Article extrait du Plein droit n° 15-16, novembre 1991
« Immigrés : le grand chantier de la « dés-intégration » »
Ta famille n’hébergeras plus...
La formalité du certificat d’hébergement est apparue avec le décret du 27 mai 1982, pris pour l’application de la loi du 29 octobre 1981 : lorsqu’il veut entrer en France pour une visite privée, l’étranger doit présenter un certificat d’hébergement signé par la personne qui l’accueillera chez elle. Ce certificat indique l’identité de l’auteur du certificat et son adresse personnelle, l’identité du bénéficiaire, et précise les possibilités d’hébergement. Le certificat doit être revêtu du visa du maire de la commune de résidence du signataire, qui vérifie l’exactitude des mentions qui y figurent et peut refuser le visa « s’il ressort manifestement de la teneur du certificat que l’étranger ne peut être hébergé dans des conditions normales ».
Des pratiques contestables
En pratique, les certificats d’hébergement sont délivrés de manière aléatoire et sont dans beaucoup d’endroits très difficiles à obtenir [1]. Certains maires font faire des enquêtes sur le logement et les ressources de l’hébergeant, qui débouchent systématiquement sur des refus. A Paris, plusieurs mairies obligent à remplir un questionnaire de onze pages (alors que le questionnaire-type qui figure à la fin de la circulaire ministérielle relative aux certificats d’hébergement ne comporte que deux pages). Ce questionnaire porte sur le logement, la situation professionnelle et les ressources du logeur et de son conjoint, la situation scolaire et les modes de garde des enfants, et doit être accompagné des fiches de paie ou de l’avis d’imposition de l’intéressé. Le GISTI a d’ailleurs attiré l’attention de la CNIL sur ces questionnaires, qui permettent de collecter des renseignements non pertinents au regard de leur finalité et touchant à la vie privée des personnes, en contradiction avec la loi Informatique et Libertés, et l’affaire est actuellement en cours d’instruction. (Il semble qu’en fait la ville de Paris utilise tout simplement les formulaires établis pour le regroupement familial...). Très souvent, les formulaires contiennent aussi un engagement sur l’honneur de l’hébergeant de subvenir aux besoins de son hôte (tous les besoins, ou les frais de maladie, d’hospitalisation, de voyage, de rapatriement...). Il existe également des communes, en banlieue ou en province, dont la mairie refuse purement et simplement de viser les certificats.
Les refus de visas sont par conséquent fréquents, et la motivation, quand elle existe, est la plupart du temps fantaisiste et totalement illégale : des visas sont refusés en raison de « l’absence de lien direct de parenté » (refus annulé ensuite par le tribunal administratif), ou parce qu’il y a des chômeurs dans la famille, ou parce que la superficie du logement est inférieure à celle exigée pour le regroupement familial, ou parce que la famille est déjà nombreuse (même si le logement est suffisant pour accueillir des visiteurs), ou encore, tout simplement, parce qu’il y a déjà trop d’étrangers dans la commune... Il arrive également que le certificat d’hébergement soit exigé à la frontière des ressortissants de pays qui en sont dispensés : les Marocains, les Tunisiens et les Algériens qui viennent en visite en France peuvent en effet remplacer le certificat d’hébergement visé par le maire de la commune par une simple attestation d’accueil établie sur papier libre, l’hébergeant devant simplement faire certifier conforme sa signature, soit à la mairie, soit auprès de son consulat.
Verrouiller
Alors que le système fonctionne mal, le gouvernement choisit non pas de l’assouplir, mais au contraire de le verrouiller encore un peu plus, sans doute pour donner satisfaction aux maires qui auront ainsi des motifs supplémentaires pour refuser leur visa. « Le régime actuel du certificat d’hébergement comporte des lacunes et s’avère insuffisant pour contrôler la véracité des déclarations des hébergeants », lit-on dans l’exposé des motifs du décret du 30 août 1991, qui poursuit : « Ce projet vise à rendre plus rigoureuses les conditions de délivrance des certificats d’hébergement et à renforcer par voie de conséquence l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière » [2].
Motivation boîteuse et fallacieuse. Car ce que l’on craint avant tout, sans le formuler ici explicitement, c’est que les visiteurs, qui sont très souvent les membres de la famille, prolongent leur visite au-delà de la validité de leur visa, et s’installent durablement en France. Seulement si tel est le but effectivement poursuivi, le dispositif proposé paraît particulièrement mal adapté. Car si l’on comprend bien comment la visite au domicile de l’hébergeant — principale nouveauté introduite par le décret — peut permettre de vérifier la véracité de ses déclarations, on voit mal en quoi elle permettra de déterminer si les visiteurs ont véritablement l’intention de repartir à l’issue de leur séjour ou s’ils comptent s’installer durablement ! On pourrait même penser que plus les conditions d’hébergement sont adaptées, plus il y a de chances — ou de risques — pour que les visiteurs ne repartent pas !
