Article extrait du Plein droit n° 53-54, juin 2002
« Immigration : trente ans de combat par le droit »
30 ans !
IL y a trente ans, le Gisti naissait dans la mouvance de mai 1968. Dans le même temps, les prémices de la fermeture des frontières à toute immigration nouvelle de travailleurs se faisaient clairement sentir avec les circulaires dites Fontanet-Marcellin (1972) qui mirent fin au temps de la régularisation. Les travailleurs entrés en dehors de la procédure d’introduction mise en place par l’ordonnance du 2 novembre 1945 ne pouvaient plus escompter obtenir des titres de séjour et de travail. Cette circulaire marque donc un retournement complet de la politique migratoire puisque, pour satisfaire les besoins en main d’œuvre de l’industrie, les candidats à l’immigration étaient officiellement encouragés à entrer en France en contournant les modes de recrutement légaux, leur régularisation intervenant a posteriori. Cette annonce provoqua alors les premières mobilisations de « sans papiers ».
Deux ans plus tard, était annoncée la fermeture des frontières et l’on entrait alors dans l’ère du contrôle des flux migratoires et de l’obsession de l’entrée de clandestins. Bien que l’échec de cette politique soit aujourd’hui patent et reconnu à demi-mot, notamment au moment des périodes de régularisation partielle, ce sont toujours ces objectifs qui sont au fondement des politiques actuelles, tant au niveau national qu’à celui de l’Union européenne. Ils ont conduit à la remise en cause de fait du droit d’asile et au maintien dans la clandestinité d’une partie toujours plus nombreuse et privée de droits de la population immigrée. Dans le même temps, la suspicion de fraude pesant sur les étrangers et, plus encore, la création du délit d’entrée et/ou de séjour irrégulier ont eu pour effet d’établir un lien indélébile entre immigration et délinquance.
Bien sûr, ces attaques récurrentes contre les droits des immigrés n’ont pas laissé sans réaction ceux qui étaient l’objet de ces politiques discriminatoires et régressives. Ce numéro ne prétend pourtant pas raconter et analyser l’histoire des luttes de l’immigration. Il cherche, plus modestement, à montrer comment le Gisti y a participé par ses actions judiciaires et ses engagements politiques. A y regarder de près, l’histoire de l’association se fond dans celle de la politique migratoire et, inévitablement, des luttes qui ont été menées pour tenter de faire évoluer le droit de l’immigration.
On connaît les combats judiciaires du Gisti et sa vigilance à dénoncer et à attaquer les textes qui méconnaissent en particulier les droits fondamentaux des étrangers. Il a, avec d’autres, réagi vivement aux constantes fluctuations de l’ordonnance du 2 novembre 1945 et aux pratiques restrictives, marquées par l’ombre du Front national à partir des élections municipales de 1983.
Comme le Gisti n’est pas une association de défense des étrangers (d’où son refus du « cas par cas » ou de l’humanitaire) mais a pour objet de lutter pour l’instauration d’une véritable égalité de droits entre Français et étrangers, on ne mesure pas toujours la place que l’association a occupée sur le terrain et en particulier dans certaines luttes ciblées et circonstancielles. En essayant de rester fidèle à son principe de respect de l’autonomie des luttes des immigrés, elle s’est investie, à sa manière et avec les compétences qu’elle se reconnaissait ou que l’on entendait lui reconnaître, dans la plupart des luttes de l’immigration de ces trente dernières années. Plein droit a choisi de donner la parole à ses membres les plus anciens pour nous parler de la lutte des foyers Sonacotra ou encore du travail du collectif SOS-refoulement que beaucoup d’entre nous ignorent.
Cette introspection historique permet, tout autant sinon mieux que l’évolution de la législation, de mettre en exergue les changements de la condition immigrée. Ceux-ci peuvent ainsi se lire au travers des problèmes abordés lors des permanences juridiques hebdomadaires organisées par le Gisti : aux questions liées au logement et à la condition salariale ont bien souvent succédé celles fondées sur la difficulté ou l’impossibilité de se maintenir légalement sur le territoire. Quelle meilleure illustration apporter à la dégradation continue de la situation des étrangers en France et à l’oubli progressif de principes dits fondamentaux !
Trente ans après sa création, les raisons d’être du Gisti n’ont donc malheureusement pas disparu. Ce travail sur la mémoire, commencé il y a quelques années, est essentiel afin de mieux appréhender les luttes présentes et à venir. Nous espérons qu’il s’enrichira de contributions ultérieures, notamment à propos de luttes dont le présent numéro ne rend pas directement compte. Des déboutés du droit d’asile aux sans-papiers de Saint-Bernard, ces moments de l’histoire de l’immigration posent en effet des questions importantes telles celles liées à la nature des relations que le monde associatif doit entretenir avec le pouvoir.
est en effet par la connais-C’sance de leur histoire que les associations de défense des droits des étrangers pourront forger les nouveaux instruments d’intervention leur permettant de s’approcher d’objectifs toujours réitérés mais qui du fait d’évolutions décennales ou plus récentes peuvent sembler de plus en plus oubliés des gouvernants et de l’immense majorité de la classe politique. Sans ce retour réflexif, il serait ainsi impossible de comprendre certaines évolutions du Gisti et notamment le fait que la défense de la liberté de circulation est aujourd’hui la seule façon d’apporter une réponse raisonnée et sereine à la question de l’immigration, qui soit conforme tant aux droits fondamentaux qu’à nos engagements internationaux.
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