Article extrait du Plein droit n° 45, avril 2000
« Double peine »
Le droit de vivre à deux
Danièle Lochak
Professeur de droit public à l’Université de Paris X-Nanterre et présidente du Gisti
La loi 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité prévoit, dans son article 12, que « la conclusion d’un pacte civil de solidarité constitue l’un des éléments d’appréciation des liens personnels en France, au sens du 7° de l’article 12 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945… »(1). Loin d’entraîner, comme le mariage, la délivrance automatique d’un titre de séjour, fût-il de durée limitée, la loi laisse donc aux autorités préfectorales un large pouvoir discrétionnaire pour décider qu’un étranger ayant conclu un PaCS a ou non en France des liens personnels suffisamment forts pour justifier l’attribution d’une carte de séjour.
Certes, on peut admettre que le PaCS, qui entraîne des contraintes moindres que le mariage et dont on peut se délier plus facilement, ne confère pas forcément les mêmes droits que celui-ci ; et s’il en résulte bel et bien une discrimination à l’égard des couples de même sexe, à qui la voie du mariage reste fermée, c’est plutôt en ouvrant à ceux-ci l’accès au mariage qu’il faut y mettre fin qu’en alignant le statut du PaCS sur celui du mariage. Reste que, à défaut d’accorder une carte de résident de plein droit à tout étranger lié par un PaCS avec un Français ou avec un étranger lui-même titulaire de la carte de résident, rien n’empêchait de prévoir qu’il aurait automatiquement accès à une carte « vie privée et familiale », dont le renouvellement est de toutes façons subordonné au maintien de l’existence dudit PaCS (ce qui garantit contre les « PaCS de complaisance », dont on se doute bien qu’ils seraient ou seront la hantise des préfectures).
D’une circulaire à l’autre
Mais c’est un autre choix qu’a fait le législateur, et si on peut le déplorer, on ne saurait s’en étonner. Ne minimisons pas pour autant les effets positifs de la loi : les préfectures ne peuvent plus désormais rejeter systématiquement les demandes émanant de couples homosexuels – ou de couples hétérosexuels sans enfants – comme elles le faisaient jusqu’à présent, dès lors – et cette précision n’est pas anodine – qu’ils auront conclu un PaCS.
Ceci remet en cause l’interprétation excessivement restrictive que donne de l’article 12 bis 7° de l’ordonnance la circulaire du 11 mai 1998. Non seulement, en effet, cette circulaire évacue entièrement la notion de vie privée, mais elle ne fait guère de place à la vie familiale en dehors du mariage(2) : « La vie privée et familiale […] est limitée en principe à la seule famille nucléaire, à savoir une relation maritale et/ou une relation filiale ».
Et après avoir très justement énoncé qu’au regard de l’appréciation de l’existence d’une vie familiale, il n’y a pas de différence substantielle entre le mariage et le concubinage, la circulaire n’en précise pas moins qu’il n’y a lieu d’attacher des effets au concubinage que si la relation dure depuis cinq ans et si des enfants sont issus de cette relation… Cela fait décidément beaucoup de conditions – et de conditions qui excluent par hypothèse les couples de même sexe.
A défaut de reconnaître la non conformité de cette circulaire avec la loi qui porte son nom, le ministre de l’intérieur ne pouvait pas ne pas constater l’incompatibilité des dispositions de la circulaire du 12 mai 1998 avec la loi sur le PaCS : il a donc fait adresser de nouvelles instructions aux préfectures qui figurent dans une circulaire datée du 10 décembre 1999(3).
Notons que cette circulaire ne touche pas aux dispositions de la circulaire du 12 mai 1998 relatives aux effets du concubinage sur l’admission au séjour en dehors de l’hypothèse où un PaCS a été conclu. Ces dispositions sont pourtant elles aussi incompatibles avec la loi nouvelle puisqu’elles interdisent de fait à des personnes de même sexe, en posant l’exigence d’enfants issus du couple, d’invoquer une relation de concubinage pour accéder à une carte de séjour. Or la loi reconnaît désormais, prenant le contre-pied de la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’une telle relation peut exister entre des personnes de même sexe.
Cultiver le fantasme de la polygamie
Parmi les critères applicables à toutes les situations, la circulaire réitère l’exigence de « la justification du caractère notoire et relativement ancien de [la] relation de couple en France », et de l’absence de possibilités de poursuivre cette relation à l’étranger. La référence à la vie commune en France est contestable, en particulier lorsque le PaCS est conclu avec un Français, – et illogique puisque le PaCS peut être conclu à l’étranger.
