Article extrait du Plein droit n° 79, décembre 2008
« Français : appellation contrôlée »

Des ponts pas des murs

Préoccupées par le caractère essentiellement sécuritaire du traitement des flux migratoires, entraînant des milliers de morts, et par les choix économiques mis en œuvre qui maintiennent le continent africain en marge du développement, des organisations de la société civile du Nord et du Sud ont organisé, les 17 et 18 octobre 2008, à Montreuil, un sommet citoyen sur les migrations. À l’issue de ce sommet, les organisations participantes ont adopté la « Déclaration de Montreuil » ci-dessous.

Nous ne pouvons plus laisser la question des migrations aux seules mains des États, qui plus est des États du Nord, dans un contexte où la crise économique et financière augmente déjà la pauvreté et risque de renforcer la xénophobie dans les pays d’accueil et de transit des migrants.

Nous ne voulons pas, en réponse à cette situation, d’une politique qui transforme l’Europe en forteresse.

À nous, sociétés civiles du Nord et du Sud, d’inventer ensemble d’autres politiques migratoires et de développement, qui soient fondées sur la justice et le respect des droits et de la dignité humaine.

Nous voulons des ponts, pas des murs !

Nous demandons au gouvernement français qui préside l’Union européenne d’impliquer les sociétés civiles lors de la 2e Conférence ministérielle Union européenne-Afrique sur « Migrations et Développement » qui aura lieu à Paris fin novembre.

En ce soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, nous lui rappelons l’universalité de ces droits, qui s’appliquent à tous, et donc aux migrants, qu’il aient des papiers ou non.

Nous exigeons :

L’application de l’article 13* de la Déclaration universelle des droits de l’Homme en incluant la dépénalisation du franchissement « illégal » des frontières, la ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles, et le respect effectif de la Convention internationale sur les droits de l’enfant dans les pays de départ, de transit et d’accueil ;

  • De permettre à tous les migrants d’avoir accès à une complète citoyenneté et de fonder toutes les réglementations concernant les migrants sur l’égalité des droits entre tous les citoyens. Dans l’immédiat, nous exigeons d’élargir les conditions applicables aux résidents communautaires, notamment le droit de vote, à tous les résidents ;
  • Le refus de la subordination entre le droit au séjour et le droit au travail, le respect du droit à la vie privée et familiale et l’autonomie du statut pour chacun des conjoints ;
  • La mise en œuvre du droit au développement tel qu’il est défini par la déclaration sur le droit au développement adoptée par les Nations unies en 1986 et l’annulation immédiate de la dette des pays du Sud, d’autant qu’elle rend les Objectifs du Millénaire pour le Développement inatteignables ;
  • Des gouvernements du Sud le refus de la signature d’accords bi- ou multilatéraux qui portent atteinte à leur intégrité et à leur dignité et comportent des conditionnalités et notamment des clauses de réadmission ;
  • L’arrêt de la militarisation des frontières africaines imposée par l’Union européenne ;
  • La liberté de choix et d’accès du pays d’accueil pour les demandeurs d’asile et les réfugiés (refus du dispositif dit « de Dublin » et des pays dits « sûrs ») et la suppression de toutes les formes d’externalisation des procédures d’asile ;
  • Une interprétation extensive de la notion de réfugié, incluant notamment les victimes d’atteintes aux droits économiques, sociaux et environnementaux et les persécutions collectives ;
  • En attendant la fermeture de tous les lieux d’enfermement, l’interdiction de la détention des demandeurs d’asile et la création de mécanismes indépendants de contrôle de ces lieux ;
  • La protection des femmes victimes de violences de toute nature ;
  • Une réelle visibilité des actions concrètes des femmes migrantes dans les pays d’origine, de transit et d’accueil dans les enceintes de discussion nationale et internationale ;
  • La protection sans conditions des migrants mineurs et notamment l’interdiction de leur enfermement et de leur expulsion, le respect effectif de leur droit à la formation et à l’éducation, ainsi que la régularisation des jeunes majeurs.

