Article extrait du Plein droit n° 32, juillet 1996
« Sans frontières ? »

Syndicalisme et intégration

Jean-Luc Rageul

Secrétaire départemental de l’union départementale CFDT de Paris
L’action syndicale a pour premier objectif la défense des salariés. Son champ d’intervention englobe donc prioritairement les problèmes liés au contrat de travail. Dans ce cadre, le travailleur étranger est d’abord pris en compte en tant que membre du monde du travail. Il peut ainsi participer à l’action syndicale comme tout salarié. Une intégration qui ne se fait pas toute seule mais que patience, vigilance et formation aident à mettre en œuvre.

L’activité de l’union départementale CFDT de Paris est rythmée des temps forts de l’immigration. De l’engagement de nos militants auprès des travailleurs algériens pendant la guerre d’Algérie, l’UD CFDT est de tous les combats : l’antiracisme, la situation dans les foyers, la lutte contre le travail illégal, la lutte dans les entreprises du secteur de la sous-traitance.

Notre préoccupation reste la concrétisation du principe d’émancipation inscrit dans le préambule des statuts de la Confédération. S’appuyant sur un système de formation offert à tous ses adhérents et militants français ou étrangers, le syndicat leur permet d’accéder, quel que soit leur bagage scolaire, à des responsabilités syndicales.

Des années 1950 au début des années 1970, l’immigration fut organisée pour permettre aux grandes entreprises de disposer d’une main-d’œuvre à bon marché : il n’y avait pas à l’époque les délocalisations actuelles. Les hommes du Sud venaient occuper des emplois déqualifiés. Venus sans leur famille, ils vivaient en général dans des foyers. L’intégration passait alors uniquement par le milieu du travail, essentiellement dans la grande industrie. Elle s’accompagnait des solidarités du travail qui reposait sur la communauté de destins que représente l’entreprise et l’égalité devant le droit du travail. Pour eux, le syndicat était souvent le seul lieu où ils pouvaient débattre.

L’année 1974 marque un virage important. À cette immigration de masse, se substitue un mouvement plus sectoriel en fonction des besoins potentiels. Dans le même temps, les conjoints et les enfants arrivent dans le cadre du regroupement familial. Nous assistons alors à une insertion sociale plus large des étrangers à travers leur installation hors des foyers et la scolarisation de leurs enfants.

Les équipes CFDT, structurées en sections syndicales d’entreprise, adhérent tous les salariés, quelle que soit même la profession qu’ils exercent. On retrouve les salariés étrangers dans les grands centres de production de la sidérurgie et de la métallurgie. À Paris, outre le secteur de l’habillement, du cuir et du textile, ce sont essentiellement les entreprises du bâtiment qui regroupent la main-d’œuvre étrangère.

Les travailleurs étrangers participent régulièrement aux grandes luttes sociales de ces différents secteurs par le biais de leurs sections syndicales d’entreprise. Il s’agit de conflits du travail « classiques » dont l’objet est l’amélioration du contrat de travail. La spécificité « immigrés » de certains mouvements tient surtout à la présence massive de travailleurs étrangers dans les secteurs concernés (grève des éboueurs de la Ville de Paris ou des nettoyeurs du métro).

Dans la même période, commence un processus qui prendra toute son ampleur plus tard : la sous-traitance. Ce phénomène se poursuit sous une autre appellation : externalisation. Ce changement de dénomination est peut-être à mettre en relation avec les métiers et la population concernés. Une activité de service informatique est mieux considérée et plus « noble » que le nettoyage, par exemple. Il est vrai que nous retrouvons plus de travailleurs étrangers dans la seconde que dans la première.

Au début de la sous-traitance, ce sont les équipes des sociétés donneuses d’ordre qui organisent les adhérents des entreprises sous-traitantes. Cette prise en charge et le professionnalisme syndical de ces équipes permettent de structurer les revendications, d’élaborer des modes d’action, d’établir des rapports de force positifs avec l’appui des salariés des boîtes concernées.

Au départ, cette prise en charge par les militants des sociétés donneuses d’ordre est d’autant plus nécessaire que les responsables des entreprises sous-traitantes ne reconnaissent qu’eux.

Pour répondre à l’explosion de la sous-traitance dans les années 1980, la CFDT crée des structures syndicales spécifiques. Le transfert des adhérents d’un syndicat vers un autre n’est pas toujours facile. Les habitudes prises sont parfois difficiles à rompre. Et le patronat des entreprises sous-traitantes n’accepte pas de voir ses salariés s’organiser eux-mêmes.

Patience et vigilance

L’enjeu est pourtant de taille, même s’il se situe dans une période de forte désyndicalisation où le nombre de militants se réduit. Le défi est relevé dans tous les secteurs où la sous-traitance se développe : le nettoyage, la restauration, la sécurité, etc.

Un travail de patience débute dans ces secteurs : la prise en charge syndicale directe y est méconnue et le patronat souvent réactionnaire, qu’il s’agisse de petites ou de grandes sociétés. Un travail de patience car il s’agit de faire cohabiter, dans une même organisation, des personnes porteuses de cultures et d’origines différentes. Il ne s’agira pas de les bousculer, mais de leur permettre de prendre leur place. Les militants français qui s’inscrivent dans cette démarche doivent constamment garder cet objectif en tête, à moins de vouloir rester le « gourou » qui confisque le pouvoir sans permettre l’émancipation des autres adhérents. Une dérive que certains n’ont pas hésité à cultiver.

Sur ce difficile parcours, les écueils sont nombreux et pas toujours faciles à éviter. Comme par exemple la confiscation du pouvoir par un groupe de militants étrangers qui poursuivent ici le combat politique entamé dans leur pays et qui se servent alors de l’organisation pour atteindre leur propre objectif, au détriment des autres adhérents de leur syndicat.

Ou comme la mise en place, en l’absence de travail d’équipe, d’un fonctionnement communautaire. Les groupes alors se côtoient, chacun défend ses membres et les conflits entre des clans prennent le pas sur l’action solidaire.

Une autre dérive contre laquelle il faut lutter est l’organisation, au sein d’une entreprise, d’une seule catégorie de travailleurs, alors que l’objectif fondamental est de syndiquer tous les salariés quelles que soient leur catégorie sociale ou leur origine.

De la même façon, une présence essentiellement masculine aux postes de responsabilités dans un secteur très féminisé, ou une concentration des pouvoirs entre les mains de Français dans un champ professionnel où les étrangers sont ultra-majoritaires sont des situations qui nous interpellent quant au fonctionnement des structures syndicales.

L’UD CFDT de Paris insiste sur la structuration des équipes syndicales afin qu’elles fonctionnent collectivement. Le développement de la formation est une obligation. Cela nécessite une adaptation de nos stages de formation syndicale quand il s’agit d’un public étranger qui maîtrise difficilement l’écrit et appréhende de s’exprimer publiquement dans un groupe ou devant un patron. Notre souci est d’éviter de mettre en échec les adhérents et militants volontaires. Il nous faut prendre en compte leur vécu pour avancer ensemble. Grâce à l’opiniâtreté de certains militants, français ou étrangers, des délégués syndicaux étrangers sont nommés par leur syndicat et, par la formation syndicale, deviennent délégués du personnel ou élus à leur comité d’entreprise.

Les procédures de formation et de structuration permettent aujourd’hui de voir des militants étrangers ou français d’origine étrangère accéder à des responsabilités dans leurs syndicats locaux, voire à des mandats nationaux.



Article extrait du n°32

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Dernier ajout : jeudi 13 novembre 2014, 16:43
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