Recours contre les arrêtés créant des barrages policiers en Guyane
Depuis plusieurs années, des arrêtés préfectoraux, renouvelés tous les six mois, établissent deux contrôles sur la route du nord de la Guyane, l’un à l’Ouest sur le pont d’Iracoubo, l’autre à l’Est près du pont de Régina. Voir la carte de la Guyane.
Les arrêtés sont tous rédigés sur le même modèle. Le but est clairement défini à l’article 3 de chacun d’eux : « Le caractère exceptionnel et dérogatoire au strict droit commun de ces contrôles permanents à l’intérieur du territoire doit être principalement ciblé sur la répression de l’orpaillage clandestin et l’immigration clandestine ».
Depuis 2013, huit associations, membres de Mom (Migrants outre mer), se sont associées pour contester ces arrêtés : Aides, la Cimade, le Collectif Haïti de France, le Comede, la Fasti, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme et Médecins du Monde.
- Elles appuient leurs requêtes sur la violation de plusieurs droits fondamentaux : liberté d’aller et venir, droit à un recours effectif lorsque la vie privée et familiale est en jeu, égalité devant la loi, droit à la santé et à l’éducation. En effet, les contrôles policiers ainsi autorisés de façon permanente non seulement portent une atteinte grave à la liberté d’aller et venir mais, en dissuadant les personnes étrangères démunies de titre de séjour d’emprunter cette route, les empêchent dans les faits de se rendre dans des établissements de soins ou d’éducation ou encore à la préfecture pour effectuer des démarches administratives.
- Sur ce contentieux s’en est greffé un autre, relatif à l’intérêt pour agir de ces associations, qui a été contesté par le tribunal administratif de Cayenne, suivi sur ce terrain par la cour administrative d’appel de Bordeaux, de sorte que les requêtes ont été rejetées pour irrecevabilité. Mais par une décision du 17 février 2017 le Conseil d’État, saisi en cassation, a cassé la décision des juges du fond qui devaient donc se prononcer à nouveau.
I. Recours contre le barrage situé à l’Est de Cayenne - route nationale n°2
• Recours contre l’arrêté du 20 août 2013
• Recours contre l’arrêté du 13 février 2014
a) Le tribunal administratif de Cayenne a rejeté ces deux requêtes au motif qu’aucune des associations requérantes, compte tenu de leur champ d’action national et, pour certaines, de leur objet, ne justifiait d’un intérêt pour agir contre un arrêté préfectoral ayant pour seul ressort la Guyane (TA de Cayenne, 18 décembre 2014, n°13010228 et n° 1400525).
b) Les associations ont fait appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui a confirmé la décision des juges de première instance ( CAA de Bordeaux, 21 mai 2015, n° 15BX00342) sur la base du considérant suivant :
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les associations requérantes ont pour objet social, conformément à leur statut, de porter aide et soutien aux personnes atteintes par l’infection au VIH, aux personnes opprimées, telles les détenus ou les migrants, aux migrants haïtiens en France, aux personnes immigrées en situation de précarité, de détresse et de vulnérabilité et aux personnes malades ; qu’eu égard à la généralité de tels objets et à leur champ d’action national, ces huit associations ne justifient pas, chacune, d’un intérêt leur donnant qualité à agir contre les arrêtés contestés du préfet de la Guyane qui n’ont d’effet, en réglementant la circulation sur une portion de la route nationale n°2 et en prévoyant l’installation d’un poste de gendarmerie, que dans une aire géographique limitée, sans que ces associations puisse utilement faire valoir, d’une part, que les associations locales n’ont pas les moyens, juridiques et financiers, de contester ces arrêtés et, d’autre part, que la restriction ainsi apportée à leur intérêt à agir porte atteinte à la liberté d’association garantie par les stipulations de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que ces associations sont ainsi irrecevables à demander l’annulation des arrêtés du préfet de la Guyane des 8 mai 2013 et 13 février 2014. »
c) Le Conseil d’État, saisi d’un recours en cassation, a cassé la décision de la cour administrative d’appel (CE, 7 février 2017, n° 395972, n°392758) aux motifs suivants :
2. Considérant que si, en principe, le fait qu’une décision administrative ait un champ d’application territorial fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour en demander l’annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ;
3. Considérant […] qu’en se fondant, pour dénier aux associations un intérêt leur donnant qualité pour agir, sur la généralité de l’objet social et le champ d’action national de chacune d’elles et sur la circonstance que les arrêtés attaqués ne produisaient des effets de droit que sur la portion de la route nationale n° 2 qu’ils visaient, sans rechercher si ces arrêtés soulevaient des questions qui, par leur nature et leur objet, excédaient les seules circonstances locales, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit qui justifie, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, l’annulation de son arrêt ; […]
5. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit au point 3, les arrêtés litigieux maintiennent une restriction durable à la libre circulation de l’ensemble des personnes empruntant un axe routier majeur d’un territoire très vaste et sont, de ce fait, susceptibles d’avoir, à l’échelle de l’ensemble de ce territoire, un effet sur les personnes que les associations requérantes ont vocation à défendre, notamment en ce qu’ils sont susceptibles de compliquer l’accès de ces personnes aux soins disponibles dans l’agglomération desservie par cet axe ; qu’ils soulèvent ainsi des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ; qu’il s’en suit qu’alors même qu’elles présentent un objet social large et un champ d’action national, les associations requérantes justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour agir contre ces arrêtés ».
d) L’affaire est donc revenue devant le tribunal administratif de la Guyane. Celui-ci a rejeté la requête par un jugement du 1er juin 2017. Il estime notamment que l’atteinte à la liberté d’aller et venir est ici justifiée par les problèmes d’ordre public dus aux phénomènes d’orpaillage clandestin et à la poussée importante de l’immigration illégale, et qu’elle n’est pas excessive.
- TA de Guyane, 1er juin 2017, n°1700158
e) Saisie en appel, la Cour administrative d’appel de Paris (désignée par le Conseil d’Etat compte tenu de l’encombrement du rôle de la CAA de Bordeaux) a confirmé le jugement par un arrêt du 20 juin 2019, estimant qu’aucun des griefs énoncés par les associations requérantes n’était fondé.
- CAA Paris, 20 juin 2019, n°17PA22799
II. Recours contre le barrage situé à l’Ouest de Cayenne, sur la route nationale n°1
- Recours contre l’arrêté du 31 décembre 2013
- Tribunal administratif de Cayenne, 7 mai 2015, n° 1400268 et n° 1401041
Le tribunal administratif de Cayenne reprend ses argument sur l’irrecevabilité des associations requérantes :
« Si l’objet social du Gisti est bien, entre autres, de « "promouvoir la liberté de circulation" [...] et que ledit objet n’est pas sans lien avec les arrêtés querellés, le ressort national de ladite association dont le siège est à Paris ne lui permet pas de justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour demander leur annulation. »
Cette procédure avait été jointe à celle qui a été citée ci-dessus peu de temps avant.
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