer les variations du nombre de demandes d’asile par une corrélation entre des persécutions frappant un nombre important de personnes à la fois (répression de manifestations par exemple) et l’arrivée de nombreux Zaïrois dans les semaines qui suivent ? En fait, même des statistiques fines sur plusieurs années ne rendraient pas compte du temps de latence entre la persécution et le départ du pays, puis l’arrivée en France.
Par ailleurs, si 90% de la population zaïroise vit hors de la capitale, de l’ordre de 90 % des demandeurs d’asile zaïrois sont néanmoins des habitants de Kinshasa (Kinois). La capitale possède, en effet, le seul aéroport international (N’Djili) d’où il est autorisé de quitter le pays ; elle est à une demi-heure de pirogue du Congo, juste de l’autre côté du fleuve, avec son aéroport de Maya-Maya ; enfin, à peine 362 kilomètres de route asphaltée la séparent du port de Matadi, seul débouché maritime du pays. En tant que capitale, Kinshasa est le lieu où sont émis, négociés et/ou contrefaits les passeports, visas, laissez-passer, billets d’avion, sans compter les documents émanant des autorités municipales, judiciaires, voire militaires. C’est aussi le royaume de « l’article 15 » (la débrouille), où l’habilité — pas forcément licite — est considérée par beaucoup comme la plus haute valeur.
Avec ses quatre millions d’habitants, Kinshasa est aussi, en ces temps de récession, la capitale de l’inactivité, des immenses banlieues excentrées où l’on rêve d’Europe en regardant à la télé les programmes occidentaux, où l’on échafaude ses plans, où l’on mûrit son projet de départ. Capitale, Kinshasa vit en outre plus densément les événements politiques : campus et instituts supérieurs, sièges des partis politiques avec leurs leaders, présidence, camps militaires et cachots multiples. Les violations des droits de l’homme, quotidiennes, frappent en valeur absolue plus qu’ailleurs.
Les persécutions subies dans les autres régions du pays débouchent rarement et en faible quantité sur un exil européen. Faut-il rappeler que, à la fin 1989, 340 réfugiés recensés vivaient au Congo, 1 300 en Ouganda, 9 000 en Zambie, 12 000 en Angola et 16 000 en Tanzanie, les pays limitrophes du Zaïre abritant environ 45 000 de ses ressortissants [5] ? Pour le paysan du Nord-Kivu ou du Haut-Zaïre, victime des razzias de l’armée, le pays voisin constitue un refuge suffisant. La plupart des étudiants en fuite du campus de Lubumbashi en mai 1990 sont allés en Zambie ou au Burundi. L’exil vers l’Europe sera donc motivé soit par le sentiment que ce refuge n’est pas assez sûr, soit par d’autres facteurs venant s’ajouter à la crainte. Pour un Zaïrois de l’intérieur, le voyage vers l’Europe, avec son point de passage obligé à Kinshasa, est une entreprise bien plus aléatoire et onéreuse que pour le Kinois, pour lequel les trajectoires de fuite sont plus simples.
S’il est difficile d’établir une corrélation entre des événements du type « persécutions à victimes multiples » se déroulant au Zaïre et le nombre de départs motivés par ces violences, il est facile d’observer qu’elles sont suivies de demandes d’asile qui s’y réfèrent. Le massacre de Lubumbashi en mai 1990, les émeutes de septembre ou la répression de la marche du 16 février 1991, pour ne citer que ces trois exemples récents, ont ainsi été suivis de demandes d’asile de Zaïrois disant avoir été impliqués dans ces événements.
Si certains demandeurs l’ont effectivement été, d’autres se réfèrent à ces événements tels qu’ils sont relatés par la presse zaïroise pour formuler leur demande, en y intégrant avec plus ou moins de bonheur leur histoire personnelle.
À la baisse
La demande d’asile zaïroise est passée d’un rythme mensuel de 618 en 1989 à 484 en 1990, 355 en 1991, et moins encore pour les deux premiers mois de 1992. Cette diminution s’inscrit dans un mouvement d’ensemble — toutes origines confondues — du nombre total des demandes d’asile : -8,7 % en 1990 par rapport à 1989, -17 % en 1991 et -40 % si l’on considère le rythme mensuel au premier trimestre 1992 rapporté à celui de 1991. Des paramètres globaux, indépendants de la situation zaïroise interviennent donc. Le raccourcissement des délais d’instruction des dossiers par l’Ofpra et la Commission des recours et, par voie de conséquence, de la période pendant laquelle les requérants vivaient en France avec un titre de séjour, précarise le scénario d’établissement. Depuis le 1er octobre dernier, la suppression de l’autorisation de travail aux demandeurs d’asile accroît encore cette précarité. Le but est d’offrir un terrain moins favorable aux migrations fondées sur la recherche d’un mieux être matériel. Reste à savoir comment un Kinois cherchant en Europe une issue à sa situation matérielle serait sensible à ce changement des conditions d’existence des demandeurs d’asile, alors qu’il est, en général, peu au fait de la « galère » vécue par bon nombre de compatriotes qui ont tenté l’aventure avant lui. Pour lui, autorisation de travail ou pas, le mirage occidental paraît toujours plus confortable que la misère où il s’étiole.
