Article extrait du Plein droit n° 67, décembre 2005
« Taxer les étrangers »

Amende pour défaut de visa

Didier Maille

Responsable du service social du Comede, comité médical pour les exilés
Pour l’étranger en situation irrégulière, l’obtention d’un premier titre de séjour par « régularisation » est une bonne nouvelle... mais qui coûte cher. Parmi les multiples dépenses que cette démarche occasionne, on trouve systématiquement, sous le nom de « taxe de chancellerie », une sorte d’amende infligée pour entrée irrégulière. Or, dans de nombreux cas, la délivrance du titre de séjour n’est pas soumise à la possession d’un visa et, par conséquent, au paiement de cette taxe. Dans la pratique, pourtant, tous sont contraints de la payer.

Dans la liste des pièces à fournir énumérées sur les convocations délivrées par les préfectures aux étrangers qui doivent venir retirer leur premier titre de séjour, figure une somme qui, selon les cas, est soit de 50 € soit de 198 €.

D’après la circulaire contestée du 22 mai 2003 du ministère des affaires sociales et du ministère de l’intérieur (voir ci-dessous), les étrangers régularisés doivent payer le double du tarif qu’ils auraient du payer s’ils avaient respecté la formalité de demande de visa. Ainsi, les étrangers régularisés avec une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » (y compris les Algériens) doivent payer le double du prix d’un visa de court séjour de très courte durée soit 50 € (2 fois 25 €). En pratique, certaines préfectures continuent de demander 70 € (en faisant la confusion avec la taxe sur le renouvellement des autorisations de séjour qui a été supprimée par la loi de finances pour 2000), ou 198 € (en principe exigé pour la délivrance d’une carte de séjour temporaire autre que « vie privée et familiale » et qui est le double du tarif d’un visa long séjour).

Une fois le montant réglé, un énigmatique tampon mentionnant « droit de chancellerie » est apposé sur le passeport. Cette taxe, qui ne doit pas être confondue avec la taxe de séjour due à l’ANAEM [1] ni avec la taxe de renouvellement des autorisations de travail, est en fait une « régularisation de l’entrée sur le territoire ». Bien que perçue par le régisseur de recettes de la préfecture, elle est versée au compte du ministère des affaires étrangères.

La taxe de chancellerie est une taxe à tirage unique payable uniquement lors de la délivrance du premier titre de séjour. C’est le décret du 13 août 1981 modifié qui en fixe les modalités d’application : « 1° L’étranger qui aurait dû demander le visa de son passeport dans un poste diplomatique ou consulaire et qui, n’ayant pas effectué cette formalité, sollicite un visa à la frontière ou sur le territoire français, devra acquitter le double du droit qui lui aurait été appliqué normalement  » (annexe II du décret).

Cette taxe a donc pour but de régulariser les conditions d’entrée sur le territoire français. Il serait donc logique que certaines catégories d’étrangers n’y soient pas soumises, en particulier les étrangers dispensés de visa en raison de leur nationalité ; ceux dont le passeport est muni d’un visa, même périmé depuis des années ; enfin, ceux à qui l’entrée régulière sur le territoire français n’est pas exigée pour la délivrance d’un premier titre de séjour. Or, cette troisième catégorie se voit appliquer le paiement de la taxe (sauf si l’étranger relève d’une nationalité dispensée de visa). En effet, la circulaire du 22 mai 2003 en exige le paiement de tous les « régularisés vie privée et familiale », c’est-à-dire de tous ceux qui vont se voir attribuer une carte de séjour temporaire d’un an portant la mention « vie privée et familiale », et qui ne justifient pas d’un visa sur leur passeport. Les préfectures vont même jusqu’à soumettre au paiement de cette taxe les étrangers auxquels ne seront attribuées que des autorisations provisoires de séjour (APS) – il s’agit en particulier des étrangers malades (compte tenu de la dérive des pratiques préfectorales en la matière) [2]. Les travailleurs sociaux sont souvent confrontés à la détresse de ces nouveaux régularisés qui, contraints de payer 198 € pour une APS de trois mois n’accordant pas le droit au travail, sont dans l’impossibilité de se procurer cette somme en urgence.

Pourtant, l’article L 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), – anciennement l’article 12 bis de l’ordonnance de 1945 – prévoit huit catégories d’étrangers auxquels la condition d’entrée régulière n’est pas opposable (voir ci-contre). La circulaire du 22 mai 2003 paraît donc non conforme au décret de 1981 modifié ; le Gisti et le Comède ont déposé, le 9 octobre 2003, un recours en annulation devant le Conseil d’État. Le ministère de l’intérieur n’a fait connaître son mémoire en réplique que deux ans plus tard, en septembre 2005.

Une affaire à suivre… ;

Pas de visa obligatoire



« Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit : 2° A l’étranger mineur, ou dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, qui justifie par tout moyen avoir sa résidence habituelle en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;

3° A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d’étudiant. Les années durant lesquelles l’étranger s’est prévalu de documents d’identité falsifiés ou d’une identité usurpée ne sont pas prises en compte ;

6° A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; 7° A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n’entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ;

8° A l’étranger né en France qui justifie par tout moyen y avoir résidé pendant au moins huit ans de façon continue et suivi, après l’âge de dix ans, une scolarité d’au moins cinq ans dans un établissement scolaire français, à la condition qu’il fasse sa demande entre l’âge de seize ans et l’âge de vingt et un ans ; 9° A l’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;

10° A l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride en application du livre VII du présent code, ainsi qu’à son conjoint et à ses enfants mineurs ou dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire, lorsque le mariage est antérieur à la date de cette obtention ou, à défaut, lorsqu’il a été célébré depuis au moins un an, sous réserve d’une communauté de vie effective entre les époux ;

11° A l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l’autorité administrative, après avis du médecin inspecteur de santé publique compétent au regard du lieu de résidence de l’intéressé ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police. Le médecin inspecteur ou le médecin chef peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale devant une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d’État.  »

(art. L 313-11 du Ceseda)

Demande de remboursement



Il ne faut pas confondre les cas de dispense « d’obligation d’entrée régulière en France », avec la demande de dispense de paiement au titre de l’indigence et la demande de remboursement. En amont du paiement, il est possible de demander la dispense de paiement de la taxe de chancellerie sur la base du décret du 13 août 1981 (Première partie, III – Gratuité) qui prévoit « La gratuité est acquise de plein droit : 1° En cas d’indigence justifié des requérants ; […]  ». En aval, après paiement, il est recommandé de demander le remboursement de la taxe et d’attaquer l’absence de réponse de la préfecture devant le juge administratif.




Notes

[1L’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations remplace, depuis le 1er octobre 2005, l’OMI (office des migrations internationales) et le SSAE (service social d’aide aux émigrants).

[2Voir rapport de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (juin 2003) : www.odse.eu.org


Article extrait du n°67

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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