Aujourd’hui le CCIF. Demain, qui ?

Par décret du 2 décembre 2020, sur le rapport du Premier ministre et du ministre de l’intérieur, le président de la République a prononcé la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France.

La motivation de ce décret pris sur le fondement du Code de la sécurité intérieure dévoile la nature profonde de cette mesure de dissolution : une atteinte aux libertés démocratiques lourde de menaces.

Aux termes de la loi, la dissolution d’une association sanctionne la provocation à la discrimination, à la haine, à la violence ou à des actes de terrorisme. La décision de dissolution du CCIF, elle, se dispense de ces exigences en recourant à un raisonnement qui défie la logique. Parce qu’il dénonçait le caractère discriminatoire de mesures destinées à prévenir ou à combattre le terrorisme, le CCIF « doit être regardé comme cautionnant de telles idées au risque de susciter, en retour, des actes de haine, de violence ou de discrimination ». En somme, en critiquant des mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le CCIF l’aurait encouragé.

Incapable d’étayer ses griefs sur des actes de provocation avérés comme l’exigent les textes, le gouvernement n’a vu d’autre issue, pour justifier une décision déjà annoncée, que de recourir à des expédients argumentatifs mis au service d’une rhétorique biaisée.

Il se trouve pourtant que le CCIF est loin d’être le seul à critiquer des mesures prises au nom de la lutte anti-terroriste. Nombreuses sont les associations ou autorités indépendantes à souligner l’affaiblissement des libertés individuelles et collectives, voire à dénoncer l’instauration d’un véritable régime d’exception résultant de l’empilement de ces mesures.

Aussi nécessaire que soit la lutte contre le terrorisme, les moyens qu’elle se donne ne sauraient relever d’un régime spécifique, sanctuarisé, à l’abri de toute critique dont les auteurs - syndicats, partis, associations, individus - s’exposeraient à être « regardés comme » cautionnant le terrorisme.

C’est bien une police des idées attentatoire à la liberté d’expression qui est en germe dans ce funeste raccourci : toute critique de l’action des pouvoirs publics dans ce domaine est érigée en délit d’opinion, dont la sanction commence, aujourd’hui, par une dissolution.

Ce précédent annonce le risque de voir ce gouvernement et ceux qui le suivront s’en prendre à d’autres associations de défense des droits humains qui auront dénoncé les atteintes aux libertés qu’accumule un pouvoir dérivant vers l’autoritarisme.

Les associations ou collectifs qui mettent en évidence le traitement discriminatoire infligé aux personnes de culture ou de religion musulmane – par principe soupçonnées de ne pas respecter les « valeurs » républicaines et empêchées d’accéder à l’emploi ou à la nationalité française - sont déjà la cible de virulentes attaques.

Comme le laissent présager les menaces qui visent à présent l’université et avec elle l’ensemble du milieu de la recherche, reprocher au CCIF de « promouvoir une notion d’islamophobie particulièrement large », c’est ouvrir la voie à ceux qui, demain, reprocheront aux associations de défense des droits des étranger·es de dénoncer la « xénophobie d’État » ou le « racisme institutionnel » ou encore de stigmatiser la « guerre aux migrants » au prétexte qu’elles discréditent ainsi la politique de la France.

La dissolution du CCIF intervient alors qu’une loi sur « la sécurité globale » et une autre " confortant les principes républicains" sont en gestation. C’est décidément une très lourde charge qui est portée en cette fin d’année contre les libertés démocratiques. Dans ce contexte singulier, le Gisti ne renoncera pas à sa liberté d’expression. Sans relâche, il dénoncera les atteintes portées aux droits des personnes étrangères et les violences institutionnelles dont elles sont la cible.

Le 8 décembre 2020

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Dernier ajout : mardi 8 décembre 2020, 16:27
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