Recours contre la décision du gouvernement de livrer des bateaux à la marine libyenne
En février 2019, la ministre des Armées a annoncé l’achat par la France de six embarcations rapides au profit des garde-côtes libyens pour faire face au « problème de l’immigration clandestine ».
Huit associations : Amnesty, MSF, le Gisti, la LdH, la Cimade, Migreurop, l’ASGI (association italienne) et Avocats sans frontières ont saisi au mois d’avril 2019 le tribunal administratif de Paris d’un recours en annulation de cette décision, assorti d’un référé suspension.
Étaient notamment invoqués les arguments suivants :
- la violation des engagements internationaux de la France - notamment le Traité sur le commerce des armes et la position commune 2008/944/PESC de l’Union européenne qui interdisent de procéder à des transferts de matériel militaire vers des pays où ils risquent d’être utilisés pour commettre des violations graves des droits humains ;
- la violation de l’embargo sur les armes à destination de la Libye découlant des décisions du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Union européenne ;
- l’implication de la France dans la violation des droits humains des migrants et réfugiés dont la vie et la sécurité sont délibérément mis en danger par les garde-côtes libyens, sachant de surcroît que les personnes interceptées en mer sont systématiquement transférées dans des contres de détention où ils subissent des violences extrêmes et des traitements inhumains.
Par une ordonnance du 10 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête en référé suspension, s’estimant incompétent pour statuer sur une décision qui ne serait pas détachable, selon lui, de la conduite des relations extérieures de la France et constituerait donc un « acte de gouvernement » selon la terminologie habituelle. Par une ordonnance du 20 mai 2019, rendue sans audience, il a rejeté pour les mêmes raisons la requête au fond.
Les associations requérantes ont fait appel de cette dernière décision devant la cour administrative d’appel de Paris, en accompagnant leur requête d’une demande de suspension de la décision contestée et d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
1/ Dans leurs requêtes, elles contestent l’incompétence alléguée du juge administratif pour connaître d’un tel acte dès lors que :
- la décision attaquée apparaît comme un « acte mixte » qui se rattache certes aux relations internationales de la France mais qui ne concerne pas uniquement ces dernières en ce qu’il méconnait des normes de protection des droits fondamentaux des personnes ;
- la décision intervient dans le champ d’application d’un règlement de l’Union européenne. Or il est acquis qu’est incompatible avec le droit de l’Union toute disposition d’un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit de l’Union - en l’occurrence en refusant au juge compétent d’en contrôler la bonne application.
Les associations requérantes soulèvent parallèlement une question prioritaire de constitutionnalité visant la disposition du code de justice administrative délimitant la compétence du juge administratif. En se déclarant incompétent pour juger les actes de gouvernement le juge administratif en donne une interprétation restrictive au mépris du droit à un recours effectif. Limiter la compétence des juridictions administratives au contentieux administratif sans l’étendre au contentieux de l’annulation des actes pris par le pouvoir exécutif dans ses fonctions dites gouvernementales, notamment le contentieux de l’annulation des actes non détachables de la conduite des relations extérieures de la France, revient à méconnaître l’article 16 de la Déclaration des droits de 1789 et l’article 34 de la Constitution.
2/ À l’appui de la demande d’annulation de la décision attaquée sont invoqués :
- l’incompétence de la ministre des Armées ;
- l’irrégularité de la procédure préalable à l’édiction de cette décision, s’agissant d’une exportation de matériels de guerre ;
- la violation des décisions de l’ONU et de l’UE relatives à l’embargo sur les armes à destination de la Libye ;
- la violation des articles 6 et 7 du Traité sur le commerce des armes ;
- la violation des articles de la CEDH et du Pacte sur les droits civils et politiques qui garantissent le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et à des traitements inhumains ou dégradants, le droit de quitter tout pays, ainsi que le droit de chercher asile.
Par une ordonnance rendue sans audience, le président de la Cour a à son tour rejeté la requête en référé suspension, s’estimant incompétent pour statuer sur une décision considérée comme non détachable de la conduite des relations extérieures de la France.
Par une deuxième ordonnance rendue sans audience, le président de la Cour a rejeté la demande de transmission de la QPC au Conseil constitutionnel.
À la veille de la clôture de l’instruction, la ministre des Armées a déposé le 26 novembre 2019 un mémoire en défense dans lequel elle informe avoir renoncé à la livraison de six bateaux au profit des garde-côtes libyens : “Si la cession a été un temps envisagée au bénéfice de la Libye, la ministre a finalement décidé de ne pas livrer les embarcations à cet État”, écrit-elle, demandant au juge de prononcer un non-lieu à statuer.
Par une décision rendue le 19 décembre 2019, la cour a constaté le non-lieu à statuer.
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