Article extrait du Plein droit n° 64, avril 2005
« Étrangers devant l’école »

Un avenir amputé

Jean-François Martini

Les différentes déclarations de principe sur le droit à la formation ne semblent avoir aucun effet dès lors qu’il s’agit de jeunes étrangers. Les mineurs entrés en France en dehors des procédures légales et auxquels est refusé l’accès aux formations en apprentissage sont maintenus « en sursis » sur le territoire français. Alors que, dans leur immense majorité, un retour dans leur pays d’origine est illusoire, la réglementation actuelle ne leur donne aucune possibilité de se construire un avenir en France.

Dès les premiers mois de sa nomination, la Défenseure des enfants, Claire Brisset s’est trouvée confrontée à la question des jeunes étrangers entrés en France hors des procédures légales. Dans son rapport 2001 sur la situation des droits de l’enfant en France [1], elle reconnaît que, pour l’immense majorité d’entre eux, un retour dans leur pays d’origine est illusoire et qu’il faut donc leur ouvrir la possibilité de se construire un avenir en France. Parmi toutes les mesures à prendre pour l’insertion de ces jeunes étrangers, elle a estimé qu’il était prioritaire que ces adolescents puissent accéder aux formations en apprentissage à partir de seize ans. Placés, selon les termes de son rapport, dans une « situation incohérente  », car à la fois protégés contre toute mesure d’éloignement jusqu’à leur majorité mais sortis de la période de scolarisation obligatoire, ces jeunes âgés de seize à dix-huit ans ne peuvent entrer en apprentissage du fait qu’ils sont dépourvus d’autorisation de travailler.

La Défenseure des enfants estime qu’« on a là, l’exemple d’une construction administrative et réglementaire qui pousse les jeunes à la rue et ne peut que les mettre en danger, favorisant in fine la délinquance  ». Elle a en conséquence formulé un avis pour que soit ouvert « l’accès aux formations par apprentissage aux mineurs étrangers présents sur le territoire  », en estimant que « cette mesure est essentielle pour les adolescents qui, trop souvent, se trouvent confrontés à des complexités administratives facteurs de discriminations, et déscolarisés malgré eux  ». Jusqu’à présent cet avis est resté lettre morte.

Les jeunes étrangers âgés de plus de seize ans, entrés en dehors des cadres légaux, c’est-à-dire qui ne sont pas passés par la procédure de regroupement familial, ou qui sont arrivés trop tardivement pour bénéficier à coup sûr d’un droit au séjour à leur majorité (avant l’âge de treize ans, ou dix ans pour les Algériens et Tunisiens), sont souvent exclus du système scolaire. Ils peuvent parfois être victimes d’un refus de scolarisation illégal [2] ou de la saturation des dispositifs d’accueil spécifiques mais, le plus souvent, ils sont orientés vers des filières professionnelles en raison de leur méconnaissance du français ou de leur faible niveau scolaire. Or, ces filières leur restent inaccessibles du fait qu’ils ne peuvent obtenir d’autorisation de travailler. Le code du travail précise en effet qu’un étranger ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable une autorisation de travail. Cette obligation s’impose aux jeunes étrangers qui veulent travailler dès l’âge de seize ans. Elle s’impose aussi aux élèves qui veulent entrer en apprentissage ou signer un contrat de professionnalisation.

Car le contrat d’apprentissage est défini comme une forme particulière de contrat de travail, et l’apprenti est considéré comme exerçant une activité professionnelle nécessitant une autorisation de travail. Or, cette autorisation peut lui être refusée en raison de la situation de l’emploi, ce qui revient de facto à interdire aux jeunes étrangers n’entrant pas dans les cas de délivrance de plein droit d’un titre de séjour, l’accès à toutes les formations en apprentissage. Les orientations vers les classes d’initiation pré-professionnelle en alternance ou les classes préparatoires à l’apprentissage, si elles restent envisageables juridiquement parce qu’il n’y a pas de contrat de travail à signer, n’ont en réalité aucun sens dès lors que le jeune n’est pas en mesure de poursuivre ensuite par un apprentissage.

Le problème se pose dans des termes similaires pour les jeunes qui veulent souscrire un contrat de professionnalisation. Celui-ci remplace, depuis le 1er octobre 2004, les anciens contrats d’insertion en alternance (contrat de qualification, contrat d’adaptation et contrat d’orientation). Il s’adresse aux jeunes de seize à vingt cinq ans (et aussi aux demandeurs d’emploi plus âgés) et associe un enseignement dispensé par un organisme de formation et l’acquisition d’un savoir-faire par l’exercice d’une activité professionnelle en entreprise. Il s’agit donc d’un contrat de travail qui nécessite, là-aussi, l’obtention préalable d’une autorisation de travail.

