Article extrait du Plein droit n° 25, juillet 1994
« La famille au ban de l’Europe »

La conférence du Caire et les familles immigrées

Siavosh Ghazi

Journaliste

Le thème du droit au regroupement familial que les pays du Nord ne souhaitaient pas aborder, a été l’occasion d’un désaccord entre les États (du sud) qui revendiquent la reconnaissance d’un droit, et ceux (du nord) qui ne veulent aller au-delà de la simple proclamation d’un principe.

Le texte final ne parle en fin de compte ni de l’un ni de l’autre.

« Dix jours pour l’avortement, dix minutes sur le développement ». Si cette réaction d’un des responsables des organisations non gouvernementales (ONG) présentes au Caire résume assez bien le déroulement des travaux de la Conférence internationale sur la population et le développement qui s’est tenue du 5 au 13 septembre 1994 dans la capitale égyptienne, la question des migrations internationales et, en particulier, le « droit au regroupement familial » des immigrés en situation régulière, a néanmoins été l’un des sujets de discorde entre les pays d’accueil (en particulier occidentaux) et les États du sud. En effet, si dans le paragraphe 10.12 du chapitre X (consacré au migrations internationales) du projet de programme d’action de la Conférence du Caire, le « droit au regroupement familial », était bien mentionné, il avait été contesté par les pays du nord et mis entre crochets.

Dès les premiers jours de la Conférence, les représentants des pays membres de l’Union européenne (UE) ont fait savoir qu’il n’était pas question de faire mention du « droit » au regroupement familial. Ainsi Yves Berthelot, secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies avait d’ailleurs affirmé que « tout en restant attachés aux principes humanitaires qui foncent le droit d’asile, la réunification familiale (...), ils veulent contrôler leurs frontières et exercer le droit d’autoriser les entrées sur leur territoire ».

Un droit ou un principe ?

Dans un premier temps, plusieurs formules de compromis, proposant de remplacer le terme de « droit au regroupement familial » par celui du « droit des migrants à avoir une vie de famille » ou celui du « principe du regroupement familial » avaient été proposées.

En effet, les pays d’accueil du nord (les États européens mais aussi les pays d’Amérique du nord et l’Australie) ne voulaient pas que le regroupement familial soit reconnu comme un droit des immigrés en situation régulière, mais comme un simple principe dont l’application est sujette à la législation nationale de chaque pays. Pourtant, dans un premier temps, les États membres de l’Union européenne avaient fini par s’accorder sur le terme de « droit », en exigeant toutefois que son application soit soumise à la législation de chaque pays.

De leur côté, de nombreux pays du sud, notamment l’Algérie, la Tunisie et des pays d’Amérique latine ont tout d’abord refusé que le texte ne mentionne pas le « droit au regroupement familial », avant d’accepter dans un second temps le compromis agréé par les États de l’UE.

Ce sont les États-Unis, le Canada et l’Australie qui sont de nouveau montés au créneau pour s’opposer à l’évocation de tout « droit » en la matière. Selon un délégué européen à la Conférence, ces trois États, qui ont une politique de quotas en matière d’accueil des immigrés, refusent d’entendre parler de droit au regroupement et n’acceptent d’accueillir les immigrés que dans les limites des quotas fixés pour chaque pays. Les pays de l’Union européenne se sont très rapidement alignés sur cette position. Certains États du sud comme l’Iran ou la Côte d’Ivoire, qui ont eux-mêmes une forte population étrangère, se sont également rangés du côté des pays occidentaux pour refuser que le terme de « droit » ne figure dans le texte final.

Priorité aux lois nationales

Finalement, le texte adopté par les 182 pays présents au Caire ne mentionne ni le « droit » ni le « principe » du regroupement familial des immigrés en situation régulière. La formulation définitive souligne que « conformément à l’article 10 de la Convention sur les droits de l’enfant [qui reconnaît le droit des familles à vivre ensemble] et à tous les autres instruments des droits de l’homme reconnus universellement, tous les gouvernements, en particulier ceux des pays d’accueil, doivent reconnaître l’importance vitale du regroupement familial et favoriser son intégration dans leur législation nationale, de façon à garantir l’unité familiale des migrants en situation régulière ». Le mot « droit » a effectivement disparu, mais selon un délégué européen, « la référence à la Convention sur les droits de l’enfant et à d’autres textes internationaux est une expression forte ». Toutefois, la portée de cette formulation demeure singulièrement limitée dans la mesure où le paragraphe introductif du chapitre II (Principes) du document du Caire, rajouté à la dernière minute, affirme que « la mise en œuvre des recommandations contenues dans le programme d’action relève du droit souverain de chaque pays, en conformité avec les lois nationales... ».

Enfin, plusieurs pays ont demandé, lors de l’adoption finale du texte, qu’une conférence sur la question de la migration internationale soit organisée par les Nations unies dans les années à venir. Cette demande n’a pas été retenue par la conférence du Caire, mais figure bien dans le texte définitif en tant que simples observations exprimées par plusieurs délégués. Une suggestion qui permet à chacun de sauver la face.



Article extrait du n°25

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Dernier ajout : vendredi 23 mai 2014, 10:13
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