Édito extrait du Plein droit n° 97, juin 2013
« Les étrangers attendent la gauche »
Quel projet de loi ?
ÉDITO
Il était difficile, dans un numéro consacré à la relation compliquée entre la Gauche (de gouvernement) et l’immigration, de ne pas aborder la teneur principale et prévisible du prochain projet de loi consacré à l’immigration. Certes celui-ci n’a pas encore été déposé, et il ne saurait être question d’analyser un quelconque document de travail dont nous ne disposons pas, mais on peut toutefois se livrer à un premier commentaire. Ce projet devrait en effet suivre pour partie les lignes de force du rapport remis au Premier ministre le 14 mai 2013. Ce rapport, confié au député socialiste Matthias Fekl, est censé définir les modalités pratiques de l’engagement de campagne de François Hollande symbolisé par cette formule : lutter contre l’immigration illégale et sécuriser l’immigration légale. Le paradigme n’a pas changé, et repose toujours sur le principe de la fermeture des frontières. Il n’est d’ailleurs aucunement envisagé d’ouvrir les catégories de personnes pouvant accéder « de plein droit » à un titre de séjour.
Le rapport s’inscrit donc, sur ce point, dans la continuité de la politique française d’immigration, qu’elle soit le fait de la gauche ou de la droite. La fermeté dans la lutte contre l’immigration irrégulière et les filières doit accompagner l’accueil et l’intégration des étrangers ayant vocation à demeurer en France de manière plus ou moins durable. L’un va avec l’autre ; l’un ne va pas sans l’autre. On retrouve la rhétorique habituelle.
Regardons cependant de plus près ce qui est proposé. Le document s’organise autour de trois thèmes : la sécurisation des parcours des migrants par la délivrance d’un titre pluriannuel de séjour, l’amélioration de l’accueil en préfecture et le contrôle juridictionnel de la rétention et de l’éloignement. Seul le premier fera l’objet d’un modeste éclairage dans cet éditorial.
L’introduction d’un nouveau titre pluriannuel valant autorisation de séjour caractérisera sans aucun doute la future réforme. On ne peut que partager le constat opéré par l’auteur au soutien de sa création [1] : la durée trop courte des cartes de séjour actuellement délivrées pénalise les étrangers dans leur parcours d’intégration et contribue à la dégradation des conditions d’accueil dans les préfectures en renforçant l’engorgement des services. Selon le rapport, le système en place donne lieu à des vérifications de la part des autorités préfectorales à la fois trop nombreuses et inefficaces [2]. La proposition phare du document est de généraliser les titres pluriannuels, en les accordant à tous ceux et celles qui ont vocation à vivre durablement sur le sol national ; leur délivrance constituerait ainsi une étape de stabilisation avant de recevoir une carte de résident ou d’obtenir la nationalité française. Le dispositif devrait profiter autant à l’immigration estudiantine, qu’à l’immigration professionnelle ou familiale. La personne, qui entre en France sous couvert d’un visa long séjour valant titre de séjour (VLS-TS), se verrait délivrer au bout d’un an ce titre valable en principe quatre ans. La condition tenant aux efforts d’intégration ne disparaît pas. Elle sera revue dans le cadre de la refonte programmée du contrat d’accueil et d’intégration. Le rapport préconise de maintenir dans une situation administrative précaire – carte d’un an – celui ou celle qui n’aura pas rempli cette condition.
Faut-il saluer la généralisation proposée de ce titre pluriannuel de séjour ? Plusieurs niveaux de réponse peuvent être ici apportés. Pour les personnes directement concernées, il y a sans doute lieu de se réjouir : leur situation serait meilleure, plus confortable, moins stressante. Encore faut-il que l’administration joue le jeu, ce qui ne va pas de soi, les cartes de séjour temporaires ne disparaissant pas pour autant. Si on prend un peu de recul, la réforme apparaît bien timide au regard de la dégradation continue des droits des étrangers et des étrangères depuis plus de vingt ans. Plutôt que d’innover, on aurait pu revenir à davantage de générosité dans la délivrance de la carte de résident comme premier titre, aux catégories dites de plein droit d’autrefois. Mais ce temps semble révolu. Le rapport n’enterre pas cette carte cependant puisqu’il prévoit qu’à l’échéance du titre pluriannuel, l’accès à la carte de résident « devrait constituer le principe ». Le Ceseda serait modifié en ce sens en obligeant le préfet à l’accorder. Le rapport ne se montre pas très précis sur le sort des mentions apposées sur le titre : que vont-elles devenir ? Les cartes contiendront-elles par ailleurs des restrictions lorsqu’elles sont accordées dans un cadre professionnel ? Permettront-elles au contraire d’exercer n’importe quelle activité sur l’ensemble du territoire ?
Parmi les préconisations, la plus novatrice paraît celle liée au changement de statut : « dans l’objectif de rendre le nouveau titre pluriannuel véritablement attractif, il conviendrait de faire en sorte que les changements de statut n’obligent pas le ressortissant étranger à parcourir de nouveau toutes les étapes du parcours administratif ». Le rapport propose donc une disposition selon laquelle l’étranger présent en France avec un VLS-TS ou une carte de séjour temporaire (depuis au moins deux ans) « a vocation à accéder au nouveau titre de séjour pluriannuel valable quatre ans, même si le motif de son séjour change ». Un tel texte créerait une fluidité inattendue entre les statuts et permettrait à des étudiants d’en- trer sur le marché du travail à l’issue de leur formation ou encore à des commerçants de pouvoir exercer une activité salariée.
Pour l’heure, le gouvernement ne nous a pas habitués aux décisions et mesures audacieuses. Il est peu probable qu’il reprenne l’ensemble des propositions du rapport. Espérons toutefois que celui-ci ne finisse pas sa vie dans un placard mais que le gouvernement et le Parlement œuvreront de concert afin que ces quelques avancées soient consacrées dans une loi.
Notes
[1] Il existe déjà des titres pluriannuels tant pour les citoyens de l’Union européenne que pour les ressortissants issues de pays tiers, comme la carte « compétences et talents », le statut de travailleurs saisonniers ou en mission.
[2] Selon le rapport, le taux de refus de renouvellement des titres est évalué à moins de 1 % des demandes.
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