Édito extrait du Plein droit n° 56, mars 2003
« Les spoliés de la décolonisation »

Chantier de démolition

ÉDITO

Dans l’édito du précédent numéro de Plein Droit, nous refusions de nous réjouir trop vite des mesures annoncées dans les médias : réexamen de la situation des sans papiers, remise en cause de la double peine, « contrat d’intégration ». Nous attendions la suite. Elle est cinglante.

Premier acte  : le réexamen d’un certain nombre de dossiers de sans-papiers, qui devait être « bienveillant » et pratiqué « avec humanité ». Dans une première circulaire, parue le 19 décembre 2002, le ministre, sous couvert d’harmonisation, impose des exigences de preuve qui, appliquées à la lettre, pourraient bien rendre impossible – et non plus seulement difficile – la régularisation des étrangers résidant en France depuis plus de dix ans.

Le second acte s’est joué avec les discussions sur la loi de finances pour 2003. Le dispositif de protection sociale mis en place en 1999 – CMU et aide médicale État – a été gravement écorné, sans aucune réaction sérieuse de la part de l’ancienne majorité qui s’en prétendait pourtant si fière, mais qui n’a pas cru devoir pour autant saisir le Conseil constitutionnel. Rien n’y a fait, ni une pétition signée par plus de 15 000 professionnels de la santé, demandant au gouvernement de faire machine arrière, ni les considérations de santé publique, ni l’invocation, par le monde associatif, du caractère fondamental du droit d’accès aux soins.

Il faudrait être bien naïf pour croire que ces modifications n’ont obéi qu’à des préoccupations budgétaires. La « responsabilisation » des plus pauvres, la mise à l’écart du système de protection sociale des sans-papiers sont, bien sûr, une première étape dans l’abandon, à terme, du système de protection sociale pour tous, au profit de l’assurance privée.

La loi de sécurité intérieure (LSI) a constitué le troisième acte. Texte phare du nouveau pouvoir en place, cette loi n’a bien sûr pas omis les étrangers dans ses attaques généralisées contre les pauvres, les mendiants, les nomades, les prostitué(e) s, les jeunes (ceux « des cités », bien sûr). Envers les étrangers, la LSI prévoit des cas de retrait de cartes de séjour, des expulsions en cas d’infractions pénales, des mesures dérogatoires dans les DOM…

Le quatrième acte a débuté dans la discrétion. Un avant-projet de réforme de l’asile a été communiqué aux associations de la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA). Il est clair que si le texte devait être adopté en l’état, il en résulterait de profondes atteintes au droit de demander protection en France. L’asile « conventionnel », dont les demandeurs n’auraient plus le choix de demander le bénéfice, serait voué à dépérir au profit d’un statut précaire, octroyé au titre d’une protection subsidiaire aux contours mal définis.

S’inspirant des travaux menés à l’échelle de l’Union européenne, le gouvernement entend consacrer les notions de « pays sûrs » et d’« asile interne », moyens juridiques d’écarter d’office une très large part des demandeurs d’asile. Contrairement à ce qu’avait annoncé le président de la République, il n’est pas question d’apporter de nouvelles garanties procédurales aux demandeurs (entretien systématique, possibilité d’être assisté) mais de multiplier les procédures accélérées sans droit au séjour. La loi du 25 juillet 1952 sur l’asile risque, plus encore qu’aujourd’hui, de se transformer en une belle machine à fabriquer des sans-papiers, avec un projet qui préfigure, sans aucun doute, l’harmonisation par le bas concoctée actuellement dans les instances de l’Union européenne.

Le cinquième acte se joue au moment où nous mettons sous presse, et pour l’instant sans autre effet d’annonce que des fuites - organisées ? Il s’agit d’un avant-projet de réforme de l’ordonnance de 1945 sur l’entrée et le séjour des étrangers, texte auquel M. Sarkozy avait d’abord dit qu’il ne toucherait pas, mais que, finalement, il s’apprête à parsemer de modifications faites parfois d’un seul trait de plume ou de l’ajout de quelques mots, mais qui sont toutes lourdes de conséquences pour les intéressés.

En vrac : durée de rétention pouvant passer à soixante jours, délivrance de titres de séjour systématiquement temporaires pour les personnes rejoignant un parent dans le cadre du regroupement familial, et pour les étrangers résidant de fait sur le territoire depuis dix ans, délivrance d’un titre réservé à ceux qui y auraient des attaches familiales, régime étroitement encadré et restrictif d’attestations d’accueil pour les étrangers hébergeant des proches, attente de deux ans (au lieu d’un) après avoir épousé un(e) Français(e) pour se voir délivrer une carte de résident, lourdes sanctions pour les entreprises de transport qui auraient acheminé des personnes dépourvues de documents les autorisant à entrer sur le territoire, etc. Bien entendu, les personnes physiques ou morales aidant des étrangers en situation irrégulière seraient passibles de peines très lourdes. Associations « droit-de-l’hommistes » aussi ?

La promesse de revoir le mécanisme de la double peine semble, à la lecture de cet avant-projet de loi, bien dérisoire ; au moment où va être déposée par Etienne Pinte une proposition de loi tendant à y mettre fin pour certaines catégories d’étrangers, la nouvelle mouture de l’ordonnance multiplie les cas où une mesure d’éloignement pourrait être prise…

Le chantier des réformes touchant l’immigration et l’asile a plus que commencé. Bien loin de la politique « équilibrée » qui avait été annoncée, c’est d’un véritable chantier de démolition qu’il s’agit.



Article extrait du n°56

→ Commander la publication papier
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : vendredi 20 juillet 2018, 18:55
URL de cette page : www.gisti.org/article4210