Article extrait du Plein droit n° 18-19, octobre 1992
« Droit d’asile : suite et... fin ? »

La bataille perdue des associations

Sans les associations humanitaires ou de défense du droit des étrangers, et sans certains syndicats, la zone internationale serait restée, en France, une aire de non-droit, d’où des candidats au statut de réfugiés auraient continué à être refoulés vers leurs pays d’origine, souvent sans avoir pu formuler leur demande d’asile, au terme d’une séquestration abusive de durée indéterminée [1]. Ainsi en était-il, entre autres, du sort de nombreux Haïtiens au lendemain du coup d’État qui a abattu la démocratie dans leur pays, le 30 septembre 1991.

Désespérées par cette condamnation à un refoulement sans appel, ce sont des familles de Haïtiens et d’une Zaïroise qui, le 23 novembre, alertaient le Gisti sur leur détention au secret dans le cadre de l’hôtel Arcade (la jeune Zaïroise depuis le 26 octobre).

Aussitôt tous les moyens étaient mis en œuvre pour obtenir leur entrée sur le territoire et l’ouverture d’une procédure d’examen de leur demande d’asile. Ils saisissaient également des avocats, membres des associations, qui intentaient alors, en leur nom, une action contre le ministère de l’Intérieur devant le tribunal de grande instance de Paris pour séquestration abusive. Le TGI, qui a examiné l’affaire le 26 février, a condamné l’administration le 25 mars pour atteinte aux libertés et séquestration abusive [2].

Le Gisti et l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) n’en restaient pas là. Ils organisaient une veille attentive sur la zone internationale, intervenant auprès du ministère de l’Intérieur, du HCR, de l’Ofpra, chaque semaine, pour éviter que des « bavures » ne se reproduisent. Cette obstination du GISTI à exiger qu’aucune partie du territoire français ne soit soustraite à l’État de droit, sous prétexte de zone internationale, a poussé le ministre de l’Intérieur, pour sortir de l’illégalité, à introduire en urgence, un amendement dit « des zones de transit » dans son projet de loi relatif à l’entrée et au séjour des étrangers en France, alors en discussion à l’Assemblée nationale le 19 décembre dernier [3].

Ce texte, qui prévoyait une possibilité de rétention de vingt à trente jours pour des étrangers non admis à la frontière, sans aucun contrôle du pouvoir judiciaire, violait le principe de la République selon lequel le juge est le garant des libertés. Le Conseil constitutionnel a, de ce fait, annulé cette disposition. Finalement, le 9 juillet, était promulguée la loi sur les « zones d’attente » qui, tout en accordant quelques garanties formelles absentes du projet initial, porte une atteinte grave à la liberté de circulation et reste dangereuse pour les demandeurs d’asile.

Cette bataille, très largement perdue, a également mobilisé bien d’autres associations. Plusieurs dizaines d’entre elles, ainsi que des syndicats, regroupés dans des collectifs comme la Commission de sauvegarde du droit d’asile (CSDA) et l’Anafé, rejointes par la Pastorale des migrants, le Collectif Haïti de France et la CGT, ont engagé, en janvier 1992, une campagne d’opinion sur le thème « Demain, la fin du droit d’asile ? » [4]. De même, une quarantaine d’associations ont-elles organisé, du 11 au 13 juin dernier, à Paris, des auditions publiques intitulées « Droit d’asile : appel à témoins », au terme desquelles un appel a été lancé, qui donnera lieu, à la fin de l’année, à une pétition nationale sur le thème « Pour que l’asile reste un droit ». Mais tous ces beaux efforts n’ont guère ébranlé les responsables français et européens dans leur détermination à protéger les sociétés occidentales de la misère du monde.


Notes

[1]« Dans le non-droit des aéroports, la mort d’un Sri Lankais », Plein droit, n° 15-16, novembre 1991.

[2] Lire notamment « Des demandeurs d’asile contestent la zone internationale prévue par le ministre de l’intérieur », Le Monde, 21 janvier 1992 ; « Demandeurs d’asile : aéroports », Libération, 27 novembre 1991 ; « Le gouvernement rappelé à l’ordre sur le respect des libertés individuelles », Le Monde, 27 février 1992 ; « Les sages mettent la loi Marchand en quarantaine », Libération, 26 février1992 ; « Le procès des zones de non-droit », Le Monde, 28 février 1992 ; « Zones de transit en procès », Libération, 27 février 1992. Sur la loi relative aux « zones d’attente », promulguée le 9 juillet 1992, lire « Zones d’attente : première bavure », Libération, 20 juillet 1992, et « Zone d’attente : précision », Libération, 28 juillet 1992.

[3] Lire La loi du 26 février 1992 et le débat autour de la zone de transit, GISTI, avril 1992.

[4] « Demain, la fin du droit d’asile ? », Le Monde, 21 janvier 1992.




Notes

[1« Dans le non-droit des aéroports, la mort d’un Sri Lankais », Plein droit, n° 15-16, novembre 1991.

[2Lire notamment « Des demandeurs d’asile contestent la zone internationale prévue par le ministre de l’intérieur », Le Monde, 21 janvier 1992 ; « Demandeurs d’asile : aéroports », Libération, 27 novembre 1991 ; « Le gouvernement rappelé à l’ordre sur le respect des libertés individuelles », Le Monde, 27 février 1992 ; « Les sages mettent la loi Marchand en quarantaine », Libération, 26 février1992 ; « Le procès des zones de non-droit », Le Monde, 28 février 1992 ; « Zones de transit en procès », Libération, 27 février 1992. Sur la loi relative aux « zones d’attente », promulguée le 9 juillet 1992, lire « Zones d’attente : première bavure », Libération, 20 juillet 1992, et « Zone d’attente : précision », Libération, 28 juillet 1992.

[3Lire La loi du 26 février 1992 et le débat autour de la zone de transit, GISTI, avril 1992.

[4« Demain, la fin du droit d’asile ? », Le Monde, 21 janvier 1992.


Article extrait du n°18-19

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Dernier ajout : jeudi 19 juin 2014, 11:25
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