Article extrait du Plein droit n° 79, décembre 2008
« Français : appellation contrôlée »

Devant la loi

[Extraits du rapport sélectionnés par Alexis Spire]
Des files d’attente interminables, des critères appliqués de façon aléatoire, un manque d’information concernant les procédures et les droits des étrangers... Dans un rapport d’observation publié en juin 2008, la Cimade constate la maltraitance dont les migrants font l’objet de la part de l’administration.

L’observation des conditions d’accueil des étrangers, d’information du public et, surtout, d’instruction des dossiers révèle des dysfonctionnements récurrents dans les préfectures. Par leur étendue géographique et leur répétition, ceux-ci ne peuvent être considérés comme locaux ou occasionnels. Ces obstacles mis sur la route des étrangers participent d’une politique d’immigration qui vise à décourager les personnes déjà présentes en France et à envoyer un signal fort aux migrants potentiels.

Si on observe une différence très nette entre les conditions d’accès et d’attente dans les préfectures en fonction de leur taille, il convient de relativiser ce constat : même dans les grosses préfectures, les mauvaises conditions d’accueil ne sont pas une fatalité dès lors qu’il y a une volonté politique d’améliorer la situation. Ainsi, l’évolution des conditions d’accueil dans deux préfectures de taille relativement comparable, Lille et Marseille, montre qu’en partant d’une situation de départ tout aussi mauvaise, la première a réussi à proposer à ses usagers un accueil adapté, tandis que dans la seconde la situation est toujours aussi déplorable.

L’information du public

La difficulté pour obtenir de l’information est une constante : développement insuffisant de l’information à distance, absence de notices explicatives alors que le public concerné n’est pas toujours familier du fonctionnement de l’administration française, impossibilité d’accéder à un traducteur alors que les usagers ne sont pas forcément francophones, caractère lapidaire de certaines décisions qui ne permet pas de comprendre les motifs du refus.

Certaines préfectures ne prennent même pas la peine de répondre aux demandes et se contentent d’attendre que le dossier soit implicitement rejeté au bout de quatre mois de silence. À la préfecture de Nantes, par exemple, l’absence de réponse est une pratique récurrente, ce qui ne l’empêche pas, lorsque les personnes se présentent pour redéposer une nouvelle demande de titre de séjour, de refuser de l’enregistrer au motif qu’une autre est toujours en cours d’instruction, même si celle-ci date de plusieurs années.

Méthodologie de l’enquête



Ce rapport a été élaboré à partir des informations collectées par les intervenants de la Cimade dans 41 lieux d’accueil des étrangers (préfectures, sous-préfectures, commissariats), répartis dans 32 départements. Au-delà de l’observation quotidienne des pratiques administratives réalisée par les intervenants de la Cimade lorsqu’ils accompagnent des migrants en préfecture, certains lieux d’accueil ont fait l’objet de campagnes d’observation spécifiques pendant plusieurs semaines.

Le rapport est téléchargeable sur le site de la Cimade www.cimade.org/publications/17

Un traitement plus égalitaire des situations est impossible à mettre en œuvre tant que chaque service préfectoral, voire chaque agent, aura la possibilité de définir par lui-même des éléments aussi primordiaux que la liste des justificatifs permettant de vérifier si un étranger remplit les conditions pour être régularisé.

L’instruction des dossiers

C’est en matière d’instruction des dossiers que le pouvoir de l’administration se ressent le plus. Les étrangers dépendent largement de la bonne volonté des agents qui, parfois, refusent d’enregistrer leur demande sans raison explicite. Les motifs du refus sont nombreux : « vous n’avez pas les documents nécessaires  », « votre demande est irrecevable  », « votre demande n’a, de toute façon, aucune chance d’aboutir  », etc. Parfois, ces « refus guichet » sont dus à une méconnaissance des textes ou des procédures, incitant un agent à exiger des pièces ou des conditions qui ne sont pas prévues par la législation et à refuser d’enregistrer la demande tant que ces exigences, abusives ou illégales, ne sont pas satisfaites.

Il arrive que des dossiers entiers soient égarés ou que des pièces mal classées disparaissent dans le magma administratif. Ces événements sont particulièrement douloureux pour les demandeurs car les pièces fournies sont souvent difficiles à obtenir et parfois impossibles à remplacer. Certains justificatifs doivent être demandés au pays d’origine, obligeant les intéressés à solliciter leurs proches restés au pays – lorsqu’ils en ont – pour faire les démarches à leur place. D’autres documents ont été obtenus après d’âpres négociations parce que l’interlocuteur ne comprenait pas l’utilité de fournir telle pièce ou ne souhaitait pas apparaître dans une procédure administrative liée à un étranger sans papiers.

En plus de la perte de temps considérable que cela génère pour tous et du retard dans l’instruction du dossier, ces dysfonctionnements provoquent un ressentiment important chez les étrangers. Il leur apparaît que l’administration ne fait aucun cas de leur dossier alors qu’eux y placent tous leurs espoirs. Le manque de considération et de respect est d’autant plus fortement ressenti que, dans les préfectures où ce type de problème est régulier, les agents ont tendance à le banaliser soit pour minimiser leur responsabilité et la gravité du préjudice, soit parce qu’ils n’ont tout simplement pas de temps à accorder à ces problèmes.

