Article extrait du Plein droit n° 61, juin 2004
« Immigrés mode d’emploi »

Un des fondateurs du Gisti disparaît

Bernard pour le Gisti, Nicolas pour d’autres nous a quittés le vendredi 16 avril à l’âge de 93 ans. Bernard Rettenbach a été l’une des figures du Gisti.

En 1957, il est aumônier de la faculté de droit au centre Saint-Yves, 15 rue Gay Lussac, à Paris. Pour être plus près des étudiants, il s’inscrit à la fac de droit, passe la licence puis présente, en 1965, un diplôme d’études supérieures sur la conception de la démocratie selon le Club Jean Moulin. C’est ainsi qu’il établit des liens étroits avec ceux qui deviendront ses confrères juristes.

C’est donc tout naturellement qu’il est contacté par les fondateurs du Gisti pour participer à la création de l’association. Il n’hésite pas alors à prendre part à des manifestations où il distribue des tracts donnant les positions du Gisti sur la politique d’immigration de l’époque. Estimant que pour mieux diffuser ses analyses et nouer des contacts avec des associations locales, le Gisti doit avoir une existence légale et une adresse, il lui ouvre les portes du centre Saint-Yves où se tiendront les premières permanences. Comme tous les membres de l’époque, Bernard y prend son tour. Il participe activement aux réunions et activités de l’association dont il devient le secrétaire général. Il le restera de nombreuses années.

Au fil des années, Bernard était devenu un spécialiste du droit de la nationalité, et plus particulièrement de toutes les questions épineuses résultant de l’accès de l’Algérie à l’indépendance. Aussi, nous nous tournions régulièrement vers lui dès qu’une situation nous posait problème et nous avions alors en retour une consultation juridique extrêmement argumentée. Cette collaboration n’a jamais cessé puisqu’en 1999, alors qu’il envisageait de prendre sa retraite, il a tenu à nous préciser qu’il serait désormais plus disponible qu’auparavant.

A un âge où la plupart des gens se retirent de la vie active, Bernard a décidé de devenir avocat et a donc prêté serment le 31 janvier 1979 devant la cour d’appel de Paris. Il a alors rejoint un cabinet où exerçaient deux membres du Gisti. Samia et Régis nous racontent ici leur collaboration avec Bernard. Le frère Maurice Barth , lui, nous parle plus longuement de l’engagement de Nicolas.

Nicolas a été avocat comme il était : à l’écoute des autres, simple, discret, mais ô combien tenace et déterminé. Je me souviens de ces longs rendez-vous avec des travailleurs licenciés, des familles sans logement ou déchirées. Je me souviens de sa déconcertante témérité quand il plaidait en correctionnelle. Nicolas ne portait aucun jugement de valeur sur ceux qui se confiaient à lui. Il les défendait tout simplement parce qu’il les aimait... Je me souviens de sa joie, peut-être aussi de sa légitime fierté, quand il avait obtenu un titre de séjour pour un sans-papiers, ou la carte d’identité française injustement refusée. Dans ses dix dernières années d’exercice, ce fut son activité exclusive, en étroite collaboration avec le Gisti. Nicolas a connu les angoisses et les insomnies de l’avocat, l’anxiété de ne pas défendre assez bien. Mais, pendant toutes ces années, Nicolas a été heureux. Ce bonheur, nous l’avons partagé avec lui. Ce qui nous réunissait, au sein de notre cabinet à Nanterre, c’était ce choix de défense militante que nous avions fait. Ce fut aussi une immense affection.