À la baisse générale du nombre de demandes d’asile s’ajoute cependant une baisse de la demande d’asile zaïroise, passée de 12,7 % de la demande totale en 1987 à 9,1 % en 1991 et 1992. Parmi les causes propres à la situation zaïroise, il faut mentionner la décision du maréchal Mobutu, en avril 1990, de mettre fin au régime totalitaire du parti-État et d’instaurer le pluri- (puis multi-)partisme, pour ne prendre que les deux mesures les plus spectaculaires. Depuis, la presse use d’une liberté de ton impensable quelques mois auparavant ; les partis, syndicats et associations en tous genres fleurissent ; les meetings politiques se succèdent ; des opposants notoires ou anonymes rentrent — certains pour aller à la soupe, d’autres pour rejoindre le combat politique. Les temps ont changé.
Le Zaïre est-il pour autant une démocratie qui assure à ses citoyens la protection de leurs droits et libertés ? La presse kinoise et les rapports des associations de défense des droits de l’homme témoignent que nombre de militaires se livrent au banditisme armé en toute impunité, que les forces de sécurité tournent à plein régime, que des gens disparaissent ou sont abattus froidement, que les acteurs du changement démocratique sont inquiétés et la presse indépendante menacée, que tel gouverneur de région — aux ordres — fait tout pour déclencher des émeutes inter-ethniques, le tout s’ajoutant aux événements connus (Lubumbashi en mai 90, Mbuji-Mayi en avril 91, Kinshasa en février 92) au cours desquels on vit les forces de répression verser volontairement le sang en toute impunité.
Visas et sanctions aux transporteurs
Le Zaïre d’aujourd’hui donne beaucoup plus de liberté à l’expression et à l’action de l’opposition. Un grand nombre de demandeurs d’asile, réfugiés statutaires et a fortiori déboutés, pourraient, dans une optique de combat politique — pour ne pas parler des autres — rentrer au pays. Mais ce retour n’est jamais dépourvu de risques — les militants qui rentrent se gardent souvent d’entraîner leur famille dans l’aventure — tandis que les victimes d’exactions sont aujourd’hui fondées à venir chercher refuge ici.
À cette évolution hésitante du cours de l’histoire, qui explique en partie le fléchissement du flux des demandeurs d’asile, s’ajoutent quelques causes conjoncturelles. Ainsi, l’instauration, en juillet dernier, de l’obligation d’obtention d’un visa de transit pour les ressortissants de dix pays, dont le Zaïre [6], et l’administration de sanctions contre les transporteurs acheminant des passagers dépourvus des documents requis contribuent à réduire le nombre d’arrivées dans les aéroports notamment. Mais la grande majorité des demandeurs d’asile zaïrois pénètrent sur le territoire français par les frontières terrestres. En témoigne la faiblesse du nombre de Zaïrois entendus par l’Ofpra aux frontières (aériennes) du 6 octobre 1991 au 6 janvier 1992 (seize dont deux seulement furent admis à pénétrer sur le territoire pour déposer leur demande d’asile).
Quant à la politique française de délivrance des visas à Kinshasa, si elle était moins restrictive, elle se traduirait naturellement par un nombre supérieur de départs. Reste que, en 1985, 87 % des demandeurs d’asile sont entrés en France irrégulièrement et 93 % en 1986 [7]. Par ailleurs, d’autres ambassades à Kinshasa délivrent plus facilement les visas (Italie et Grèce notamment) sans compter que le commerce des faux passeports et visas est florissant à Kinshasa.
Dernier facteur de fléchissement, la baisse de capacité des moyens de transport aérien et maritime au départ du Zaïre depuis septembre 1991. Elle joue massivement sur le nombre d’arrivées en France et en Europe. Depuis le 23 septembre dernier, l’aéroport de Kinshasa-N’Djili n’est plus desservi que par l’unique vol hebdomadaire d’Air Zaïre, auquel est venu s’ajouter un vol Sabena en juin. Quant à la Compagnie maritime zaïroise (CMZ), qui possédait encore dix navires en 1983, elle se vit saisir à Anvers, en juillet 1991, et à Zeebrugge, en janvier dernier, ses deux derniers bateaux : le voyage clandestin au départ de Matadi s’en trouve fortement compromis.
Plusieurs facteurs se conjuguent, voire jouent en sens contraire, d’autant que cette migration Zaïre-France prend place dans un contexte géographique, migratoire et juridique entre les pays du sud et la CEE.
La Belgique a ainsi connu une progression de 87 % entre 1990 et 1991 des demandeurs d’asile zaïrois [8], un mouvement inverse de celui qui a été observé en France pendant la même période (-27 %). Neuf cents Zaïrois de plus ont demandé l’asile en Belgique quand 1 546 de moins le faisaient en France. Phénomène de compensation au sein d’un flux Zaïre-Europe qui serait resté globalement identique ? Évolution dans le choix — libre ou contraint — du pays de destination ?
Entre 1987 et 1991, 3,9% des demandeurs d’asile se sont vu accorder le statut de réfugiés, soit un sur vingt-six.
Pour fuir, être Kinois
Pour savoir qui sont ces demandeurs d’asile, nous avons tenté une approche méthodique à partir de 70 dossiers, constitués par les Zaïrois qui ont fait une demande d’hébergement dans le Rhône auprès de la commission d’admission du Comité rhodanien d’accueil des réfugiés et de défense du droit d’asile (CRARDDA) au cours des trois dernières années. Ces demandeurs disent arriver directement du Zaïre dans le Rhône, via tel ou tel pays ou région frontalière. Cet échantillon de 70 dossiers est insuffisant pour servir de base à une étude scientifique. Il semble toutefois suffisant pour donner une image pas trop déformée de cette demande pour la période considérée [9].
