Article extrait du Plein droit n° 85, juin 2010
« Nom : Étranger, état civil : suspect »

Un visa « révolutionnaire » ?

Emeline Briantais

Inspectice du travail
Depuis le 1er juin 2009, certains étrangers sont dispensés de détenir un titre de séjour pendant la première année de leur séjour en France. Le visa de long séjour supérieur à trois mois que leur a délivré le consulat tient lieu de titre de séjour. Cette mesure prévue dans le cadre de la révision générale des politiques publiques constitue-t-elle une avancée ? Permet-elle une simplification des démarches ? Eléments de réponse un peu plus d’un an après son entrée en vigueur.

Le 9 septembre 2009, lors d’une conférence de presse, Eric Besson indiquait que les premiers « visas de long séjour dispensant de titre de séjour » (VLSTS) avaient été remis à des ressortissants étrangers. Ce titre particulier mi-visa, mi-titre de séjour ou titre unique, créé par le décret du 27 avril 2009 est entré en circulation le 1er juin 2009. Délivré par les autorités françaises, il permet d’entrer et de séjourner légalement en France pour des séjours compris entre trois mois et un an. C’est ce titre qui est dorénavant remis [1] aux conjoints de Français, aux travailleurs étrangers (salariés et travailleurs temporaires), aux visiteurs et aux étudiants arrivant pour la première fois en France. Concrètement, il est constitué d’un visa et d’une vignette apposés sur le passeport et non plus d’un récépissé puis d’une carte plastifiée.

Les critères de délivrance des autorisations d’entrée, de séjour et de travail ne sont pas modifiés. Les primo arrivants restent soumis aux règles relatives à la visite médicale, aux redevances dues à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et, le cas échéant, à la signature du « contrat d’accueil et d’intégration ». Quant au renouvellement, il obéit aux règles habituelles, à savoir que deux mois avant l’expiration de son visa, l’étranger doit demander une carte de séjour temporaire (CST). Par ailleurs, l’année passée sous visa long séjour est prise en compte pour l’ouverture du droit au regroupement familial ou à la carte de résident. Les titulaires de ce visa (à l’exclusion des « visiteurs ») sont autorisés à travailler en France sous réserve des limites afférentes à leur titre.

Ce nouveau dispositif a été présenté par le ministre de l’immigration comme « une réforme pour mieux accueillir les étrangers  » et même comme une « révolution pour les règles d’entrée et de séjour sur notre territoire  ». Rien de moins. Certes, il concerne 75 % des ressortissants étrangers entrant sur le territoire. L’étranger arrivant en France n’est plus tenu de s’adresser à la préfecture, ce qui simplifie les formalités auxquelles il est soumis. Remplaçant l’ancienne procédure qui serait source de double instruction – celle du consulat puis celle de la préfecture – et surtout multiplierait les démarches pour l’étranger, cette nouvelle procédure représenterait une réelle simplification. Qu’en est-il réellement ?

Première précision, les deux instructions demeurent. Donc, plutôt que de révolution, il s’agit d’une adaptation à la réalité. Les préfectures ne pouvant attribuer rapidement aux primo arrivants la carte plastifiée, les étrangers restaient souvent, plus ou moins longtemps, en possession de simples récépissés de demandes de carte de séjour. Cette adaptation avait déjà été réalisée pour les travailleurs [2]. D’autre part, si le déplacement en préfecture est supprimé, l’étranger n’est pas déchargé de toute démarche administrative, bien au contraire. Il doit en effet envoyer en recommandé avec accusé de réception le « formulaire de demande d’attestation de l’OFII » dûment rempli (numéro de visa, date d’entrée, adresse en France). C’est donc lui qui assure une partie de la navette de son dossier du consulat à l’OFII en veillant à l’envoyer – à ses frais – à la plateforme de l’Office géographiquement compétente. Celle-ci lui retourne alors la précieuse « attestation » par lettre simple, le convoque à la visite médicale destinée à vérifier son aptitude médicale au séjour en France, et éventuellement à une visite en vue de la signature du contrat d’accueil et d’intégration. Une fois toutes ces étapes franchies, l’étranger doit se présenter à l’OFII à la date indiquée sur sa convocation muni de son passeport, du visa, d’un justificatif de domicile, d’une photo, du certificat médical délivré après la visite médicale, bref avec exactement les mêmes documents que ceux demandés par la préfecture pour la délivrance du titre de séjour.