Si l’on ne s’étonne pas de retrouver à nouveau ici la réserve de l’ordre public (encore qu’elle soit parfaitement inutile puisqu’elle figure dans la loi et qu’on peut compter sur la vigilance des préfectures sur ce point), plus étrange paraît la disposition suivante : « Vous devez continuer à refuser de prendre en compte les demandes émanant d’étrangers vivant en état de polygamie en France ». On a en effet du mal à apercevoir comment une personne ayant conclu un PaCS pourrait vivre en état de polygamie en France, la conclusion d’un PACS supposant que l’on ne soit pas engagé dans les liens du mariage.
La première réaction est bien entendu d’ironiser. Mais, au-delà, on ne peut pas ne pas s’inquiéter – non pas même de l’obsession de la polygamie, car le ministre ne croit certainement pas lui-même à l’hypothèse d’un « pacsé » polygame, mais de cette façon de pointer systématiquement la polygamie dès qu’il est question d’étrangers, comme si on voulait délibérément cultiver le fantasme de l’étranger-polygame.
La circulaire distingue trois situations, selon que l’étranger a conclu un PaCS avec un Français, un ressortissant de l’Union européenne ou un étranger ressortissant d’un État tiers.
S’agissant d’un étranger ayant conclu un PaCS avec un Français, la circulaire propose de considérer que la condition de stabilité du lien personnel est remplie quand l’étranger apporte la preuve d’une ancienneté de vie commune – qui peut être antérieure ou postérieure à la conclusion du PaCS – d’au moins trois ans avec un Français, en France.
La hiérarchie des conjoints
Cette dernière exigence n’a pas lieu d’être : certes, la loi parle de « liens personnels en France », mais le fait d’avoir conclu un PaCS avec un Français est en soi un indice de ces liens personnels en France ; et la solution contraire aurait pour conséquence de priver le partenaire de nationalité française de la possibilité de poursuivre en France même sa vie de couple dès lors qu’elle aurait été commencée à l’étranger.
S’agissant d’un étranger ayant conclu un PaCS avec un ressortissant de l’Union européenne, la circulaire énonce que le principe de l’égalité de traitement conduit à lui délivrer un titre de séjour dans les mêmes conditions qu’au partenaire d’un Français.e des conjoints
S’agissant en revanche d’un étranger ayant conclu un PaCS avec un étranger ressortissant d’un État tiers, et à condition que ce dernier soit en situation régulière, la circulaire propose de considérer que la condition de stabilité du lien personnel est remplie soit si l’intéressé « apporte la preuve d’un concubinage effectif d’une certaine durée, qui ne devrait être qu’exceptionnellement inférieure à cinq ans », soit si le PaCS a été conclu depuis au moins trois ans.
Cet étranger-là est donc moins bien traité que l’étranger ayant conclu un PaCS avec un Français ou un ressortissant communautaire. Cette discrimination n’a aucun fondement objectif, puisque la protection de la vie privée et familiale doit être garantie de la même façon aux étrangers et aux Français. Mais force est de constater qu’elle reflète fidèlement la logique qui sous-tend l’ensemble de la législation sur les étrangers, qui fait un sort plus favorable aux membres de la famille d’un Français qu’aux membres de la famille d’un étranger lorsque celui-ci n’est pas ressortissant de l’Union européenne.
La circulaire du 10 décembre 1999 referme donc encore un peu la petite brèche ouverte par la loi du 15 novembre 1999 au profit des couples non mariés, quel que soit leur sexe. Certes, ses dispositions, et notamment celles qui concernent la durée de vie commune, ne lient pas, théoriquement, les préfectures, pour qui elles doivent constituer de simples « indications ». Mais on sait bien qu’en pratique ce caractère non impératif joue systématiquement au détriment des intéressés : il les empêche de réclamer l’application de la circulaire lorsqu’ils en remplissent les critères, mais n’incite jamais les préfectures à les assouplir.
C’est pourquoi il faut continuer à réclamer, comme l’ont fait ensemble plusieurs associations (v. le texte du communiqué reproduit ci-contre), l’inscription dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 de véritables garanties pour les couples non mariés, y compris contre l’éloignement du territoire. Ce qui n’empêche pas, dans l’intervalle, de se battre au cas par cas pour que la petite révolution culturelle introduite par la loi sur le PaCS produise aussi des effets dans le champ de l’immigration.
CommuniquéPaCS : ne pas s’arrêter en chemin
Le 9 décembre 1999 |
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