Une carte d’identité zaïroise, « carte d’identité pour citoyen », comporte les mentions de la collectivité, la zone, la sous-région/ville et la région d’origine ; l’attestation de naissance fournit même la localité d’origine. Par contre, l’origine ethnique n’est pas mentionnée malgré l’importance qu’elle revêt souvent, sans qu’il faille la majorer. Cette origine ethnique ne correspond pas nécessairement au lieu de naissance mais au lieu d’origine de la famille (du père le plus souvent).
Origines ethniques
Bas-Zaïre (Kongo *) | 25 |
- Cataractes | 8 |
- Lukaya | 7 |
- Non communiquée | 10 |
Shaba | 7 |
- Tanganyika | 3 |
- Non com. (Luba **) | 2 |
- Non communiquée | 2 |
Bandundu | 5 |
- Kwilu | 5 |
Haut-Zaïre | 2 |
- Tshopo | 1 |
- Bas-Uele | 1 |
Kinshasa (Teke) | 1 |
Indéterminée | 5 |
- dont Mongo | 2 |
Kasaï-oriental | 12 |
- Kabinda (Luba) | 6 |
- Non com. (Luba) | 6 |
- Sankuru (Tetela) | 1 |
Kasaï-occidental | 5 |
- Lulua | 3 |
- Kananga | 1 |
- Non communiquée | 1 |
Équateur | 4 |
- Mongala | 4 |
Maniema | 2 |
Sud-Kivu | 2 |
Nord-Kivu | 0 |
TOTAL | 70 |
* Kongo au sens large d’ethnie, comprenant la quasi-totalité de la population du Bas-Zaïre.
** Nous ne distinguons pas ici entre Baluba-Kasaï et Baluba-Shaba.
Si 57% des requérants sont nés à Kinshasa et si 86% y vivaient, un seul est originaire de la région Kinshasa. Ceci confirme le rôle de « melting-pot » joué par la capitale sur deux ou trois générations. Kinshasa est, si l’on peut dire, la première ville du Bas-Zaïre, qui lui sert, avec le Bandundu, d’arrière-pays. Que 36 % des requérants soient originaires du Bas-Zaïre, et plus précisément, pour les cas identifiés, des deux sous-régions les plus proches (Lukaya et Cataractes), n’a donc rien d’étonnant. Viennent ensuite les deux Kasaï (24 %, dont 17 % pour le seul Kasaï-Oriental, pourtant plus éloigné et plus enclavé), le Shaba (10 %), le Bandundu (7 %, tous du Kwilu), et l’Équateur (6 %, tous de la Mongala). Les autres régions, les plus éloignées de la capitale (avec le Shaba) interviennent de façon marginale. Quant au Nord-Kivu, il n’est pas représenté.
Quelle que soit leur origine ethnique, la quasi-totalité des demandeurs d’asile viennent de Kinshasa. Pour savoir dans quelle mesure l’ethnie est un facteur déterminant, il faudrait donc — ce que nous n’avons pu faire — comparer la répartition ethnique des requérants avec celle de Kinshasa.
Les sous-régions les plus représentées : Cataractes et Lukaya se trouvent à proximité de Kinshasa, reliées par une route et une ligne de chemin de fer. Le Kwilu est une sous-région à la fois dynamique et particulièrement délaissée par la Deuxième République après la rébellion des mulélistes à la fin des années 1960. Quant au Kabinda, sous-région qui recèle du diamant, elle connaît un déficit agricole face à une forte croissance démographique.
Les régions peu représentées : à l’est, les habitants ont pour terres de refuge les pays frontaliers swahiliphones — le swahili est la grande langue vernaculaire de l’Est du pays — d’autant que bien des ethnies ont leur zone d’extension à cheval sur les frontières administratives, les Lunda en Angola et en Zambie, les Banande en Ouganda, par exemple. Les guerres du Shaba en 1977 et 1978, les exactions de l’armée au Nord-Kivu ou dans le Haut-Zaïre illustrent bien cette stratégie élémentaire de l’exil. Les 10 % de cas venant du Shaba dans l’échantillon n’infirment pas cette analyse car il s’agit d’individus résidant hors du Shaba ou ayant des facilités particulières de voyage.
Lieux de naissance
Kinshasi | 40 |
Shaba | 9 |
- Lubumbashi | 7 |
- Likasi | 1 |
- Tanganyika | 1 |
Bas-Zaïre | 5 |
- Matadi | 2 |
- Cataractes | 3 |
Kasaï-Oriental | 5 |
- Mbuji-Mayi | 3 |
- Sankuru | 1 |
- Kabinda | 1 |
Kasaï-Occidental | 3 |
- Kananga | 2 |
- Kasaï | 1 |
Bandundu | 2 |
- Kwilu | |
Maniem | 2 |
- Kasongo | |
Sud-Kivu | 2 |
- Bukavu | |
Équateur | 1 |
- Mongala | |
Nord-Kivu | 0 |
Haut-Zaïre | 0 |
Non communiqué | 1 |
Total | 70 |
Régions, grands centres urbains et sous-régions
Plus de la moitié — 57% — des requérants sont nés à Kinshasa (à une exception près, tous y vivaient avant leur départ). Si l’on ajoute les deux régions de l’arrière-pays kinois, le Bas-Zaïre et le Bandundu, on arrive à 67 %. Second pôle, le centre, le centre-est et le sud-est (au sud de la diagonale Ilebo-Bukavu), soit 30 % de l’échantillon (Shaba 13 %, les deux Kasaï 11 %, Sud-Kivu et Maniema 6 %). Le reste est marginal (Équateur, un seul cas). Le Nord-Kivu et le Haut-Zaïre ne sont pas représentés.
