Article extrait du Plein droit n° 25, juillet 1994
« La famille au ban de l’Europe »
L’OMI : mauvais élève du droit communautaire
Les Portugais...
La première affaire concernait des travailleurs portugais qui résidaient au Portugal (cjce 27 mars 1990, Rush Portuguesa c/ Office national d’immigration, aff. C-113/89, rec. p. I-1417). Leur employeur, une entreprise portugaise du secteur de la construction et des travaux publics, la société Rush Portuguesa Lda, concluait avec une société française un contrat de sous-traitance en vue de l’exécution de travaux pour la construction d’une ligne ferroviaire dans l’ouest de la France. Elle décidait donc de détacher une partie de son personnel sur le territoire français pour la durée des travaux concernés.
Les services d’inspection du travail français ont procédé à des contrôles sur le chantier et ont constaté que les salariés portugais n’étaient pas munis de l’autorisation de travail normalement attribuée par l’Office des migrations internationales et que leur employeur n’avait pas versé la redevance spéciale prévue par le code du travail.
Interrogée par le tribunal administratif de Versailles, la CJCE devait examiner la conformité de ces poursuites avec le droit communautaire et plus précisément les articles 48 et 59 du Traité CE, relatifs à la libre circulation des travailleurs et la libre prestation de services.
Pendant l’exécution des travaux litigieux en 1986, le Portugal, membre de la Communauté européenne depuis le 1er janvier 1986, ne recevait pas encore une application complète des règles communautaires. Pour certaines d’entre elles, une période de transition était prévue dans l’acte d’adhésion afin qu’elles soient introduites progressivement. Tel était le cas notamment de celles qui régissent la libre circulation des travailleurs. Les travailleurs portugais qui souhaitaient obtenir une première autorisation de travail restaient donc soumis dans un premier temps au droit commun de l’Etat d’accueil.
En revanche, les règles du Traité, relatives à la libre prestation de services, ne faisaient l’objet d’aucune période de transition et devaient être appliquées dès l’adhésion effective du Portugal à la Communauté, soit le 1er janvier 1986.
Selon la Cour de Luxembourg, les faits litigieux dont l’interprétation lui a été soumise relevaient du droit communautaire et les pratiques effectuées par les services administratifs français étaient illégales. En effet, la société Rush Portuguesa était un agent économique qui devait bénéficier des règles du Traité. En tant que prestataire de services, elle devait pouvoir satisfaire à la demande d’un destinataire de services établi sur le territoire d’un autre Etat membre de la Communauté, dans les mêmes conditions qu’une entreprise relevant de l’Etat d’accueil et sans souffrir de discrimination par rapport aux nationaux. Les travailleurs qu’elles mettaient à la disposition du destinataire de services constituaient un instrument de réalisation de la prestation du service contractuel. Exiger du prestataire de service que son personnel se soumette à des formalités d’embauche dans le pays d’accueil constituait un obstacle restrictif au libre exercice de la prestation de service, le discriminant par rapport à ses concurrents établis dans l’Etat membre d’accueil, qui peuvent se servir librement de leur propre personnel.
Dans la mesure où ces travailleurs sont détachés temporairement pour la durée de la prestation et qu’ils retournent après l’accomplissement de leur mission dans leur pays d’origine, ils n’accèdent à aucun moment au marché de l’emploi de l’Etat membre d’accueil et ne sont donc soumis au respect d’aucune formalité concernant l’embauche et l’obtention d’une autorisation de travail.
Suite à cet arrêt, l’administration française devait retenir une application restrictive de cette solution qui lui avait été imposée par le juge communautaire. Elle estimait en effet implicitement que la générosité de la Cour de Luxembourg manifestée à l’égard des salariés de la société Rush Portuguesa s’expliquait par le fait qu’il s’agissait de travailleurs portugais qui, de toute façon, devaient bénéficier à moyen terme d’une ouverture complète des frontières au sein de la Communauté européenne, c’est-à-dire à l’expiration de la période de transition prévue dans l’acte d’adhésion. Celle-ci a d’ailleurs ensuite été réduite et reportée du 31 décembre 1992 au 31 décembre 1991.