En cas de perte du dossier, il est rare que l’administration arrive à réparer le préjudice causé. Lorsque le dossier est reconstitué, souvent aucun traitement prioritaire n’est concédé et la procédure repart de zéro.

Les délais de traitement des dossiers

En matière de droit des étrangers, l’absence de réponse s’assimile toujours à un refus implicite. De plus, par exception, le délai de réponse de l’administration est fixé à quatre mois en raison de la complexité de la matière. Ainsi, en théorie, si l’administration ne répond pas dans ce délai de quatre mois, la demande doit être considérée comme rejetée. En pratique, toutefois, de nombreuses préfectures sont incapables de tenir ces délais. L’absence de réponse ne doit donc pas toujours s’analyser comme un rejet de la demande mais souvent comme un retard dans le traitement du dossier.

Il existe deux catégories de préfectures. Les moins nombreuses sont celles qui dépassent systématiquement le délai légal de quatre mois en raison d’un manque de moyens structurel. Pour les autres, la majorité, on note une variabilité très importante. Si elles respectent globalement le délai légal, on s’aperçoit que celui-ci peut doubler voire tripler pour des raisons difficiles à appréhender pour un observateur extérieur. Bien souvent, il semble que ce soit la complexité du dossier qui détermine la durée de l’instruction dans la mesure où il devra passer entre les mains de plusieurs intervenants avant qu’une décision puisse être prononcée. Dans certains cas, c’est la catégorie juridique à laquelle appartient le demandeur qui détermine si son dossier doit être traité avant les autres ou avec davantage de diligence : dans un département, ce sont les dossiers de jeunes majeurs scolarisés qui sont prioritaires, tandis que dans un autre, ce sont les parents d’enfant français. Enfin, dans certaines préfectures, il semble que ce soit la nature de la réponse qui influence la durée de l’instruction. Certaines préfectures prononcent des refus expéditifs et mettent davantage de temps pour les accords. D’autres, à l’inverse, se prononcent rapidement en cas d’accord mais font traîner les refus.

Une fois l’instruction terminée, il arrive parfois que l’étranger ait la mauvaise surprise de constater que le titre de séjour d’une durée de validité d’un an qu’il attendait est déjà presque périmé au moment de sa délivrance. En effet, certaines préfectures font démarrer le titre de séjour non pas à la date de la décision de régularisation mais à la date du début de l’instruction de la demande. Plus la durée d’instruction est longue, plus courte est la durée de validité restante du titre de séjour au moment de sa délivrance.

Des décisions de justice appliquées avec réticence

Lorsque leurs décisions ou leurs pratiques sont condamnées par les tribunaux administratifs, il arrive que les préfectures contournent les décisions des magistrats ou mettent de la mauvaise volonté à les appliquer. Dans certains cas, elles refusent tout simplement d’appliquer une décision, dans d’autres, de manière plus détournée, elles tardent à l’appliquer. Il arrive également qu’une pratique préfectorale soit condamnée par un juge mais que la préfecture ne modifie pas pour autant ses habitudes de fonctionnement, tablant sur le fait que tous les étrangers n’ont pas les moyens de saisir un tribunal pour régler un conflit qui les oppose à l’administration. Une autre technique consiste à régulariser les personnes avant l’audience devant le tribunal pour éviter une annulation de leur décision par le juge qui fera jurisprudence et pourra être utilisée par d’autres usagers.

Quand les institutions favorisent l’arbitraire

Les mauvaises conditions d’accueil constatées dans les grandes préfectures sont liées à leur impossibilité à faire face à l’afflux des demandeurs. Face à un constat qui ne date pas d’hier, les améliorations mises en place par les préfectures sont anecdotiques quand la situation exige de repenser et de modifier en profondeur l’organisation des services. Aujourd’hui, ce sont les migrants qui payent le prix des carences de l’administration. Dans un service public, il est légitime d’attendre une information claire et précise sur les droits des usagers et les procédures à suivre. Pour les étrangers, obtenir ces informations se révèle extrêmement difficile : absence de notices explicatives, de guide des procédures, de liste nationale de pièces à fournir, etc. Ce manque de transparence renforce le sentiment d’arbitraire et d’inéquité.

En matière d’instruction des dossiers, les dysfonctionnements constatés sont légion : des préfectures qui empêchent les migrants d’accéder à la procédure en refusant d’enregistrer leur demande, des pièces justificatives ou des dossiers entiers égarés, des délais d’attente anormalement longs, une précarité administrative importante faute de délivrance de récépissé de demande de titre de séjour. Les préfectures deviennent même des lieux dangereux pour les migrants. Les interpellations au guichet se multiplient, créant un climat de crainte qui étouffe chez les usagers toute velléité de revendication d’un accueil plus respectueux.

Au niveau des agents, l’insuffisance de formation est un problème majeur. Chargés d’appliquer une législation extrêmement complexe sans être armés pour le faire, certains agents appliquent aveuglément des instructions internes sans même avoir conscience de l’illégalité de leurs pratiques. Le manque structurel de personnel et de moyens auquel s’ajoute une philosophie du rendement expliquent en partie les dysfonctionnements observés.



Article extrait du n°79

→ Commander la publication papier ou l'ebook
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : vendredi 30 août 2019, 15:32
URL de cette page : www.gisti.org/article4430