Presque les trois-quarts — 74% — des requérants sont nés dans les grandes villes de Kinshasa, Mbuji-Mayi (1 million d’habitants), Lubumbashi, Kananga. Si l’on ajoute Likasi, Matadi et Bukavu, on arrive à un taux de 79 % : quatre demandeurs d’asile zaïrois sur cinq ont grandi en ville.
Kinshasa | 60 |
Étranger (en formation) | 6 |
Lubumbashi | 3 |
Non communiqué | 1 |
Total | 70 |
Kinshasa est le lieu de résidence habituelle de 86% des requérants d’asile zaïrois. Si l’on ajoute que les personnes en formation à l’étranger au moment des faits qui sont à l’origine de leur départ étaient auparavant domiciliés à Kinshasa, on obtient, sur notre échantillon, une demande d’asile à 95 % kinoise. Rappelons que les 9/10ème de la population zaïroize n’habitent pas à Kinshasa.
De toute évidence, le facteur déterminant est le lieu de résidence habituel. Si des violations des droits de l’homme ont été et sont commises à Moba, Kisangani, Mbuji-Mayi, Butembo ou Bunia, les requérants viennent presque tous de la capitale : la demande d’asile zaïroise est régionale. Bien avant les services d’émigration, les contrôles aux frontières et le tamis de l’Ofpra, un tri est déjà fait, qui repose non pas sur l’intensité de l’engagement ou de la répression, mais sur un ensemble de déterminations géographiques et administratives que la capitale est seule à réunir.
Kinshasa cumule les facilités : délivrance des passeports et visas, proximité de la frontière fluviale, de l’aéroport et du seul débouché maritime du pays.
H. | F. | Total | |
Étudiants | 15 | 3 | 18 |
Commerçants ou salariés d’un commerce | 3 | 9 | 12 |
Employés et cadres | 6 | 2 | 8 |
Fonctionnaires | 7 | 1 | 8 |
Artisans | 4 | 3 | 7 |
Agents de la sécurité | 5 | 1 | 6 |
Militaires | 5 | 5 | |
Divers | 3 | 1 | 4 |
Sans profession | 2 | 2 | |
Total | 48 | 22 | 70 |
On remarquera d’abord la relative diversité des situations professionnelles. À y regarder de plus près toutefois, on constate la quasi-absence d’enseignants (un instituteur), de cadres supérieurs (un ingénieur), de membres des professions libérales (aucun médecin ni avocat), d’ouvriers (un seul), et l’absence d’entrepreneurs ou de gros commerçants. On trouve également peu d’artisans ou d’employés.
Un demandeur d’asile sur quatre est un étudiant dans notre échantillon. Chez les hommes, pratiquement un sur trois. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. Kinshasa dispose d’un grand campus et de nombreux instituts supérieurs, qui sont depuis toujours les principaux lieux d’agitation contre le régime.
La grande précarité matérielle des étudiants (la bourse, quand elle est versée, ne permet pas de louer un studio, les œuvres universitaires sont inexistantes, les transports rares et inabordables, etc.), la totale incertitude liée à leur avenir professionnel (absence de débouchés, salaires de misère, rêves de diplômes évanouis après deux années blanches consécutives pour cause de fermeture des campus), leur degré de conscientisation souvent supérieur au reste de la population, leur aspiration à poursuivre leurs études dans des conditions décentes à l’étranger, leur grande mobilité enfin (célibat le plus souvent), tout cela prédispose au départ vers l’Europe. Le déclic sera le plus souvent une arrestation, suivie de sévices, ou la crainte d’une telle arrestation.
Le nombre important de militaires et d’agents de la sécurité (civile ou militaire : 1 requérant sur 7) traduit pour une bonne part le désarroi qui règne dans l’armée et dans ces services, depuis les changements politiques intervenus en avril 1990. Leur exil intervient le plus souvent lors d’un changement d’affectation (passer d’un rôle administratif à un rôle « actif ») qui déclenche un « non possumus », le système se retournant alors contre les agents devenus indociles ou trop scrupuleux.
Sur les 22 femmes qui composent notre échantillon, 9, soit 41%, sont dans le commerce. Il s’agit soit d’employées, soit de petites commerçantes comme on en voit des milliers dans les rues de Kinshasa. Pas de « moziki 100 kg » (riches commerçantes « roulant Mercédès » et proches du régime). Depuis les pillages de septembre 1991, 6 des 15 femmes de notre échantillon sont des commerçantes. Cinq fois sur six cependant, c’est la mort ou la disparition du mari qui est mentionnée comme la cause — liée à la destruction de l’outil de travail — du départ. Pour nombre de femmes en effet, c’est la profession ou les activités du mari qui sont déterminantes et, dans trois cas sur 15, celui-ci était un militaire, soit membre de l’opposition, soit... pillard aux heures perdues.
Autre constatation notable : deux requérants sans profession, dans une ville de quatre millions d’habitants où le secteur informel est majoritaire et où les chômeurs sont légion, c’est très peu. Si l’on ajoute que les deux requérants en question sont des femmes dont le mari disposait d’un revenu régulier, cela signifie que 100 % des requérants non-étudiants bénéficiaient d’un revenu, même faible (ménagère, cantinière, etc.). Les exilés zaïrois ne sont ni gens fortunés, ni prolétaires : les uns ont ce qu’il faut pour rester, les autres n’ont pas ce qu’il faut pour partir.