...puis les Marocains
C’est ainsi qu’elle s’est permise de renouveler ses contrôles à l’égard d’une société belge qui avait détaché, pour la durée d’un contrat exécuté pendant un mois en France, des travailleurs belges et marocains, pour des travaux de démolition et de récupération de matériaux (cjce 9 août 1994, vanderelst c/office des mirations internationales, aff. C-43/93, non publié). Les travailleurs marocains, légalement établis en Belgique, avaient pris la précaution de se munir d’un visa de court séjour auprès des autorités consulaires françaises mais ils n’avaient sollicité aucune autorisation de travail et n’avaient pas informé non plus l’Office des migrations Internationales. C’est ce qui amenait cet organisme à requérir auprès de l’employeur Vanderelst une contribution spéciale de 121 520 FF, réduite ensuite à 30 380 FF, après consultation du directeur départemental du travail et de l’emploi. Le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne saisissait la Cour de Luxembourg d’une question préjudicielle portant sur la conformité de ces poursuites avec le droit communautaire.
Dans cette affaire, le juge communautaire devait reprendre les mêmes solutions que celles qu’il avait développées dans l’arrêt rush portuguesa. Il confirmait ainsi que ce sont les employeurs, personnes morales, qui doivent jouir de la libre prestation de services sans subir de discrimination par rapport aux entreprises de l’Etat membre d’accueil et que le paiement d’une redevance ainsi que d’une forte amende administrative qui sanctionne le non-respect de cette obligation peuvent constituer des charges économiques substantielles pour les employeurs les plaçant dans une situation désavantageuse par rapport aux entreprises nationales de l’Etat d’accueil. Les travailleurs mis à la disposition du destinataire de services constituent un simple instrument de la prestation. Dès lors qu’ils retournent dans leur pays d’origine ou de résidence après l’accomplissement de leur mission, ils n’ont pas accès au marché de l’emploi du pays d’accueil et ne sont pas soumis à l’obligation de solliciter une autorisation de travail et ce, quel que soit l’Etat tiers dont ils sont ressortissants.
La Cour a ainsi répondu à la volonté de l’administration française - que celle-ci n’a d’ailleurs pas hésité à avouer publiquement - de limiter la portée de la solution de l’arrêt rush portuguesa aux seuls travailleurs qui relèvent d’Etats « demi-membres » de la Communauté.
Un droit au séjour consolidé
Dans ces affaires, la CJCE n’a pas statué sur la régularité du séjour des travailleurs qui ont incité l’administration française à déclencher des poursuites pour deux raisons : tout d’abord, parce qu’elle n’était pas liée par cette question dans le cadre des recours préjudiciels mis en oeuvre par les tribunaux nationaux, ensuite parce que le droit
communautaire ne règle pas la situation administrative des ressortissants de pays tiers au regard du séjour. Cependant, leur droit au séjour découle implicitement du droit au travail reconnu par le droit communautaire. Un refus de séjour serait de nature à anéantir les effets du droit au travail accordé en vertu du droit communautaire (voir en ce sens, arrêts sevince et kus, CJCE 20 septembre 1990, aff. C-192/89, rec. p. I-3461 et CJCE 16 décembre 1992, aff. C-237/91, rec. p. I-6807) et constituerait, pour l’entreprise bénéficiant de la libre prestation de services, un obstacle supplémentaire à l’exercice des droits reconnus par le Traité.
Les travailleurs ressortissants d’Etats tiers détachés par une entreprise relevant d’un Etat membre sur le territoire d’un autre Etat membre sont par conséquent assimilés, pour la durée de la prestation de services, aux travailleurs ressortissants d’un Etat membre de la Communauté et jouissent de droits identiques, en ce qui concerne le séjour (voir notamment, directive 73/148 du 21 mai 1973, JOCE L 172 du 28 juin 1973 et décret n°94-211 du 11 mars 1994) et la protection sociale (voir notamment règlement 1408/71/CEE modifié).
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