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Plein Droit n° 15-16, novembre 1991
« Immigrés : le grand chantier de la “dés-intégration” »

Requiem
pour le droit d'asile ?

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En dépit de l'auto-satisfaction trop souvent affichée en la matière, la France s'écarte de plus en plus de l'esprit et de la lettre de la Convention de Genève sur les réfugiés. Les mesures annoncées ou, pour certaines d'entre elles, déjà effectives, mettent gravement en péril l'exercice du droit d'asile.

Le 11 juillet 1991, le service de presse de Matignon distribuait un document intitulé « La maîtrise de l'immigration », reprenant les conclusions du comité interministériel du 9 juillet 1991 sur ce thème, dans lequel on peut notamment lire :

« La France, qui a déjà réussi à contenir l'afflux des demandeurs d'asile de manière plus efficace que les autres pays d'Europe, tout en étant reconnue pour la qualité de ses procédures par le Haut Commissariat aux Réfugiés, a décidé pourtant de renforcer son dispositif de maîtrise de l'immigration ».

On remarquera au passage l'amalgame qui conduit à inclure la limitation de l'afflux des demandeurs d'asile dans la politique de maîtrise de l'immigration, ainsi que la façon dont le gouvernement utilise à son profit les prises de position du Haut Commissariat lorsqu'elles lui sont favorables, sans en faire grand cas lorsqu'elles ne vont pas dans le sens souhaité. Mais c'est surtout la logique de l'argumentation que l'on a du mal à suivre.

Des chiffres fournis en annexe, il ressort en effet que la France a accueilli, en 1990, 56 000 demandeurs d'asile au lieu de 60 000 en 1989, soit 1 % de sa population — ce qui représente, après le Royaume-Uni, le plus faible pourcentage de tous les pays d'Europe ! La Suisse a accueilli en effet 36 000 demandeurs d'asile, soit 5,5 % de la population, la Suède 29 000, soit 3,5 %, l'Allemagne 193 000, soit 3,2 %, l'Autriche 22 800, soit 3 %, la Belgique 13 000, soit 1,4 %, et les Pays-Bas 29 000, soit 1,2 %.

Outre que la comparaison est finalement peu flatteuse pour un pays qui continue à se prétendre « terre d'asile», une question ne manque pas de surgir à la lecture de ces chiffres : si la France a si bien réussi à contenir l'afflux des demandeurs d'asile par rapport à ses voisins, on se demande pourquoi elle s'estime aujourd'hui obligée d'adopter des mesures dissuasives plus strictes que les autres pays.

Visas de transit

Une première mesure est intervenue dès le mois de juillet. Depuis le 25 juillet, les ressortissants des dix pays suivants : Albanie, Angola, Bangladesh, Ethiopie, Ghana, Nigéria, Pakistan, Somalie, Sri-Lanka, Zaïre, ne peuvent débarquer dans un aéroport français, même à l'occasion d'une escale, s'ils ne sont pas munis d'un « visa de transit aéroportuaire ». Les ressortissants de ces Etats qui transitent par un aéroport français pour une correspondance entre deux pays tiers doivent donc produire un « visa consulaire d'escale », si la correspondance exige de passer d'une zone internationale à une autre zone internationale d'un autre aéroport (de Roissy à Orly par exemple), et un « visa consulaire de transit » lorsque l'itinéraire comporte un changement d'avion dans un aéroport, même sans sortie de la zone internationale. Le défaut de visa empêchera les intéressés de débarquer de l'avion et a fortiori de passer en salle de transit, ce qui signifie qu'en pratique ils ne pourront embarquer sur un vol à destination d'un endroit quelconque du globe s'il fait escale en France, s'ils n'ont pas préalablement obtenu ce visa de transit délivré par le consulat français de leur pays d'origine.

La liste des pays concernés parle d'elle-même : il est clair que le but est d'empêcher l'arrivée de demandeurs d'asile. Ainsi, un Sri-lankais, par exemple, en possession d'un visa et d'un billet d'avion pour l'Afrique, ne pourra profiter d'une escale à Roissy ou Orly pour demander l'asile en France. Le moyen est certainement efficace pour tarir à la source l'afflux des demandeurs d'asile, en les empêchant de quitter leur pays ; mais pourquoi, alors, s'arrêter en chemin et ne pas carrément interdire l'accès au territoire français à tout demandeur d'asile dépourvu de passeport et de visa ?

Si on ne le fait pas, c'est sans doute parce que l'on hésite à violer trop ouvertement la Convention de Genève, dont l'article 33 prévoit que les demandeurs d'asile peuvent entrer irrégulièrement dans le pays d'accueil et interdit de les sanctionner pour cette raison. Mais on risque d'aboutir à un résultat analogue grâce aux sanctions qu'il est prévu d'infliger aux compagnies aériennes transportant des étrangers non admis en France pour défaut de documents transfrontières. Le gouvernement français s'abrite ici derrière les obligations qu'il a souscrites en signant et ratifiant la Convention de Schengen (1). On se rappelle en effet que l'article 26-2 de la Convention oblige les Etats signataires, « sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 [...], à instaurer des sanctions à l'encontre des transporteurs qui acheminent par voie aérienne ou maritime d'un Etat tiers vers leur territoire des étrangers qui ne sont pas en possession des documents de voyage requis ». Il n'est pas difficile de prévoir que les transporteurs hésiteront à embarquer un demandeur d'asile non muni de l'ensemble des documents exigés pour l'entrée sur le territoire, n'ayant jamais la certitude qu'il sera finalement admis, si non seulement il s'expose à devoir rapatrier l'intéressé mais encourt aussi de lourdes sanctions.

