Article extrait du Plein droit n° 46, septembre 2000
« D’autres frontières »

Mariages clandestins

Jean-François Martini

Juriste, permanent au Gisti

Certains maires n’admettent pas que la liberté matrimoniale prime sur les règles relatives au séjour des étrangers. Pour éviter d’être traduits en justice pour avoir refusé de marier sans motif légal un sans-papier, plusieurs d’entre eux ont tenté de contester la domiciliation ou la résidence des étrangers en situation irrégulière qui voulaient se marier dans leur commune.

C’est ce qui s’était passé pour cet étudiant congolais qui avait déposé un dossier de mariage à la mairie de Châtillon en 1995. Plutôt que d’opposer directement un refus et risquer ainsi une condamnation pour atteinte à la liberté matrimoniale, le maire avait saisi le procureur de la République. Ce dernier avait ordonné une enquête sur la réalité de la domiciliation du futur conjoint. Hébergé par sa sœur, celle -ci était restée très évasive face aux policiers qui s’étaient présentés : pas question de leur indiquer l’endroit où vivait son frère sans papiers.

Un mois plus tard, le substitut de procureur de Versailles écrivait au couple la lettre suivante : « Sans mettre un instant en doute les sentiments sur lesquels se fonde votre projet, ni votre volonté réciproque de respecter les droits et les devoirs attachés au mariage, j’ai l’honneur de vous confirmer que j’ai demandé à la Mairie de Châtillon de surseoir à la célébration... Il m’est en effet apparu que le domicile déclaré par Monsieur Ganga n’était pas son domicile réel et qu’il y avait donc un risque d’irrégularité fondé sur la clandestinité du mariage ».

Le 14 juin 1995, le couple recevait une citation a comparaître devant la 18e chambre de tribunal de grande instance de Nanterre, Monsieur pour séjour irrégulier et Madame pour aide à l’entrée et au séjour irrégulier « en ayant tenté à deux reprises d’obtenir dans des conditions indues la célébration d’un mariage clandestin... ».

Le code civil prévoit que le mariage est célébré dans la commune où l’un des deux époux a son domicile ou sa résidence établie de manière continue depuis au moins un mois à la date de la publication des bans. La publication est faite à la mairie du lieu du mariage et à celle du lieu où chacun des futurs époux a son domicile ou, à défaut de domicile, sa résidence.

Ainsi, la loi permet de faire valoir soit une domiciliation (lieu du principal établissement d’une personne où se situe le centre de ses intérêts, de ses affaires et de ses relations), soit une résidence (lieu où une personne demeure à un moment donné de façon suffisamment stable). L’incompétence territoriale de l’officier de l’état civil ou l’absence de publication sont théoriquement sanctionnées par la nullité du mariage.

Jusqu’en 1997, une simple attestation sur l’honneur était suffisante pour justifier de son domicile ou de sa résidence. La preuve doit être maintenant établie par tous moyens, notamment par la production d’un titre de propriété, d’un certificat d’imposition ou de non-imposition, d’une quittance de loyer, d’assurance pour le logement, de gaz d’électricité, de téléphone...

De surcroît, l’instruction générale relative à l’état civil précise que si le mariage est célébré dans la commune où l’un des futurs époux n’a qu’une simple résidence, celle-ci peut « être essentiellement temporaire : rien ne s’oppose à ce qu’elle soit choisie uniquement en vue du mariage. Ainsi , le mariage peut être célébré, même si le futur époux a abandonné cette résidence aussitôt après l’affichage des publications ».

Ainsi, même si l’on ne peut se marier n’importe où, les textes et surtout la pratique offrent une grande souplesse aux futurs époux. Les mairies se contentent de vérifications sommaires sur pièces. Mais les choses en vont tout autrement lorsque l’un des conjoints est un étranger en situation irrégulière. L’affaire relatée plus haut n’est pas un fait isolé, seulement dû à l’acharnement d’une mairie et d’un parquet. Car la vérification du domicile ou de la résidence est devenue un des moyens de contrôler le mariage des étrangers.

Pour preuve cette circulaire du 16 juillet 1992 du garde des Sceaux à l’attention des procureurs qui précise « qu’eu égard au nombre de mariages “simulés” comportant l’indication d’un domicile fictif, il convient d’inviter les officiers d’état civil à se montrer particulièrement attentifs... », notamment « lorsque la confrontation des divers documents produits par les futurs époux permet de découvrir l’existence de plusieurs domiciles ou en cas de certificat d’hébergement suspect ». Dans ces conditions, rien de plus facile pour un maire que de « découvrir » ces indices dans le dossier de mariage déposé par un étranger et d’alerter ensuite le procureur de la République pour que celui-ci, à défaut de sanctionner un « mariage blanc », poursuive pour séjour irrégulier le futur conjoint sans papiers.



Article extrait du n°46

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Dernier ajout : jeudi 20 mars 2014, 10:20
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