Article extrait du Plein droit n° 6, janvier 1989
« Les demandeurs d’asile »
Suède une politique généreuse ...sur le papier
Christian Andersson
Le nombre de demandeurs d’asile est passé de moins de 4 000 en 1983 à 18 000 en 1987. En pourcentage de sa population, la Suède accueille le nombre de réfugiés le plus élevé d’Europe occidentale. Le groupe de réfugiés le plus important est constitué actuellement par les Iraniens - environ 20 000 personnes -, ce qui est encore très inférieur à la vague des ressortissants des pays baltes et des prisonniers libérés des camps de concentration accueillie à la fin de la Seconde guerre mondiale par une société suédoise bien moins développée. D’après les statistiques de l’office de l’immigration, le nombre d’Iraniens demandeurs d’asile est actuellement en diminution. On s’attend en revanche, à partir de la fin de 1988, à un afflux de réfugiés kurdes.
Une politique généreuse ?
Le gouvernement suédois estime que sa politique à l’égard des réfugiés est « la plus solide, la plus solidaire, et la plus ambitieuse de toute l’Europe occidentale ». Il fonde cette appréciation à la fois sur le nombre important de réfugiés en Suède par rapport aux 8 millions de Suédois, sur le fait que la législation suédoise est plus protectrice encore que la Convention de Genève de 1951, et enfin sur l’existence d’un vaste programme d’accueil financé par l’État par l’intermédiaire des communes (1,25 milliards de couronnes suédoises, soit à peu près l’équivalent en francs français, pour l’année budgétaire 1986-1987).
Après avoir réussi à passer à travers le filtre policier (sur lequel nous revenons plus loin), le réfugié est hébergé dans un centre d’accueil de l’administration en attendant qu’il soit statué sur sa demande d’asile. Au départ, l’intention était de limiter le séjour dans les centres d’accueil à quelques semaines ; en fait, la durée moyenne du séjour est actuellement de huit à neuf mois, et le nombre de personnes hébergées est proche de 10 000. Les demandeurs d’asile reçoivent une allocation pour couvrir leurs besoins de base (nourriture, vêtements, frais personnels) ; elle se monte actuellement à 61 couronnes par jour et par adulte. Ils ont également droit à 700 heures de cours de suédois. En revanche, ils n’ont pas le droit de travailler. (Toutefois, en raison de l’actuel manque de main-d’œuvre, le gouvernement a pris récemment de nouvelles mesures sur ce point).
Même avec leur permis de séjour en poche, un grand nombre de réfugiés - environ 2 500 personnes à l’heure actuelle - restent dans les centres d’accueil. En effet, l’administration a de plus en plus de mal à trouver des communes d’accueil. Il y a cinq ans encore, il y avait dans les communes une réserve d’environ 50 000 logements. Aujourd’hui, la situation s’est inversée, et la Suède connaît une crise du logement, notamment dans les grandes villes où le besoin de main-d’œuvre monte en flèche. C’est là la principale raison qui pousse les autorités communales à limiter le nombre de réfugiés qu’elles acceptent d’accueillir. Dans certains cas, toutefois, il faut également faire la part d’une xénophobie latente ou exprimée, comme l’a montré l’exemple de la commune de Sjöbo, où la droite, majoritaire au sein du conseil municipal, a mené énergiquement campagne en 1987 contre l’installation de nouveaux réfugiés sur le territoire de la commune [1].
De nombreuses critiques
Cette évolution, tout comme les délais d’attente prolongés, font l’objet de violentes critiques, y compris au sein de l’Office national de l’immigration, où l’on invoque le manque de crédits. L’attente, qui dure des mois et des mois, crée un climat psychologique difficilement supportable dans les centres d’accueil. Mais il y a aussi des arguments plus bureaucratiques : la longueur des délais coûte des centaines de millions de couronnes aux contribuables suédois. Le gouvernement a donc prévu de réorganiser la procédure d’accueil, à partir du 1er juin 1989, en la décentralisant, afin de permettre un examen beaucoup plus rapide des demandes d’asile.
Plus important encore que le problème de la lenteur bureaucratique est le problème du respect ou du non-respect du droit. Le code des étrangers s’inspire directement de la Convention de Genève dans la définition qu’il donne du réfugié. Le demandeur d’asile doit uniquement retracer honnêtement son expérience personnelle, exprimer ses craintes ; c’est à l’administration qu’il incombe de prouver, le cas échéant, que les risques de persécution n’existent pas. Et chaque cas doit donner lieu à un examen individuel.
Risques de refoulement
On constate pourtant que certaines catégories obtiennent difficilement l’asile : les femmes iraniennes, les Libanais, ou les Palestiniens apatrides par exemple. Les Chiliens, de leur côté, sont de plus en plus souvent considérés comme des « réfugiés économiques », ce qui conduit à leur refuser l’asile. L’administration doit en principe donner de façon précise les motifs de son refus, mais elle le fait rarement.
Plus aléatoire encore est l’accès au territoire, en raison du risque de refoulement par la police. Celle-ci n’a pas compétence pour apprécier les motifs invoqués par un demandeur d’asile. C’est uniquement dans le cas où elle estime ces motifs « manifestement inexacts » qu’elle a le droit de prendre une décision de refoulement ; mais elle ne peut mettre cette décision à exécution sans avoir préalablement saisi l’administration centrale.
De plus, le refoulement ne peut intervenir que si tout risque de persécution est exclu, l’exemple typique (comme l’indiquent les travaux préparatoires du code des étrangers) étant celui où le refoulement a lieu vers un pays nordique : faut-il conclure de certaines pratiques récentes qu’aux yeux de la police les conditions politiques régnant en Iran ou au Liban sont les mêmes que dans les pays nordiques...?
Si l’on parvient à passer le stade de l’interrogatoire par la police, on a alors de très grandes chances d’obtenir l’asile. Bien que le processus soit quelque peu anarchique, on constate que grâce à l’aide juridique gratuite, au soutien des groupes de solidarité locaux ou de l’opinion publique, la grande majorité des demandeurs obtiennent l’asile : 80 % selon l’administration. L’argument qui l’emporte fréquemment dans la décision finale est une raison humanitaire, fondée sur la longueur du délai d’attente au cours duquel le demandeur s’est souvent intégré dans la société suédoise.
Mais si la réorganisation de l’accueil prévue pour l’année 1989 aboutit à l’examen plus rapide des dossiers, cet argument ne pourra plus jouer : paradoxalement, l’humanisation des procédures résultant de la réduction des délais d’attente risque de déboucher sur une multiplication des refoulements.
Notes
[1] Il ne s’agissait pourtant d’accueillir que 20 à 25 réfugiés par an pendant trois ans, dans une commune comptant 15 000 habitants ! (Voir Le Monde du 29 octobre 1987).
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