Des policiers dans les avions

Si de telles dispositions sont adoptées, il incombera par voie de conséquence aux compagnies d'examiner et d'apprécier la nature, le contenu, voire l'authenticité des documents présentés par les passagers, ou encore, lorsqu'une personne n'est pas en possession des titres requis à l'embarquement, d'apprécier le bien fondé de sa demande de statut de réfugié. Or ce sont des tâches qui incombent normalement aux seules autorités ayant juridiquement compétence à cet effet, c'est-à-dire à la police et à l'OFPRA, le personnel des compagnies n'ayant de surcroît pas la formation requise pour remplir ce rôle. Le syndicat CFDT d'Air France a d'ailleurs pris clairement position sur ce point, estimant que « les personnels des compagnies n'ont pas à devenir des auxiliaires de la police avec mission de rechercher des documents éventuellement douteux » et refusant « catégoriquement ce transfert de compétences qui relèvent des prérogatives de l'Etat et de ses fonctionnaires ».

On évoque également le projet de donner aux personnels des compagnies aériennes nationales une formation technique à la détection des faux documents (avec le risque que tout détenteur d'un faux document se voie automatiquement refuser l'embarquement, même s'il est en danger dans son pays), ainsi que la possibilité d'embarquer des fonctionnaires de la police de l'air et des frontières à bord de certains vols ou de les détacher dans certaines escales, afin d'intervenir comme « conseillers techniques » auprès des commandants de bord ou des chefs d'escale et d'« effectuer un premier tri dissuasif des étrangers susceptibles d'être refoulés » (2). Or on a pu d'ores et déjà constater que les contrôles policiers à la sortie immédiate d'avions en provenance du Sri-Lanka avaient empêché certains Sri-Lankais de déposer une demande en vue d'obtenir le statut de réfugié. De telles pratiques sont de toutes façons contraires aux engagements internationaux de la France, toute décision sur l'octroi du statut de réfugié, et toute appréciation sur le caractère manifestement infondé ou abusif d'une demande devant émaner exclusivement de l'autorité compétente pour la détermination du statut de réfugié — en l'occurrence l'OFPRA.

Mais le demandeur d'asile qui réussit finalement à débarquer en France — ou plutôt, dans un aéroport français — n'est pas pour autant définitivement à l'abri. Il risque encore de rester bloqué pendant des jours, voire des semaines, en zone dite « internationale », jusqu'à ce que l'on finisse soit par le laisser entrer, soit par le refouler. Avec parfois des « bavures », telles que celle qui a abouti dernièrement à la mort d'un demandeur d'asile sri-lankais (voir article). Les associations dénoncent depuis longtemps ce qui se passe en zone internationale (3). Leurs protestations ont pris un poids supplémentaire à la suite du rapport établi au nom de la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur l'arrivée des demandeurs d'asile dans les aéroports européens.

Enfin, le gouvernement s'est décidé à prendre une mesure dont il avait été déjà question à plusieurs reprises depuis décembre 1989 mais dont il avait différé à chaque fois la mise à exécution, éprouvant apparemment lui-même quelques doutes sur son opportunité : il s'agit de la suppression de l'autorisation de travail pour les demandeurs d'asile dans l'attente de la décision de l'OFPRA.

Feu l'autorisation de travail

C'est peu de dire qu'une telle mesure est contestable. Le Directeur de la Population et des Migrations n'écrivait-il pas lui-même, dans la revue Economie et Humanisme, en novembre 1989 : « L'autorisation de travail donnée aux demandeurs d'asile ne saurait être remise en cause : interdire le travail, comme en Allemagne fédérale, conduit soit à multiplier en très grand nombre des centres d'hébergement, à un coût budgétaire majeur, soit à forcer les intéressés au travail clandestin, les deux éventualités n'étant pas exclusives. On perd sur tous les tableaux ».

La Commission de sauvegarde du droit d'asile avait vigoureusement et constamment manifesté son hostilité à une telle mesure, et dernièrement encore au mois de janvier 1991, en faisant remarquer :

  1. que retirer aux demandeurs d'asile la possibilité de travailler revenait à méconnaître le caractère recognitif du statut de réfugié, qui implique d'accorder aux demandeurs d'asile, réfugiés en puissance, les mêmes droits qu'à ceux-ci ;
  2. que la mesure envisagée, loin d'avoir une quelconque justification économique, aurait au contraire pour la collectivité un coût élevé, à partir du moment où l'interdiction de travailler serait compensée par une allocation de 1 300 F par mois et par personne ;
  3. que malgré ce coût, la somme versée aux intéressés ne serait évidemment pas suffisante pour vivre, et qu'on les contraindrait ainsi à se tourner vers des travaux clandestins.

La Commission consultative des droits de l'homme, de son côté, a à deux reprises, en juin 1988 et en juin 1991, pris position dans le même sens, sur la base d'arguments similaires.

Quant aux Allemands, par un étrange retournement de situation, ils viennent justement de rétablir l'autorisation de travail pour les demandeurs d'asile ! On attend donc maintenant avec intérêt de voir comment le gouvernement va organiser la subsistance des nouveaux demandeurs d'asile. Il est vrai que si les mesures de filtrage au départ et à l'arrivée se révèlent aussi efficaces que le gouvernement l'espère, l'acuité du problème risque d'être sensiblement atténuée.

Notes

(1) On trouvera dans le n° 8 de Plein Droit une analyse critique des Accords de Schengen, dont on ne connaissait toutefois pas encore, à l'époque, la mouture définitive.

(2) Voir les propos du chef du service central de la PAF, rapportés dans Le Monde du 6 septembre 1991.

(3) Voir par exemple les prises de position et les témoignages recueillis dans le n° 6 et le n° 13 de Plein Droit.

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Dernière mise à jour : 4-12-2000 23:06.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/plein-droit/15-16/requiem.html


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