Pour résumer, la simplification réside dans la création d’un guichet unique auquel l’étranger doit s’adresser à son arrivée en France. Pour la préfecture, l’allègement est conséquent puisque l’ensemble des tâches qu’elle accomplissait est désormais externalisé et transféré à la charge de l’OFII et de l’étranger. En revanche, pour ce dernier, il n’est pas question d’assouplissement puisque, comme le précise la circulaire du 29 mars 2009, « seul l’accomplissement de ces formalités par l’étranger dans les 3 mois suivant son entrée en France et attesté par l’OFII par l’apposition de la vignette sur le passeport l’autorise à séjourner sur le territoire français  ». Il bénéficie d’une période de tolérance de six mois maximum après son entrée en France, mais, au-delà, il pourra faire l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière. Celui qui sollicitera, lors du renouvellement de son droit au séjour, la délivrance de la carte de séjour temporaire et qui n’aurait pas accompli les démarches auprès de l’OFII se verra opposer un refus. Seul point positif, le visa de long séjour dispensant de titre de séjour, en cours de validité, ne peut faire l’objet d’une décision de retrait. En outre, sur le plan communautaire, le règlement n° 265/2010 du 25 mars 2010 prévoit que ce visa a les mêmes effets qu’un titre de séjour en ce qui concerne la libre circulation dans l’espace Schengen.

L’analyse de ces nouvelles dispositions montre que, dorénavant, les étrangers sont seuls à l’initiative des démarches obligatoires à leur arrivée en France et ainsi garants de la poursuite de leur droit au séjour. S’il n’y a pas, comme on vient de le voir, simplification de la procédure, du moins pour les étrangers, cette « révolution » apporte-t-elle une amélioration notable du service rendu à ces derniers, comme le promettait Éric Besson dans le dossier de presse de présentation de ce nouveau décret ? On peut en douter. Tout d’abord, les mentions apposées sur le visa long séjour au titre de la vie privée et familiale, à savoir « CESEDA L.211-2-1 R.311-3 4° », qui signifie en réalité « autorise son titulaire à travailler » sont incompréhensibles pour les non initiés. Les services du ministère du travail sont donc régulièrement sollicités, soit par des conjoints de Français en recherche d’emploi, soit par des employeurs potentiels, sur la réalité du droit au travail conféré par une telle carte. Il est à craindre qu’un grand nombre d’employeurs ne reconnaissant pas ce type d’autorisation de travail ne s’adressent pas aux services du ministère du travail et refusent tout simplement d’embaucher l’étranger. Ensuite, les modifications du code du travail et du code de la sécurité sociale introduites par la réforme sont incomplètes [3] donc difficiles à appliquer. Alors que l’ensemble des catégories de titulaires du visa long séjour devrait pouvoir prétendre aux mêmes prestations sociales que les étrangers titulaires des cartes de séjour correspondantes, seuls les conjoints de Français en bénéficient sans difficulté. En effet, l’article L.212-2-1 du Ceseda prévoit expressément que « le visa délivré pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois au conjoint d’un ressortissant français donne à son titulaire les droits attachés à la carte de séjour temporaire  ». Pour les autres bénéficiaires, étudiants, travailleurs et visiteurs, les textes permettant l’attribution des prestations sociales n’ont pas encore été modifiés [4]. Autre sujet d’inquiétude : la simplification de la preuve, par l’étranger contrôlé, de sa situation régulière. Celui-ci doit en effet désormais présenter en lieu et place de la carte de séjour (plastifiée) soit « le passeport revêtu de la vignette OFII  » soit « le passeport et l’accusé réception de l’OFII ou la convocation de l’OFII pour une date non encore échue  ». Ceci multiplie le nombre de documents à avoir sur soi pour justifier de sa régularité de séjour.

