Édito extrait du Plein droit n° 94, octobre 2012
« L’étranger et ses juges »

Roms : brutale « humanité »*

ÉDITO

Pendant les seuls mois de juillet et août, cette année, deux à trois milliers de Roms ont été évacués des terrains qu’ils occupaient – un chiffre comparable à celui de l’été 2011 et nettement supérieur à celui de l’été 2010, à l’époque du sarkozysme : Saint-Étienne, Lyon, Lille, Marseille, Aix en Provence, La Courneuve, Stains, Vaulx-en-Velin, Évry, Saint-Priest… : la liste, non exhaustive, continue à s’allonger de jour en jour, malgré les belles promesses du gouvernement.

Aux violences contre les personnes et les biens s’ajoute le mépris de la loi : ainsi, à Évry, l’expulsion est intervenue sans décision judiciaire préalable et le juge a désavoué a posteriori l’initiative du préfet qui avait cru pouvoir anticiper une décision favorable. Les évacuations ne sont accompagnées d’aucune proposition d’hébergement alternatif, sinon, parfois, quelques hébergements d’urgence relevant du Samu social.

L’évacuation des campements débouche sur des mesures d’éloignement du territoire dans des conditions tout aussi illégales : des centaines d’obligations de quitter le territoire sont ainsi pré-remplies en préfecture avec comme motif : « l’intéressé ne peut justifier de ressources ou de moyens d’existence suffisants et se trouve en situation de complète dépendance par rapport au système d’assistance sociale »…. Les policiers qui procèdent à l’évacuation n’ont plus qu’à inscrire l’état civil de la personne contrôlée, comme s’ils avaient procédé à un examen effectif de sa situation personnelle, comme le prévoit la réglementation. Ces opérations policières effectuées en catimini ne laissent aucune chance aux personnes en situation régulière d’être identifiées et d’exposer leur situation, documents à l’appui. Le ministre de l’intérieur va répétant vouloir ajouter de l’humanité à la fermeté : expulser, oui, mais humainement. La réalité des chiffres et des actes dément cet équilibre affiché : l’humanité n’est que poudre aux yeux.

La circulaire interministérielle « relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites » signée le 22 août dernier, à l’issue d’une réunion simulacre de consultation des associations, illustre parfaitement cette stratégie qui soigne d’autant plus la forme qu’il s’agit de faire oublier le fond. Comme les déclarations d’intention qui l’ont précédée et accompagnée, elle pourrait faire illusion.

Mais à mieux y regarder, on s’aperçoit qu’à part le style rien ne change : ni les objectifs, ni les moyens d’action et encore moins les pratiques. Le diagnostic « global et individualisé  » préconisé par la circulaire en préalable à toute évacuation reste inexistant. Pas de quoi s’étonner puisque le texte prévient que ce diagnostic « pourra être plus ou moins complet en fonction du temps et des ressources disponibles ». La prise en charge « sans délai et avec un souci de continuité [des] enfants présents dans les campements » relève également de l’affichage puisque les évacuations remettent en cause tous les efforts de scolarisation, en atomisant, sinon en stoppant net, les parcours scolaires. Quant à favoriser l’accès à l’emploi, cet objectif restera illusoire aussi longtemps que cet accès sera subordonné à une procédure longue et dissuasive d’autorisation de travail. La circulaire prévoit de l’assouplir – à la marge – en augmentant la liste des métiers accessibles et en supprimant la taxe due par les employeurs. Mais le gouvernement se refuse à satisfaire l’une des principales revendications des associations qu’il dit vouloir écouter : aligner sans attendre le statut des Bulgares et Roumains, Roms ou non, sur celui des autres citoyens européens.

Les objectifs d’« humanité » assignés aux préfets par cette circulaire restent théoriques, faute de mesures et de moyens pour les atteindre concrètement. Comment prendre au sérieux la volonté déclarée d’« humanité dans la prise en charge des personnes roumaines et bulgares vivant sur des campements illicites » dès lors qu’on continue à procéder aux évacuations et aux destructions de biens sans avoir mis préalablement en place des dispositifs d’« humanisation » bien réels, par exemple en réquisitionnant des terrains du domaine public, en organisant la fourniture d’eau, l’accès à des toilettes et la gestion des déchets, en veillant au respect des obligations des collectivités en matière de scolarisation des enfants ?

S’ils ne s’attendaient pas à ce que l’arrivée d’un nouveau gouvernement se traduise par un retournement complet de la politique d’immigration, tous ceux qui défendent les droits de l’Homme espéraient malgré tout une rupture avec les pratiques les plus scandaleuses des gouvernements précédents. Or, rien ne change, pas même la brutalité.

*Ce texte est la reproduction d’un communiqué de presse du Gisti diffusé le 11 septembre dernier. Télécharger l’analyse juridique de la circulaire du 22 août 2012.



Article extrait du n°94

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Dernier ajout : lundi 7 avril 2014, 20:56
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