Article extrait du Plein droit n° 7, avril 1989
« Des discriminations jusqu’à quand ? »

Face à l’employeur

Dès lors qu’il est en situation régulière, le salarié étranger bénéficie des mêmes droits et des mêmes conditions de travail que le salarié français.

Ce principe de non discrimination, affirmé par de nombreux textes, n’est cependant pas toujours facile à faire respecter.

Le Préambule de la Constitution de 1946, la loi du 1er juillet 1972, contre le racisme, modi- fiée par celle du 3 janvier 1985, le Code du travail, les conventions de l’O.I.T. n° 97 et 111 : tous ces textes condamnent expressément la discrimination dans l’emploi.

Par ailleurs, les conventions collectives de branche ne peuvent faire l’objet d’un arrêté ministériel d’ex- tension les rendant obligatoires pour toutes les entreprises de la branche si elles ne contiennent pas la clause d’égalité de traitement entre salariés français et étrangers (sans que les partenaires syndicaux soient, du reste, tenus d’aller au-delà de cette vague formulation) .

Quelles sont les principales inci- dences de ce principe ? Aux termes de l’article 416 du Code pénal, issu de la loi de 1972, un employeur ne peut ni refuser d’embaucher, ni licencier un salarié étranger en raison de son ori- gine ou de son appartenance ou de sa non appartenance à une ethnie, une nation ou une race déterminée. Le non respect de ces dispositions est puni d’un emprisonnement de deux mois à un an et/ou d’une amende de 2.000 à 20.000 F. Le tribunal peut également, à titre de peine complémentaire, or- donner l’affichage et la publication du jugement.

La jurisprudence n’est pas abon- dante, en raison non pas de l’absence de pratiques abusives et illégales, mais de la difficulté d’en apporter la preuve. On peut toutefois rapporter un certain nombre de cas de condamnations pour discrimination raciale de la part de l’employeur. A été par exemple con- damné un employeur qui avait mis fin pendant la période d’essai au contrat de travail d’un salarié marocain en invoquant le motif suivant : « Etant donné sa nationalité, le salarié étran- ger n’a pas été adopté par le person- nel » (Cass. crim. 14 octobre 1986, Alric, Bull. crim. n° 287). En l’oc- currence, le motif de la rupture figu- rait en toutes lettres dans le certificat de travail remis au salarié, ce qui a permis au demandeur, ainsi qu’à la CGT et au MRAP, qui s’étaient égale- ment constitués partie civile, d’obte- nir gain de cause devant les tribunaux.

De même, le directeur d’une agence locale pour l’emploi a été condamné pour avoir affiché des offres d’emploi discriminatoires. La Cour d’appel l’avait relaxé sous prétexte qu’il ne pouvait être assimilé à un employeur et, par conséquent, ne pouvait être l’auteur d’une discrimination à l’em- bauche. La Cour de cassation s’est montrée plus rigoureuse, estimant que « les offres d’emploi incriminées avaient été affichées dans les locaux de l’agence dirigée par V. qui, n’igno- rant pas leur caractère discriminatoire, avait ainsi contribué à les porter à la connaissance des demandeurs d’em- ploi » (Cass. crim. 16 juillet 1985, MRAP). Dans la plupart des cas, on le voit, la condamnation suppose qu’existe un « signe extérieur de dis- crimination », tel un coupon-réponse de l’A.N.P.E. rempli par un employeur comme suit : Motif du refus d’embau- che : « étranger » (T.G.I. Lyon, 5ème ch., 11 octobre 1979).

Si la jurisprudence pénale est peu abondante, c’est aussi parce que les litiges se règlent le plus souvent de- vant les Prud’hommes, sur le fonde- ment des dispositions du Code du travail. Aux termes de l’article L.122- 45, aucun salarié ne peut être sanc- tionné ou licencié en raison de son origine ou de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race. Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit, et devrait entraîner logiquement la réintégration du sala- rié licencié pour ce motif.

Toutefois, si la rupture du contrat de travail résulte du refus de renouvel- lement de l’autorisation de travail, on considère qu’elle n’est pas imputable à l’employeur (Cass. soc. 4.07.1978, Bull. V, n° 545), qui n’a pas dans ce cas à verser les différentes indemnités de rupture afférentes à un congédiement. Il en est ainsi même en cas de mauvaise foi avérée de l’em- ployeur, par exemple si celui-ci n’a invoqué l’existence du refus d’autori- sation comme motif de licenciement que lorsque le salarié a été investi d’un mandat de représentant du per- sonnel (C.E. 13 avril 1988, Droit so- cial , novembre 1988).

Egalité de traitement

Le Code du travail précise égale- ment que le règlement intérieur ne doit pas comporter de disposition lé- sant les salariés dans leur emploi ou leur travail , à capacité profession- nelle égale, en raison de leurs origines (art. L 122-35). Dans le cadre de l’exécution du contrat de travail pro- prement dite, le salarié étranger béné- ficie de l’égalité de traitement en ma- tière de salaire et de conditions de travail. Il doit donc, à travail égal, recevoir une rémunération équivalente à celle des salariés de la même catégo- rie, employés dans la même entre- prise ou dans la même région. La seule discrimination qui subsiste dans les textes est une discrimination posi- tive, favorable aux étrangers : c’est celle qui prévoit un aménagement spécifique en matière de congés payés et de salaire, permettant un cumul des semaines de congés payés sur deux ans et le transfert du salaire directe- ment à l’étranger (art. L.223-8).

S’agissant des institutions repré- sentatives du personnel - comité d’en- treprise et délégués du personnel - les étrangers sont désormais électeurs et éligibles dans les mêmes conditions que les travailleurs français (voir arti- cle p. 34). Cette reconnaissance de droits collectifs sans condition res- trictive met fin à ce qui apparaissait comme une anomalie, à savoir que les entreprises comptant un grand nom- bre de salariés étrangers avaient une représentation du personnel réduite - quand ils en avaient une...- au mo- ment même où d’autres recherchaient des formules pour abaisser les seuils d’effectifs requis pour la mise en place des différentes institutions représen- tatives du personnel.

De même, un salarié étranger peut désormais accéder aux fonctions de délégué syndical dans les mêmes conditions qu’un travailleur français (art. L.412-14). Il peut également, s’il est âgé de dix-huit ans accomplis, accéder aux fonctions d’administra- tion ou de direction d’un syndicat (art. L.411-4).

La seule discrimination qui sub- siste en matière de droit du travail est donc l’exclusion des étrangers des Conseils de prud’hommes, bien qu’ils participent à la désignation de leurs membres (sur les raisons de cette ex- clusion, voir article p. 34 ). Au-delà de cette évolution législative positive, il serait intéressant de savoir comment les facultés offertes par la loi aux travailleurs immigrés sont utilisées en fait. Mais cela nécessiterait des in- vestigations plus poussées, dans la mesure où les statistiques officielles ne prennent pas en compte la nationa- lité. Effet pervers du principe de non discrimination...



Article extrait du n°7

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Dernier ajout : mardi 25 mars 2014, 13:14
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