Article extrait du Plein droit n° 6, janvier 1989
« Les demandeurs d’asile »

Combattre les idées reçues

Jean-Michel Belorgey

 
Les lignes qui suivent sont extraites de la contribution de Jean-Michel Belorgey au rapport élaboré sous l’égide du Commissariat général du Plan, Immigration : le devoir d’insertion, dans laquelle il démontre la fausseté de certaines idées reçues en matière d’asile.

La plupart des analyses portant sur la question des demandeurs d’asile et réfugiés sont aujourd’hui dominées par une double intuition, selon laquelle :

  • d’une part, une fraction importante, voire prépondérante des demandeurs d’asile ne réclamerait ce statut que dans le but d’échapper à l’application des règles limitant l’établissement et le travail en France de nouveaux étrangers, en un mot de « tourner » l’arrêt de l’immigration, et serait, par conséquent, constituée de « faux réfugiés » ou de réfugiés économiques fuyant non les persécutions, mais la misère ;
  • d’autre part, bon nombre de demandeurs d’asile ou de réfugiés ayant obtenu le statut, seraient engagés dans des activités politiques dans la conduite desquelles la violence aurait une part importante, en un mot auraient partie liée avec des terroristes agissant dans leur pays d’origine, voire sur le sol français, ou se compteraient eux-mêmes dans leurs rangs.

Cette analyse est largement erronée.

Il est exact que, eu égard à la dégradation de la situation économique de leurs pays, un certain nombre de ressortissants des pays du Sud peuvent caresser l’espoir de trouver dans les pays du Nord, singulièrement en Europe, et tout particulièrement en France, dont la tradition d’hospitalité est connue, des conditions de vie meilleures. Et il serait vain de nier que cet espoir alimente un certain nombre de filières d’immigration clandestine, dont certaines ont identifié dans l’acquisition du statut de réfugié un moyen de forcer la porte, pour l’heure fermée aux immigrants ordinaires, de notre pays.

Refuser les amalgames

Mais il est aisé de démontrer que les demandeurs d’asile ne viennent pas, sauf très rares exceptions, des pays traditionnels de migration. Les Maghrébins, les Africains francophones, ne figurent que pour quelques douzaines par an parmi ces demandeurs. On n’y trouve pas non plus, depuis les changements politiques intervenus dans ces pays, de Portugais ou d’Espagnols, réserve faite de quelques Basques, qui ne sont à l’évidence pas, nul ne le soutient d’ailleurs, des réfugiés économiques. L’histoire s’est, quant au reste, chargée d’opposer un cinglant démenti à ceux qui pensaient pouvoir faire de certains demandeurs d’asile, les Tamouls de Sri-Lanka en particulier, le prototype du faux réfugié ou réfugié économique.

Sans doute la plupart des pays développés et démocratiques, et parmi eux la France, se sentent-ils pris d’un certain vertige devant les conséquences que risquent de comporter, dans un monde où la généralisation des transports inter-continentaux a réduit les distances, et où la persécution des opposants et des minorités demeure le pain quotidien de la vie politique dans de nombreux pays, les engagements souscrits par eux à une époque où les victimes ne pouvaient même songer à se soustraire à leurs bourreaux, sauf en Europe, et exceptionnellement ailleurs quelques privilégiés.

La vérité est que, « garantir l’asile à toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou qui, si elle n’a pas de nationalité, et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner », ce qui constitue les termes des engagements souscrits dans le cadre de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, ratifiée par la France le 17 mars 1954, est une ambition dont plus d’un gouvernement se prend à douter, sans tout à fait oser s’en expliquer, qu’il puisse persister à la poursuivre et à l’honorer intégralement (la France avait d’ailleurs, lors de la ratification en 1954 de la Convention de Genève, énoncé des réserves quant à son application dans le temps et dans l’espace. Seules les personnes se réclamant d’événements survenus en Europe avant 1951 avaient la possibilité de se placer sous la protection de l’OFPRA. Ces restrictions ont été levées lors de la signature du protocole de Bellagio en 1967). (...)

Les risques de dérapage

Sans doute, les statistiques ne cautionnent pas, en ce domaine, intégralement les inquiétudes. De 1985 à 1987, le nombre de réfugiés statutaires dans le monde est passé de 13 à 14 millions de personnes. Il est dans le même temps passé en Europe de 670 000 à 720 000. L’Europe accueille donc moins de 5% des réfugiés. (...)