Cette question se pose de façon exacerbée pour les mineurs étrangers isolés. Malgré les multiples difficultés rencontrées pour obtenir une pleine et entière application des textes, ces mineurs, ou au moins ceux dont on ne conteste pas l’âge et l’identité, finissent par être pris en charge dans le cadre de l’assistance éducative. Les plus « chanceux » obtiendront même d’être placés sous la tutelle des services de l’aide sociale à l’enfance.

Depuis la réforme du code civil introduite par la loi du 26 novembre 2003, les mineurs isolés ne peuvent plus obtenir la nationalité française par déclaration, à l’exception de ceux pris en charge avant leur quinzième anniversaire. Certains d’entre eux demandent l’asile – environ un millier par an – mais seul un tiers finit par obtenir le statut de réfugié. A défaut de droit au séjour clairement prévu par les textes, les jeunes qui ne peuvent prétendre ni à la nationalité française ni à une protection au titre de l’asile se heurtent à d’énormes obstacles pour obtenir un titre de séjour à dix-huit ans. Conséquence directe de cette absence de statut à leur majorité, ils ne peuvent pas non plus obtenir d’autorisation de travail pour entrer en apprentissage ou signer un contrat de professionnalisation.

On atteint là des sommets d’absurdité puisque ces enfants sont confiés par la justice (parquet, juge des enfants, juge des tutelles) à des services éducatifs qui ont justement pour mission de préparer leur insertion professionnelle !

Pointant cette aberration, un député de la majorité, Jean-Marie Rolland, a introduit, au cours du débat parlementaire sur la loi de programmation pour la cohésion sociale, un amendement instituant « un régime dérogatoire pour la délivrance d’une autorisation de travail préalablement à la conclusion de contrats en alternance avec les jeunes étrangers accueillis par les services de l’aide sociale à l’enfance ».

A l’occasion de la rédaction d’un rapport pour la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur la loi de finances pour 2005 [3], ce député a découvert les difficultés rencontrées par les mineurs isolés. Sur la question de la scolarisation et de l’accès à la formation professionnelle, il constate que « les handicaps linguistiques ou en termes de formation antérieure, ainsi que la nécessité pour les jeunes de gagner rapidement leur vie, conduisent cependant en général à des orientations vers les formations assez courtes, à des métiers manuels ou de service.  » Comme la signature d’un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation est impossible, ces jeunes sont dirigés vers « des dispositifs d’alternance gérés par l’éducation nationale et n’impliquant pas la signature d’un contrat de travail (par exemple, les classes d’insertion pré-professionnelle par alternance) ». Il relève toutefois que « même la scolarisation dans le cadre de l’éducation nationale ne va pas de soi : en l’absence d’obligation scolaire à partir de seize ans, l’éducation nationale n’est pas toujours empressée à prévoir des affectations  ». Enfin, il reconnaît que « les problèmes de définition et de suivi de parcours de formation sont aggravés par les incertitudes en matière de régularisation à dix-huit ans  ».

C’est fort de ce constat que M. Rolland a déposé son amendement. Réponse du gouvernement par la voix du secrétaire d’État à l’insertion professionnelle des jeunes : « Le Gouvernement comprend l’esprit généreux et républicain de cet amendement. Il souhaite seulement s’assurer que cette mesure sera réservée aux mineurs, car le libellé actuel de l’amendement ne permet pas d’avoir toute certitude sur ce point et peut être un risque d’incitation pour les filières clandestines de majeurs  ». Et comme de la générosité à la mesquinerie, il n’y a qu’un pas, le gouvernement déposera un sous-amendement réservant le bénéfice de cette disposition aux seuls mineurs pris en charge avant seize ans ! Sachant que la plus grande partie des mineurs isolés sont âgés de plus de seize ans lors de leur entrée sur le territoire et que ceux qui ont été pris charge par l’aide sociale à l’enfance avant leur quinzième anniversaire peuvent obtenir la nationalité française, le champ d’application de cette disposition se réduit donc à pas grand chose.

Les jeunes étrangers qui doivent effectuer des stages dans le cadre de leur scolarité rencontrent aussi des problèmes liés à leur situation administrative. La circulaire de l’éducation nationale du 20 mars 2002 [4], attribuant une partie de ces difficultés à une confusion entre la situation des jeunes sous statut scolaire et ceux titulaires d’un contrat d’apprentissage, a donc tenté de clarifier les différents statuts. Les élèves étrangers sous statut scolaire, quelle que soit leur situation administrative au regard du séjour, doivent pouvoir effectuer les stages et les périodes de formation prévus dans les programmes d’enseignement et, dans ce cas, « l’entreprise n’a pas à contrôler la régularité de leur situation au regard du séjour  ». Toutefois, dit la circulaire, pour ces derniers, le chef d’entreprise « est en droit de demander un titre de séjour régulier  ».