Maître Samia Saïdi

Nicolas était en questionnement perpétuel sur l’homme et son devenir. Rien n’était étranger à cet homme de réflexion et de paix : bioéthique, science, morale et droit, restructurations industrielles avec leur cortège de chômeurs ou de travailleurs précarisés, sous-développement, ce qui n’était pas une notion abstraite et lointaine, mais une réalité d’ici même, ceux que l’on nomme « les immigrés ». Il ne lui suffisait pas de jeter un regard lucide sur notre difficulté à vivre ensemble et solidaires. Cette solidarité ne pouvait se payer de mots. Aussi est-ce par une authentique vocation, jumelle de sa foi religieuse, que Nicolas est devenu avocat, en 1979, après l’âge où d’autres prennent leur retraite. Nous qui avons eu cette chance d’œuvrer à ses côtés, dans ce monde judiciaire où se côtoient vérité et mensonge, nous pouvons témoigner que Nicolas avait l’humilité, pas celle qui déguise l’orgueil, l’humilité vraie, celle qui rend l’homme libre et lui donne force et conviction pour porter la parole au nom de ceux qui n’ont pas accès au droit. Particulièrement les immigrés, les réfugiés, les apatrides. Même après sa démission du barreau, en l’an 2000 – à laquelle seule la dégradation de sa santé l’a contraint, à sa désolation – il aura continué à leur prodiguer sa science de juriste avec une profonde compassion, pour ainsi dire jusqu’à son dernier souffle. De celui qui fut pour nous comme un parent, ce que nous garderons au plus profond de nos cœurs, c’est son sourire rayonnant, bon comme la bonté, avec une petite lueur d’ironie complice.

Maître Régis Waquet

Aumônier du Centre Saint-Yves des étudiants en droit, de 1957 à 1967, Bernard entreprit des études de droit afin de mieux s’intégrer à ce milieu et s’identifier aux préoccupations des étudiants d’alors : mais 68 n’était pas loin. Elu supérieur provincial en 1967, il garde des liens étroits avec ceux qui étaient devenus ses confrères juristes. En 1972, il participe étroitement, comme membre fondateur, à la création d’une association de soutien aux travailleurs immigrés victimes d’une loi discriminatoire : le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés – GISTI –, dont le siège social et une permanence sont installés dans les locaux même du Centre, rue Gay-Lussac. Il sera de nombreuses années secrétaire général de cette association composée d’étudiants de l’ENA, de la faculté de droit et de militants de diverses obédiences. Les fondateurs du Gisti estimant qu’il ne suffisait pas d’apporter une solution passagère aux problèmes des immigrés, veulent aborder la question à sa racine, avec une compétence juridique qui permette d’assurer efficacement la défense des étrangers « sans papiers ». Soucieux de participer de près à ce travail de réflexion, d’information et de démarches juridiquement fondées, Nicolas poursuit ses études de droit, tout en assumant sa charge de Provincial, considérant que la connaissance de cette discipline est un instrument indispensable à la mise en œuvre et la défense d’un Etat de droit. Il travaille spécialement sur le concept de nationalité. Les membres du Gisti lui doivent beaucoup ; il était devenu une référence. La première brochure du Gisti, sur le thème précisément de la nationalité, est le fruit de son travail. Jusqu’à ces tout derniers temps, Nicolas continuait à suivre les activités de l’association, à étudier des dossiers. Il a voulu participer au trentième anniversaire de la fondation célébrant « Trente ans de combat par le droit », en 2002. Par sa fonction de supérieur des Dominicains de la Province de France, charge qu’il assumera durant huit ans, il est amené à rendre visite à nos frères et sœurs présents dans les pays dits du tiers monde. C’est le choc. Comme tous ceux qui s’affrontent pour la première fois à la misère de ces populations, à l’injustice structurelle dont elles sont victimes, Nicolas est bouleversé : on ne revient pas indemne d’une telle rencontre ! Il saisit de manière concrète, brutale, les situations qui contraignent des millions d’hommes et de femmes à émigrer pour ne pas mourir de faim. Jusqu’à ces derniers jours, il suivait en particulier de très près les engagements de trois de nos frères, solidaires, au péril de leur vie, des luttes des paysans sans terre au Brésil : les frères Xavier Plassat, Jean Raguénès et Henri Burin des Roziers, ce dernier lui aussi avocat devant les juridictions brésiliennes, défenseur des petits paysans victimes des grands propriétaires et de leurs milices, dans le cadre de l’association Rio Maria et de la Commission pastorale de la terre. Bernard lisait régulièrement leurs rapports et participait à leur combat en adressant des pétitions aux autorités judiciaires du Brésil.

Frère Maurice Barth



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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:58
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