Le renforcement des contrôles ne vise en réalité nullement à s’assurer que le visiteur peut être hébergé dans des conditions normales, mais à donner aux maires des motifs supplémentaires pour refuser les certificats d’hébergement, et donc à rendre plus difficiles les visites en général, et les visites des membres de la famille en particulier, dans lesquelles on voit une source d’immigration irrégulière. Même si le diagnostic est en partie exact, et s’il arrive effectivement que des familles profitent d’une visite pour s’installer en France, le phénomène est quantitativement marginal par rapport aux milliers d’étrangers qui entrent en France sous couvert d’un certificat d’hébergement puis repartent à l’issue de leur visite. Or c’est l’ensemble de ces visiteurs et de ceux qui les accueillent que l’on va pénaliser.
Au demeurant, ce n’est pas en interdisant les visites des membres de la famille restés au pays que l’on peut résoudre le problème de l’immigration familiale irrégulière. Les vraies solutions sont ailleurs, et notamment dans l’assouplissement des conditions de ressources et de logement exigées pour le regroupement familial : tel est du reste le constat auquel avait abouti en janvier 1991 un groupe de travail interministériel, qui concluait à la nécessité d’assouplir le dispositif actuel, générateur, par sa rigidité, d’un certain nombre de dysfonctionnements et de cercles vicieux.
Un consentement forcé
Au-delà de l’inspiration générale du décret, plusieurs de ses dispositions posent problème.
- Il s’agit en premier lieu de la visite domiciliaire, qui est la principale nouveauté du décret : « Lorsque, après examen du certificat d’hébergement et des pièces jusitificatives, le maire a un doute sérieux sur la réalité des conditions d’hébergement, il peut saisir l’Office des migrations internationales d’une demande motivée aux fins de faire procéder à une vérification sur place. Si la demande du maire apparaît manifestement infondée, le préfet ou, à Paris, le préfet de police, peut, sur proposition de l’OMI, refuser d’y donner suite. Les agents de l’OMI qui sont habilités à procéder à ces vérifications ne peuvent pénétrer chez l’hébergeant qu’après s’être assurés du consentement, donné par écrit, de celui-ci ».
- Pour éviter toute contestation tirée de l’atteinte portée au principe de l’inviolabilité du domicile, le décret prévoit que la visite ne peut avoir lieu qu’avec le consentement de l’intéressé. Mais il s’agira à l’évidence d’un consentement forcé, puisqu’en cas de refus les chances d’obtenir le visa sollicité seront quasi-nulles.
- On relève en second lieu le caractère dissymétrique du dispositif mis en place. Le maire est en effet le seul à pouvoir demander à l’OMI d’effectuer une vérification au domicile de l’hébergeant, alors qu’en cas de refus jugé abusif de la part du maire, l’intéressé, lui, n’a pas la possibilité de provoquer une visite de l’OMI pour faire constater qu’il peut héberger ses visiteurs dans des conditions normales.
- On peut, en troisième lieu, éprouver quelques doutes quant à la capacité de l’OMI d’assumer cette tâche supplémentaire dans des conditions acceptables, alors qu’il n’arrive déjà pas à s’acquitter correctement de ses missions actuelles. Il n’est pas rare, en effet, que des personnes remplissant toutes les conditions pour obtenir un titre de séjour, voire une carte de résident, doivent attendre plusieurs mois pour passer la visite médicale. Combien de temps à l’avance faudra-t-il s’y prendre pour faire viser un certificat d’hébergement ? Il s’agit là d’un vrai problème, et non d’une question secondaire, car les événements les plus importants qui supposent la réunion des familles ne sont pas toujours prévisibles.
- Enfin, on doit considérer comme purement vexatoire l’obligation faite au demandeur de se présenter en personne devant les services municipaux, et comme exorbitante la somme qu’il aura à débourser pour faire viser son certificat d’hébergement, la formalité devenant désormais payante ! Le décret prévoit en effet que la demande de visa donne lieu à la perception d’un droit dont le produit est affecté à l’OMI, et qui est loin d’être symbolique, puisqu’un arrêté du 17 septembre 1991 vient d’en fixer le montant à... 100 F ! Le gouvernement n’était semble-t-il pas très sûr de la légalité de ces dispositions puisqu’il les a insérées à nouveau dans le projet de loi actuellement en discussion.
L’opération aura au moins le mérite d’être rentable pour les finances publiques.
Notes
[1] Voir sur ce point la brochure du GISTI intitulée : Le certificat d’hébergement. Des règles contestables, des pratiques condamnables, mai 1985.
[2] Il est également prévu, dans le même but, d’engager avec les pays du Maghreb des négociations en vue d’aligner sur le régime de droit commun le régime des attestations d’accueil (voir le relevé de conclusions du comité interministériel du 9 juillet 1991 sur la maîtrise de l’immigration).
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