Comment venir en Europe en effet sans un niveau de ressources minimum ? Comment payer le billet d’avion [10] ? Comment payer les intermédiaires qui procurent passeport et visa ? Le sous-prolétariat kinois, même persécuté, ne vient guère en Europe : comment le ferait-il ? Il y a ceux qui peuvent corrompre un gardien, et ceux qui meurent en prison, affaiblis par les mauvais traitements, affamés, malades, abandonnés.
Exil aux causes complexes
L’examen des motivations du départ du pays, telles que les expriment les intéressés, fait apparaître deux types de causes, événementielles ou structurelles. Sur les 70 dossiers, 25 (35 %) sont liés à des événements bien connus, principalement des manifestations étudiantes (notamment celles de février 1989 et de mai 1990 à Kinshasa et Lubumbashi), des manifestations politiques ou de revendication sociale, sans parler des pillages de septembre et de la marche du 16 février dernier.
Bien souvent, c’est ce type de demandes qui comporte le plus de récits stéréotypés, c’est-à-dire sans lien avec la vie réelle du requérant, lequel trouve dans un fait saillant de l’actualité l’occasion et la trame — souvent grossière — de son récit. En revanche, 45 dossiers (65 %) ne sont pas liés à un événement précis, mais sont enracinés dans le marais politique, administratif et social zaïrois. Interviennent notamment : la militance politique : 18 (26 %) ; un comportement relevant de l’« opposition silencieuse » (4) ou un acte d’objection de conscience (9, soit 13%) en opposition à une fraude ou dans le cadre des fonctions professionnelles ; l’expression publique de son opinion (2) ; l’appartenance à une confession religieuse non reconnue (6) ; l’intervention brutale d’un baron du régime (4) ; les activités du mari (5).
Dans l’ensemble, 54% des récits de demande d’asile sont motivés par un profil politique et, à première vue, 34 % ne relèvent pas de la Convention de Genève. À y regarder de plus près, ce groupe fait cependant état d’actes d’objection de conscience en opposition à une fraude ou dans le cadre de fonctions. Tel fonctionnaire refuse, par exemple, d’avaliser un détournement de fonds. Même s’il ne s’agit pas d’actes politiques au sens strict, ces gestes de civisme sapent un des fondements du régime (la corruption sous toutes ses formes), si bien qu’ils exposent à des sévices en représailles de la part, directement ou indirectement, du pouvoir politique, la justice restant naturellement muette.
D’autres avancent une motivation économique, par exemple leur participation à une manifestation pour réclamer le versement des bourses ou l’augmentation des salaires. Cette attitude revêt souvent une dimension politique. Mais c’est surtout la disproportion entre l’acte et la répression à laquelle il expose (emprisonnement sans inculpation, mauvais traitements, voire torture, ...) qui incite l’intéressé à se réclamer de la protection d’un autre pays. On peut également mettre dans cette catégorie la participation aux pillages de septembre 1991 pour des épouses de militaires pillards, assassinés ou disparus dans le cadre d’« opérations de nettoyage » menées par... la Division spéciale présidentielle.
Que dire également des femmes inquiétées du seul fait des activités de leur mari, journaliste trop bavard, militaire opposant, fonctionnaire trop scrupuleux. À l’une d’entre elles, on reprochera simplement d’avoir organisé le deuil de son époux. Une pratique courante du régime est, en effet, d’interdire les cérémonies de deuil, au besoin en achetant le silence de la famille.
Pas de lien direct à l’événement
La majorité des demandes d’asile zaïroises de notre échantillon sont liées au (non-) fonctionnement de la société zaïroise plus qu’à des événements précis. Ainsi, aucun dossier ne correspond à un départ au cours de la période de décembre 1990 à avril 1991, malgré la violence des émeutes de la faim de décembre 1990 qui firent plusieurs victimes.
Ce constat relativise l’idée reçue selon laquelle les manifestations de masse sont un facteur primordial d’exil. Les événements qui, du fait de leur ampleur, ont les honneurs des médias, dissimulent ceux qui, à l’intérieur du pays notamment, font à peine l’objet de nouvelles brèves (ainsi des événements de Mbuji-Mayi en avril 1991 ou des exactions de l’armée dans le Nord-Kivu en ce moment).
Mais surtout, la répression au Zaïre, subtile, silencieuse, s’opère sur fond de disparitions et de silences achetés. Elle sécrète des formes d’intimidation, de mises à l’écart, de sanctions professionnelles, de pressions sur la famille, de chantages, voire d’emprisonnements, de tortures, de psychiatrisations et jusqu’à l’élimination physique, qui sont loin de frapper le militant tel qu’il correspond à notre représentation traditionnelle. Dans un régime qui a fait de la corruption une seconde nature, le simple exercice de la déontologie professionnelle pour un agent des douanes, un infirmier, un magistrat, un journaliste, un enseignant ou un militaire peut exposer à de grands périls. Il n’y a pas que l’étudiant sous la matraque.
Le temps de latence entre les événements provoquant le départ et l’arrivée en France telle qu’elle est déclarée (de quelques jours à 15 mois, la durée moyenne étant de 2 à 3 mois) s’explique par la durée des éventuels emprisonnements, des préparatifs de départ (établissement du passeport, du visa, achat du billet) et du trajet. Pour certains, ce temps recouvre celui de l’arrivée en France de la relation détaillée des faits par la presse kinoise, digérée dans la perspective de demandes d’asile « opportunistes ».
