Article extrait du Plein droit n° 18-19, octobre 1992
« Droit d’asile : suite et... fin ? »

Violation des lois internationales : Amnesty International condamne les États-Unis, la France et la Suisse

Au terme d’une mission effectuée sur place en mars 1992, Amnesty International a publié, le 20 août à Londres, un rapport  [1] sur la situation des droits de l’homme en Haïti. Les violations sont si nombreuses dans ce petit pays que, selon Amnesty, « des dizaines de milliers de Haïtiens vivent maintenant cachés pour éviter les persécutions ». « Des milliers d’autres ont fui, cherchant refuge aux États-Unis » ou en Europe. À la suite du refus des gouvernements américain, français et suisse d’accueillir les demandeurs d’asile haïtiens sous des prétextes variés, Amnesty International estime que cette attitude « viole les lois internationales ».

« Depuis le coup d’État de septembre 1991, des dizaines de milliers de Haïtiens ont fui leur pays et des milliers ont été refoulés vers Haïti par les autorités nord-américaines (...). Le gouvernement nord-américain a répondu à cet exode par une série de mesures. Il a refoulé des demandeurs d’asile haïtiens après un examen superficiel de leurs demandes d’asile à bord des garde-côtes américains. Il a accordé à d’autres un entretien plus approfondi à la base navale de Guantanamo, à Cuba. Mais, tout au long de la période d’exode massif, il a résolument refusé d’honorer ses obligations légales internationales relatives à la protection des réfugiés. Tout récemment, contrevenant de manière flagrante au droit international, le gouvernement nord-américain a commencé à refouler tous les demandeurs d’asile haïtiens sans chercher à savoir lesquels risquaient d’être victimes de violations de leurs droits fondamentaux en Haïti (...). En méprisant à ce point les normes internationales relatives au traitement des réfugiés, cette attitude menace de saper le système international élaboré avec soin pour protéger les personnes qui fuient la persécution.

 » Le gouvernement nord-américain a déclaré que les Haïtiens qui craignent d’être victimes de violations des droits de l’homme peuvent déposer une demande d’asile auprès des représentants du consulat des États-Unis en Haïti (...). Amnesty International ne pense pas qu’une telle mesure puisse, dans la situation actuelle, permettre aux personnes les plus menacées de contacter les autorités nord-américaines et encore moins d’obtenir leur protection (...). Une demande d’asile présentée dans une ambassade ne peut fournir les mêmes garanties fondamentales qu’une procédure de demande d’asile menée hors du territoire haïtien, laquelle respecte les obligations internationales relatives au statut des réfugiés (...). »

Paris épinglé

« Amnesty International est aussi préoccupée par le traitement des demandeurs d’asile haïtiens par les autorités françaises. En novembre 1991, cinq Haïtiens ont été interpellés à leur arrivée à l’aéroport Charles-de-Gaulle et retenus plusieurs jours par les autorités ; on leur a signifié qu’ils allaient être renvoyés sur Port-au-Prince. Grâce à l’intervention d’avocats et d’une organisation française travaillant en faveur des réfugiés, quatre d’entre eux ont trouvé asile en France et ont par la suite obtenu le statut de réfugié. Amnesty International a aussi obtenu des informations détaillées concernant un certain nombre de cas dans lesquels les autorités françaises ont refusé à des Haïtiens l’autorisation d’entrer sur le territoire et, pour autant qu’il est possible d’en juger, les ont renvoyés vers des pays tiers sans avoir examiné attentivement leur demande d’asile, ni même s’être assurées que ces pays leur offriraient une protection réelle et durable contre un rapatriement forcé vers Haïti.

 » Depuis quelques années, la France demande aux Haïtiens un visa d’entrée, mais Amnesty International est préoccupée par les mesures prises ces derniers mois par la France et la Suisse dans le but d’imposer des restrictions supplémentaires à l’entrée des Haïtiens. Amnesty International reconnaît aux gouvernements le droit de contrôler l’immigration et l’entrée sur leur territoire, mais elle leur demande néanmoins de s’assurer que les demandeurs d’asile qui souhaitent obtenir leur protection sont en mesure de le faire, et que les mesures restrictives, entre autres l’obligation d’obtenir un visa, ne les empêchent pas d’entamer les procédures de demande d’asile. Au cours des mois qui ont suivi le coup d’État de septembre 1991, de nombreux Haïtiens désireux de trouver asile en France s’y sont rendus via la Suisse, qui ne leur demandait pas de visa. Puis en février 1992, la Suisse a imposé des restrictions aux Haïtiens et, le 1er juillet, leur a imposé l’obtention d’un visa ; en mars, la France elle-même a imposé un visa de transit aux Haïtiens voyageant vers d’autres destinations via les aéroports français. Selon certains témoignages, Air France a demandé à son agence de Port-au-Prince de tenir compte des nouvelles restrictions d’entrée en Suisse, et, quelques jours plus tard, 90 Haïtiens qui se rendaient à Zurich via Paris se sont vu refuser le droit d’embarquer sur un vol d’Air France. Amnesty International est préoccupée de voir que de telles mesures sont prises alors qu’Haïti est le théâtre de graves violations des droits de l’homme et que certaines personnes doivent fuir leur pays pour leur propre sécurité (...) ».

Un cauchemar des droits de l’homme



« Tous les hommes sont égaux devant la loi »

« Haïti vit un cauchemar où les libertés les plus fondamentales sont violées et où ceux qui les violent bénéficient d’une impunité potentielle. » Cette conclusion figure, entre autres, dans un récent rapport de mission du Lawyers Committee for Human Rights (Comité des avocats pour les droits de l’homme) de New-York, au terme d’une mission sur place effectuée en mai 1992 [2]. Il relève que « la situation actuelle rappelle celle qui prévalait sous Duvalier ». ll note, par exemple, que « la population vit dans la terreur », que « les rares stations de radio encore en activité sont manifestement contraintes à des exercices d’autocensure » et que « les libertés de réunion et d’association ont cessé d’exister ».




Notes

[1Document SF 92 R 46, août 1992, 30 pages

[2Haïti : A Human Rights Nightmare, 62 p., août 1992, Lawyers Committee for Human Rights (330 Seventh Avenue, 10th Floor N, NY, New-York 10 001). Lire également Papers Laws, Steel Bayonets, novembre 1990, un tableau documenté de la justice haïtienne.


Article extrait du n°18-19

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Dernier ajout : mardi 17 juin 2014, 17:53
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