Une telle situation devrait conduire à envisager un renforcement de l’action des Nations unies et de leurs organisations satellites, en particulier la Commission des Droits de l’Homme et le Haut Commissariat aux Réfugiés, en faveur des droits de l’homme et de la prévention des différentes catégories de persécutions conduites dans certains pays contre les opposants et les minorités. Elle n’est pas de nature à justifier une révision en baisse, surtout clandestine, des accords de Genève. Le besoin a d’ailleurs été ressenti dans plusieurs régions du monde (dans le cadre de l’O.U.A. en particulier) d’élargir plutôt que de restreindre la conception de l’asile ayant prévalu à Genève.

Des mesures de « rationalisation » de la politique d’accueil des demandeurs d’asile peuvent aussi être ressenties comme nécessaires pour faire face à l’augmentation constatée du flux de ces demandeurs. Elles ne sauraient en revanche, quelles que soient les contraintes de la conjoncture, et quelque danger qu’il y aurait assurément à les sous-estimer (car cela pourrait effectivement compromettre la pérennité même de la politique d’accueil) déboucher sur une mise en cause de l’esprit de Genève, ni sur une discrimination systématique selon la provenance des réfugiés.

De ce point de vue, il n’est donc pas sûr qu’il faille seulement resserrer les mailles d’un filet trop lâche ; il est vraisemblable qu’il faut également revenir sur des pratiques exagérément et arbitrairement restrictives ; et surtout se garder de nouveaux dérapages qui mettraient en cause les principes mêmes du droit d’asile, ou le videraient de sa substance.

Quelques chiffres...



Ce n’est pas nouveau, mais il est bon de le rappeler : les pays occidentaux n’ont pas, et de loin, le monopole de l’accueil des réfugiés dans le monde. Et surtout pas la France, comme certains ont tendance à le croire.

Les pays dits développés hébergent environ 2 millions de réfugiés sur un total de plus de 12 millions dans le monde en 1986, soit 15 % [1]. Pourtant, le nombre de réfugiés n’a cessé d’augmenter : ils sont passés de 7 145 300 en 1980 à 12 353 000 en 1986. Jamais, depuis la seconde guerre mondiale, on n’a compté un si grand nombre de personnes déplacées.

En chiffres bruts, les États-Unis occupent le 4ème rang des pays hôtes, le Canada le 6ème. La France se situe au même niveau que le Mexique ou l’Algérie avec 180 000 réfugiés.

Ramené au prorata de la population, l’impact de l’afflux des réfugiés sur les structures sociales et politiques est beaucoup plus marginal que dans les pays dits du Tiers-Monde, puisqu’aucun pays développé n’apparaît dans la liste des dix premiers. Même le Canada et la Suède, qui accueillent proportionnellement à leur population le plus grand nombre de réfugiés, arrivent très loin derrière de nombreux pays asiatiques ou africains. Ce sont en effet ces deux continents qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés (respectivement 6,3 et 3,3 millions).

Sur le continent asiatique, l’Iran et le Pakistan accueillent chacun plus de 2 millions de réfugiés, essentiellement des Afghans. Au cours des dix dernières années, on a recensé plus de 1 500 000 réfugiés dans les pays de l’ancienne Indochine française, dont une partie toutefois a trouvé refuge dans les pays occidentaux.

En Afrique, la Somalie arrive largement en tête de tous les pays d’accueil (même si les estimations varient de 500 000 à 840 000 personnes). Ce chiffre très élevé s’explique par l’exode massif des populations provenant de l’Ogaden éthiopien. Le Burundi vient en seconde position : les Rwandais, chassés par la guerre civile de 1959 entre Hutu et Tutsi y ont en effet cherché refuge, ainsi que les Ougandais depuis la chute d’Idi Amin Dada.

L’Amérique centrale, enfin, est une zone importante d’accueil de réfugiés. Plus de 6,6 % de la population du Belize est composée de réfugiés, essentiellement des Guatelmatèques. Le Honduras, lui, accueille surtout des réfugiés originaires du Nicaragua, du Salvador et du Guatemala.




Notes

[1Ces chiffres sont fournis par le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (H.C.R.) ou par les statistiques gouvernementales. Ils sont à manier avec prudence, en raison de la difficulté d’établir des statistiques en ce domaine, et de la disparité des critères d’évaluation d’un pays à l’autre (ex. : selon que l’on prend en compte uniquement les réfugiés sous statut, ou les demandeurs d’asile en instance, ou les réfugiés de fait, les chiffres peuvent varier du tout au tout).


Article extrait du n°6

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Dernier ajout : mardi 27 mai 2014, 11:47
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