Quoiqu’il en soit, sur 70 dossiers de l’échantillon, 54 font état de persécutions ou de risques de persécutions. Un tiers sentant la menace, ou effrayés par l’arrestation ou la disparition d’un proche, prennent les devants. C’est le cas notamment de membres des forces de sécurité, d’épouses sans nouvelles de leur mari ou d’étudiants à l’étranger exposés par leurs activités politiques à des représailles des autorités zaïroises. Les deux-tiers mentionnent une arrestation, toujours suivie d’une période de détention sans inculpation. Il est le plus souvent difficile pour les Zaïrois arrêtés d’identifier les agents qui mettent la main sur eux. Les militaires sont le plus souvent en civil pour ce genre de tâche. Il est rare qu’un document officiel soit brandi, et l’anonymat des agents d’arrestation fait partie du métier.
Arrestation et détention musclées
La détention dure de 3 jours à 14 mois dans notre échantillon, la moyenne se situant autour de 4 mois. Elle se déroule le plus souvent dans un camp militaire (23 cas sur 52), dans un cachot de la gendarmerie, de la Garde civile ou de la sécurité (14 cas), plus rarement dans une prison centrale (8 cas). Même s’ils n’en parlent pas, tous les Zaïrois arrêtés et détenus font l’objet de tabassages musclés, dès l’arrestation au domicile, dans le véhicule, à l’arrivée au centre. La torture, pour autant qu’on puisse la distinguer des mauvais traitements, n’est pas systématique, mais elle est fréquente dans certains lieux : électricité, eau, suspension du corps en l’air, station debout prolongée, etc. Un requérant évoque des travaux forcés. Les femmes sont presque toujours violées.
Ceux qui ont à lire les demandes d’asile sont plus d’une fois restés perplexes devant ces récits d’évasion qui donnent l’impression qu’on sort à peine plus difficilement d’une prison au Zaïre qu’on y rentre. Certes, les relations et l’argent peuvent dénouer bien des situations dans un pays où tout s’achète. Mais il y a pour le moins des degrés dans la malléabilité des geôliers. On sort facilement du cachot d’un bureau de zone, moins facilement de la prison centrale de Makala, exceptionnellement du camp Tshatshi ou des cachots du SARM (Sécurité militaire).
Globalement, si, dans 8 cas sur 44 recensés pour cette rubrique (un peu plus d’un cas sur cinq), le détenu est libéré, soit définitivement, soit plus souvent à titre provisoire ou sous forme conditionnelle, dans 36 cas sur 44 (72 %), le récit comporte un épisode d’évasion, le plus souvent de la prison (la moitié des 44 dossiers), parfois de l’hôpital où la personne, blessée après les sévices subis, est transférée sous surveillance (25 % des dossiers), parfois encore au cours d’un transfert vers l’hôpital ou entre deux lieux de détention (4 cas).
D’autres persécutions peuvent intervenir, soit précédant une détention accompagnée de mauvais traitements, soit dirigées contre la famille de la personne emprisonnée, soit provoquant le départ de celle-ci avant une éventuelle détention.
Le voyage vers l’exil constitue la phase la plus aléatoire de bon nombre de récits de demandeurs d’asile zaïrois. Plus que jamais, il faut préciser ici que nous analysons des récits, non des faits. Toutefois, les récits mensongers ne sont pas à négliger : ils indiquent des filières (ce terme doit être compris sans connotation péjorative : il faut bien passer quelque part) qui fonctionnent.
Ainsi, les ambassades d’Italie à Kinshasa et Brazzaville sont plus généreuses que celle de France. De ce fait, nombre de Zaïrois arrivent en France après avoir obtenu un visa italien. Mais l’Italie constitue alors un pays de premier accueil qui ne représente pourtant qu’une étape pour le demandeur d’asile, lequel déclare donc que l’asile y est impossible — ce qui est faux.
Un voyage aux cheminements tortueux
L’existence de cet itinéraire — qui fonctionne effectivement — permet à un demandeur d’asile débouté vivant en Suisse ou en Belgique de déclarer qu’il arrive du Zaïre via l’Italie. Qui pourra vérifier ? Or, c’est précisément là que le bât blesse, car l’intéressé sera bien en peine de montrer son passeport et son visa (renvoyé), son billet d’avion (revendu) ou de train (jeté) le cas échéant. Quant à décrire l’itinéraire !
Un demandeur d’asile zaïrois sur quatre (18) de l’échantillon est entré régulièrement sur le territoire. C’est une proportion importante qui va à l’encontre des statistiques nationales selon lesquelles 87 % des demandeurs d’asile zaïrois sont entrés en France irrégulièrement en 1985, et 93 % en 1986. Il est vrai qu’un tiers d’entre eux se trouvaient déjà à l’étranger, munis de leur passeport. 45 % des requérants de notre échantillon sont venus avec leur passeport, avec ou sans visa, 39 % disent être venus avec le passeport d’un tiers (le plus souvent zaïrois, parfois congolais), et 16 % sans passeport.
Parmi ceux qui viennent sans leur propre passeport, certains ont emporté leur carte d’identité, mais d’autres en sont dépourvus. Quant aux passeports empruntés, ils sont presque toujours renvoyés, si bien que l’information est impossible à vérifier. Si l’on ajoute le fait que la carte d’identité zaïroise est souvent délivrée au Zaïre dans des conditions peu orthodoxes, on comprend que l’identification d’un nombre important de requérants zaïrois pose problème. Enfin, le ministère zaïrois des Affaires étrangères connaît depuis plusieurs mois une véritable pénurie de passeports.