Bien que cette déclaration soit le fruit du travail de plus de 1 000 participants, représentant 330 associations de 36 pays différents – principalement en Afrique et en Europe ; bien que le rassemblement de Montreuil soit le point d’orgue d’une mobilisation citoyenne qui, par sa diversité, n’a pas connu de précédent dans le champ des politiques migratoires et de développement ; bien que le message qu’elle porte soit directement adressé aux gouvernements qui n’avaient pas jugé utile de consulter en amont leurs populations sur des questions qui les concernent au premier chef, c’est un refus catégorique qu’ont essuyé les représentants du sommet citoyen qui voulaient se faire entendre le 25 novembre, jour de la conférence officielle Union européenne-Afrique. Maintenus à distance par les forces de l’ordre, ils n’ont même pas pu remettre le texte de la déclaration à leurs interlocuteurs. Le mépris, jusqu’au bout.} Hier, mardi 25 novembre, se tenait à Paris la deuxième Conférence interministérielle euro-africaine sur la migration et le développement. Alors que les délégations ministérielles en charge des questions migratoires des 27 États membres de l’UE ainsi que de 27 pays africains se retrouvaient dans un hôtel huppé du quartier de Grenelle, la délégation du collectif « des ponts pas des murs », qui rassemble 330 organisations du Sud et du Nord, s’est vu refuser l’accès à la conférence, même en tant qu’observateur.

Ce refus s’inscrit dans une attitude de mépris absolu des sociétés civiles qui n’ont été à aucun moment associées à la réflexion, malgré nos demandes réitérées de discussion sur le fond auprès des organisateurs à Paris. Face à l’absence de tout interlocuteur côté gouvernemental et l’interdiction qui nous a été faite d’accéder à la conférence, nous n’avons pu remettre aux délégations présentes les 70 recommandations issues du sommet citoyen }sur les migrations, qui avait regroupé les 17 et 18 octobre dernier des milliers de participants.

Nous ne nous laisserons pas décourager par cette fin de non-recevoir catégorique. Notre rassemblement aura été l’occasion de rendre un hommage aux victimes des politiques sécuritaires d’immigration : des roses blanches ont été jetées dans la Seine et une gerbe de fleurs a été déposée sur le pont de Grenelle.

Ce mépris et cette arrogance procèdent de la même logique qui rend le dialogue euro-africain particulièrement déséquilibré. L’Union européenne, elle, est arrivée à cette conférence en rangs serrés avec son pacte européen sur l’immigration et l’asile qui définit de manière unilatérale sa ligne en matière de politique migratoire. Ce dernier n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucune concertation préalable avec les pays d’origine et de transit des migrants, et encore moins avec les sociétés civiles.

Il s’agissait bien hier de contraindre par le chantage les pays africains dans une parodie de dialogue dans laquelle les pays européens mènent la danse. Sous couvert d’« approche globale des migrations », le « dialogue » consistait à mieux faire passer des mesures sécuritaires et répressives en faisant miroiter des possibilités limitées de migration légale et d’aide au développement.

Il est regrettable que la question des droits des migrants que nous portions comme fil conducteur de nos revendications, et en particulier la ratification de la Convention des Nations Unies sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles, ait été écartée d’un revers de la main au moment même où au niveau international, cette question était l’un des thèmes centraux du Forum mondial sur la migration et le développement de Manille fin octobre. Forum où, par ailleurs, la société civile a largement pu faire entendre sa voix, ce qui n’a nullement été le cas à Paris.

Une fois encore, il y a un décalage extrême entre les discours de l’UE, notamment à Manille, qui rappellent l’importance du « respect des droits de l’homme et de la dignité humaine de tous les migrants » et la nécessité de travailler de concert avec la société civile et la manière dont nous, sociétés civiles d’Europe et d’Afrique, sommes délibérément écartées des débats.

Il est également regrettable qu’au moment où on célèbre à Paris le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la France qui préside l’Union européenne affiche un tel mépris pour les droits des migrants et pour leurs défenseurs.

25 novembre 2008

www.despontspasdesmurs.org



Article extrait du n°79

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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