Cette affirmation est tout à fait contestable. Un employeur n’est tenu de vérifier qu’un étranger est titulaire d’une autorisation de travail, et n’a donc à demander le titre de séjour sur lequel cette autorisation figure, que lorsqu’il souhaite l’embaucher. Dans le cadre d’un stage sous statut scolaire qui ne nécessite pas d’autorisation de travail, on ne voit pas à quel titre un employeur pourrait exiger de l’élève-stagiaire majeur la présentation de son titre de séjour. En revanche, la circulaire considère que si le jeune majeur est titulaire d’une carte de séjour « étudiant » donc dépourvue d’autorisation de travail, il peut suivre un enseignement en alternance dans le cadre de la convention de stage qu’il a signée avec son établissement. Les modalités de la présence de l’élève, mineur ou majeur, dans l’entreprise d’accueil sont fixées par cette convention de stage. L’élève continue de relever, pendant la durée du stage, de l’autorité et de la responsabilité du chef d’établissement.

Prendre en compte l’intérêt du jeune

La situation est différente pour les étudiants qui accomplissent, au cours ou à la fin de leurs études, des stages pratiques dans des entreprises ou des établissements de soins dans le cadre de leur scolarité. Ils doivent solliciter une autorisation de travail qui, si elle est délivrée sans opposition de la situation de l’emploi, n’en est pas moins réservée aux jeunes majeurs titulaires d’une carte de séjour « étudiant ».

Ainsi, les différentes déclarations de principe sur le droit à la formation, notamment celles contenues dans le préambule de la Constitution ou dans la Convention internationale des droits de l’enfant ne semblent avoir aucun effet dès lors qu’il s’agit de jeunes étrangers. Il en est de même de l’objectif affiché par tous les gouvernements de ne laisser aucun jeune sortir du système scolaire sans formation.

Les mineurs étrangers qui tentent, après l’âge de seize ans, de demander une autorisation de travail pour pouvoir entamer une formation professionnelle se heurtent, le plus souvent, à une fin de non-recevoir de la part des préfectures. Certaines d’entre elles acceptent parfois d’en délivrer, notamment aux jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance qui ont un projet d’insertion professionnelle. Mais il s’agit toujours de décisions présentées comme exceptionnelles, qui restent à la discrétion de l’administration.

Si les tribunaux n’ont pas encore consacré un véritable droit à la formation professionnelle, il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de décisions prennent en compte l’intérêt du jeune. Ainsi, le Conseil d’État a ordonné la suspension d’un refus de séjour pris à l’encontre d’un jeune algérien au motif, notamment, qu’il le privait de la possibilité de conclure un contrat d’apprentissage. Il a en conséquence enjoint au préfet de délivrer une autorisation provisoire de travail. Dans une seconde décision, le Conseil d’État a ordonné à l’administration d’examiner les demandes d’autorisation de travail nécessaires à deux jeunes étudiantes pour souscrire un contrat d’apprentissage dans l’hôtellerie et la restauration, « eu égard […] à leur bonne insertion et à la nature de leurs projets  ».

Ces quelques avancées de la jurisprudence ne peuvent toutefois neutraliser la nocivité des textes. Priver des adolescents de toute perspective de formation professionnelle n’a aucun sens sauf à les considérer « en sursis » sur le territoire français, une mesure d’éloignement devant sanctionner définitivement la faute originelle de celui, parent ou proche, qui a cru bon de les faire venir en France. On leur fait ainsi payer une décision que d’autres ont prise pour eux. Cette logique d’acharnement doit céder le pas devant un intérêt supérieur, celui de laisser ces jeunes se construire un avenir en France. ;




Notes

[1Rapport 2001 de la défenseure des enfants http://www.defenseurdesenfants.fr/pdf/ rapport2001.pdf

[2Voir article p. 3.

[3Avis présenté au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi de finances pour 2005 (n° 1800), tome II, par M. Jean-Marie ROLLAND http:// www.assemblee-nationale.fr/12/budget/plf2005/ a1864-02.asp.

[4Circulaire n° 2002-063 du 20 mars 2002, publiée au B.O. n° 13 du 28/3/2002, http:// www.education.gouv.fr/bo/2002/special10/ default.htm.


Article extrait du n°64

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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