France | 23 |
Italie | 21 |
Belgique | 7 |
Suisse | 1 |
RDA | 1 |
Portugal | 1 |
Grèce | 1 |
Total visas | 55 |
Passeport sans visa | 3 |
Non porté au dossier | 1 |
Total | 70 |
La France délivre 42% des visas (surtout sur les passeports personnels) dans notre échantillon, et l’Italie 38 % (surtout pour les passeports que les requérants disent avoir empruntés et renvoyés), la Belgique 13 %, les autres pays (Grèce, Portugal, Suisse, ex-RDA) se partageant le reste. Dans certains cas, les requérants disent avoir choisi la France dès le départ et quel que soit le lieu d’arrivée en Europe ; dans d’autres, ils évoquent les circonstances ou des « conseils ».
Quarante pour cent des demandeurs d’asile de l’échantillon sont arrivés — ou disent être arrivés — directement sur le sol français, par voie aérienne ou maritime. Pour les autres, l’Italie est la voie royale d’arrivée (36 %) du fait de sa relative souplesse dans la délivrance des visas, des liaisons aériennes et maritimes avec le Zaïre, de l’existence d’une communauté zaïroise dans ce pays (à Rome notamment) de l’existence de réseaux de passeurs rodés et, dans le cas de Lyon, de la proximité géographique.
L’ancienne puissance coloniale occupe une place non négligeable (15 %). L’ex-RDA et l’ex-URSS avaient l’avantage d’être desservies au départ de Brazzaville par l’Aeroflot à des prix défiant toute concurrence.
L’actuel itinéraire-type du demandeur d’asile zaïrois — du moins dans le Rhône — démuni de passeport ou porteur d’un passeport emprunté et renvoyé par un vol Brazzaville-Rome et avec une entrée irrégulière en France, tient à plusieurs facteurs : pénurie de passeports dans l’administration zaïroise, faiblesse du trafic aérien Kinshasa-Paris (un aller-retour hebdomadaire), politiques non uniformes des visas. Brazzaville-Rome a ainsi remplacé Matadi-Marseille. Les itinéraires réels s’adaptent à la conjoncture, et les itinéraires imaginaires se calquent sur les réels, ce qui accroît l’effet de filière.
L’axe Brazzaville-Rome permet aujourd’hui au Kinois qui veut vraiment quitter le Zaïre, pour autant qu’il en a les moyens, d’arriver jusqu’en France. Pour le persécuté, cela reste une course d’obstacles. Pour le « Migueliste » [11], c’est au moins une aventure.
Comme pour compliquer encore une situation déjà complexe, le demandeur d’asile est vite « conseillé » à son arrivée par ses compatriotes. Certains avis peuvent être précieux en raison du décalage culturel et de la disparité des procédures nationales. D’autres sont franchement funestes. Ainsi, après son rejet par la Commission des recours et la délivrance par la préfecture d’une invitation à quitter le territoire, un étudiant qui pouvait véritablement arguer de persécutions de la part des autorités académiques et de la sécurité, mais à qui de bons « amis » avaient conseillé de passer ses études sous silence pour ne pas apparaître comme avant tout motivé par une carrière universitaire, a de lui-même vidé sa demande de sa substance et de pièces importantes. Il a vu cette demande rejetée par l’Ofpra. Quant à la Commission des recours, elle s’est étonnée de la nouveauté de certains aspects du dossier.
À ces conseils néfastes s’ajoute, à Lyon, l’insistance de certains agents de la préfecture pour que le requérant expédie sa demande d’asile à l’Ofpra dans les quarante-huit heures ! Or, pour certaines demandes d’asile, il faut des heures d’entretien avant de parvenir à un récit détaillé des événements qui ont causé son départ.
« Bizarreries zaïroires »
Si la procédure française d’attribution du statut, avec sa double instance de décision (Ofpra et Commission des recours) permet à un(e) Zaïrois(e) qui a fui des persécutions d’être reconnu(e) réfugié(e), encore faut-il que son dossier soit, une fois au moins et le plus tôt possible, correctement établi, et que les conseils — entourage, associations, avocats, médecins — comme les officiers de protection à l’Ofpra tiennent compte de quelques paradoxes et bizarreries zaïroises. Par exemple, on doit savoir que la fameuse « carte verte » (carte d’identité zaïroise) est souvent délivrée sur la seule base des déclarations du demandeur, et que sa délivrance est, pour l’officier d’état-civil qui a depuis longtemps renoncé à pouvoir vivre de sa paie, l’occasion d’un petit revenu. Le cas échéant, cette carte sera rédigée au domicile de l’agent, sans être légalement enregistrée (ce qui ne l’empêche pas d’être dotée d’un numéro fantaisiste). Est-elle perdue ou détériorée, on en délivre un duplicata où l’on ajoute les prénoms des enfants nés entre-temps, sans modifier la date de délivrance initiale !
On doit savoir également que les cartes d’étudiants sont fréquemment délivrées... en fin d’année universitaire, pour permettre l’accès aux examens (c’est notamment le cas à Lubumbashi), si bien qu’une carte établie en octobre peut avoir de fortes chances d’être... inauthentique. Bien entendu, sa délivrance permet au personnel administratif d’arrondir ses fins de mois, car il exige son renouvellement annuel, quand bien même le règlement porté au verso prévoit le contraire.