En conclusion, la mise en place précipitée de cette mesure sans modification des textes réglementaires du code de la sécurité sociale n’a pas facilité, bien au contraire, les démarches administratives des étrangers. Le ministre Besson indique que « le visa de long séjour dispensant de titre de séjour conférera à l’étranger les mêmes droits, notamment sociaux que la carte de séjour temporaire qu’il remplace lorsque les décrets relatifs aux documents ouvrant droit aux prestations sociales seront parus  » et que « l’étranger ne [doit] pas être un usager de moindre importance  ». Pas sûr que les titulaires du « visa long séjour valant titre de séjour » goûtent l’ironie. Espérons que la réforme des textes annoncée [5] apportera les adaptations nécessaires avant les premiers renouvellements de ces nouveaux titres.

Avant d’être une mesure de simplification de la procédure de demande de titre de séjour, cette réforme est avant tout une mesure d’économie. Sa mise en place fait suite à la décision adoptée dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) par le Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) d’avril 2008. En allégeant les tâches des préfectures, le gouvernement compte faire des économies de fonctionnement. Mais ces tâches administratives restant d’actualité, elles seront concentrées principalement sur l’OFII, établissement public administratif qui dispose de ressources propres grâce aux redevances payées par les étrangers à l’occasion de la délivrance des titres de séjour. Ces mesures d’économie doivent s’accompagner aussi à terme d’une externalisation du recueil des demandes de visa et des tâches périphériques (prises de rendez-vous, recueil des données et remise des passeports), les consulats déchargés de ce travail « se concentrant davantage sur du contrôle hiérarchisé » selon la décision du CMPP [6].

Il conviendrait d’analyser également cette reforme à travers le discours de Nicolas Sarkozy, en 2005, devant la conférence préfectorale et consulaire sur l’immigration [7]. À l’époque ministre de l’intérieur, il appelait de ses vœux ce titre unique mais également une administration centrale unique et, à terme, un « réseau unique d’agents de l’État spécialistes de l’immigration, issus des réseaux préfectoraux et consulaires, mettant en œuvre une même politique.  » Plusieurs orientations dessinées dans ce discours ont déjà été réalisées. Depuis décembre 2007, les services chargés de l’immigration disposent d’une administration centrale dite d’« état major », le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. En avril 2008, ce ministère est devenu responsable de la mise en œuvre opérationnelle de la délivrance des visas, le ministère des affaires étrangères gardant les visas diplomatiques. En avril 2009, le titre unique est né. Il ne reste plus qu’à mettre en place le « réseau unique ». Quelle forme prendra-t-il ?




Notes

[1À l’exception des ressortissants algériens.

[2Depuis la loi du 20 novembre 2007 (et la circulaire IMII0800023C de mars 2008), la visite médicale de l’OFII et la remise de la carte de séjour temporaire ne sont plus nécessaires pour pouvoir commencer à travailler en France. Seul le fait d’être inapte au séjour ou de ne pas se présenter aux convocations de l’OFII entraîne le retrait de l’autorisation de séjour.

[3Sauf la liste des étrangers pouvant s’inscrire à Pôle emploi, qui a été complétée. Voir l’article R.5221-48 du code du travail.

[4Une circulaire de la CNAF n° C 2009-025 du 2 décembre 2009 demande toutefois aux caisses, dans l’attente des modifications règlementaires en cours, d’étudier les droits aux prestations familiales, aux aides au logement, à l’allocation aux adultes handicapés, au revenu de solidarité active et à l’assurance vieillesse des parents au foyer des étrangers titulaires des visas, qui remplissent les conditions requises.

[5Par la lettre ministérielle du 12 octobre 2009 et la circulaire CNAF C 2009-025 du 2 décembre 2009.


Article extrait du n°85

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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