Autre paradoxe : on peut quitter le Zaïre, la sécurité présidentielle aux trousses, avec un visa obtenu sur... intervention du protocole de la présidence. Il suffit d’y connaître un « frère » (de la famille largement élargie, de l’ethnie) qui acceptera de « coopérer », c’est-à-dire de délivrer le document moyennant finances.
De même, si, en principe, chaque unité de l’armée est dotée de son uniforme propre, les « déguisements » ne sont pas rares. Aussi les Zaïrois disent-ils souvent avoir eu affaire à la DSP (Division spéciale présidentielle) quand il s’agissait d’agents du SARM (Service d’action et de renseignements militaires). Il arrive, en effet, que les autorités militaires habillent des éléments de la DSP — haïe — avec des uniformes des parachutistes du camp CETA (Centre d’entraînement des troupes aéroportées) qui inspirent davantage confiance.
Le retour de la majorité des Zaïrois présents en France et ailleurs en Occident se heurte, en premier lieu, à l’état délabré de la situation économique. Qui peut aujourd’hui imaginer ramener sa famille à Kinshasa — n’oublions pas que les demandeurs d’asile sont presque tous Kinois — où 200 000 emplois formels ou informels ne parviennent pas à faire vivre quatre millions d’habitants ?
Il ne manque pas de militants politiques qui, depuis un ou deux ans, sont retournés au pays mener le combat qui leur semble nécessaire afin qu’un jour la démocratie advienne (s’y ajoutent ceux qui sont allés gentiment manger dans la main du Guide) : ils ont laissé ici femme et enfants.
C’est que le Zaïre reste un pays où règne l’insécurité, où les forces de la répression continuent leur œuvre, où les événements peuvent s’emballer en quelques heures, comme en septembre dernier. À ce titre, tout le monde, et pas seulement les militants politiques, se trouve menacé. Toutefois des risques majeurs (arrestations, mauvais traitements, voire tortures et exécutions) demeurent pour ceux que leurs activités et/ou leurs relations ont conduits à faire l’objet d’une surveillance étroite de la sécurité, et dont le retour ne passerait pas inaperçu.
Enfin, restent les cas difficiles des membres des services de sécurité et des forces de répression qui, pour des raisons diverses, ont à un moment donné déserté leur poste. Le plus souvent déboutés, ils risquent presque à coup sûr d’être purement et simplement exécutés après leur arrivée : ceux-là en savent trop sur le régime et ses pratiques.
Notes
[1] L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), 1992, annexe 1. Ces chiffres publiés en février dernier, représentent un « bilan statistique provisoire » de 1991.
[2] La prise en compte des statistiques des années précédentes indique que le Zaïre est au deuxième rang derrière la Turquie depuis 1986. Cf. Jacques François, « De l’exil à l’asile en Europe », in Approches polémologiques - Conflits et violence politique dans le monde au tournant des années quatre-vingt-dix, Fondation pour les études de défense nationale, Paris, 1991, p. 417.
[3] Le nombre de réfugiés statutaires d’Afrique noire tel qu’il apparaît dans la réponse du ministre de l’Intérieur à une question écrite du 27 août 1990, publiée le 29 avril 1991, est de 11 245. Les réfugiés zaïrois sont au nombre de 4 758, soit 42 % du total des réfugiés du continent (Documentation réfugiés, n° 147, 18/27 mai 1991).
[4] L’Office français de protection des réfugiés et apatrides, op. cit., annexe 2, page 5.
[5] Selon le HCR. Le Zaïre accueillait, quant à lui, à la même époque, environ 341 000 réfugiés, dont 310 000 Angolais.
[6] Cette mesure a pour objet d’empêcher un ressortissant d’un de ces pays de demander l’asile à la faveur d’un transit ou d’une escale en France, après obtention dans son pays d’un visa délivré par le pays de destination. Cette formule permettait en effet de contourner la non-délivrance de visas par les autorités consulaires françaises.
[7] OFPRA in Actualités Migrations, n° 30, 13 au 19 novembre 1989.
[8] En 1990, 12 964 personnes ont déposé une demande d’asile en Belgique, dont 8 % de Zaïrois (environ 1 040), contre 12 % de Ghanéens, 13 % de Turcs et 13 % de Roumains. Le Zaïre n’arrivait donc qu’en quatrième position, ex aequo avec l’Inde et la Pologne. En 1991, sur 15 291 demandes, 1940 (12,7 %) émanaient de Zaïrois, le Zaïre arrivant ainsi au deuxième rang après la Roumanie (15,5 %) et avant le Ghana (9,5 %).
[9] L’issue de la demande d’asile de certains d’entre eux ne nous est pas connue, mais il s’agit ici d’une étude sur le profil des demandeurs d’asile et non des réfugiés statutaires. Les deux membres d’un couple déposant une demande d’asile ne constituent dans cette étude qu’un dossier, sauf si les deux conjoints ont une histoire (activités, persécutions) propre. Notre étude porte sur les faits tels que relatés dans des déclarations qui vont de la confession la plus sincère à l’improvisation la plus fantaisiste, et non sur des faits bruts, parfois inconnaissables.
[10] La sortie du pays comme passager clandestin sur un bateau au départ de Matadi coûte évidemment moins cher. Dans bien des cas, c’est le moyen de fuite du pauvre. C’est aussi un moyen dangereux : on peut mourir — de froid, de faim, de soif — dans son conteneur.
[11] De « Miguel », l’Europe mythique, objet du désir de bien des jeunes désœuvrés de Kinshasa, de Matadi et d’ailleurs.
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