C. Ressources stables et suffisantes en France

1. Insuffisance

-*Préfecture d’Ille-et-Vilaine, 10 juillet 2015
Mme N.I. élève seule ses deux enfants de 8 ans et 4 ans. Elle doit de plus consacrer une attention particulière à son aîné qui a été diagnostiqué autiste. Depuis que celui-ci est scolarisé à temps plein, elle est parvenue à suivre une formation et à obtenir le diplôme d’aide soignante. Elle a enchaîné plusieurs CDD. Alors que la circulaire d’octobre 2012 précise bien que l’ensemble du parcours doit être prise en compte ainsi que la « persévérance » de la personne, sa demande est ajournée en raison du « caractère incomplet » de son insertion professionnelle qui fait qu’elle ne dispose pas de ressources suffisantes et stables.

-*L’Haÿ-les-Roses, sous-préfecture du Val-de-Marne, 25 avril 2012
Mme K a déposé une demande de réintégration dans la nationalité française. Le préfet prend une décision d’ajournement à deux ans au motif que, dans le cadre de son CDI, Mme K ne travaille "que" pour un volume horaire de trente heures par semaine, ce qui ne lui donne pas une autonomie matérielle suffisante. Or, ce travail apporte à Mme K les ressources qui lui permettent de subvenir à ses besoins tout en disposant de temps pour sa famille. Sa municipalité lui propose d’ailleurs un autre CDI à temps plein, comme assistante maternelle, à la condition qu’elle obtienne la nationalité française...

-* Bobigny, préfecture de Seine-Saint-Denis, 14 mars 2012
M. K, ressortissant marocain, est entré en France en 1968 et y réside avec son épouse, venue le rejoindre en 1973, et ses six enfants français. Le couple est propriétaire de son logement. Après toute sa carrière dans les travaux publics, M.K prend sa retraite en 2008. Il introduit une demande de naturalisation, ajournée par décision de la préfecture de la Seine-Saint-Denis le 14 mars 2012 au motif que « les revenus déclarés ces trois dernières années sont très faibles et ne vous permettent pas de subvenir durablement aux besoins du foyer ». L’intéressé percevait mensuellement en 2008 une retraite globale de 1257,41 euros qui s’élève en 2011 à 1301,55 euros. Tous ses enfants sont majeurs et indépendants financièrement, seule sa dernière fille, étudiante, est déclarée sur le foyer fiscal de ses parents mais est boursière. L’épouse de M. K perçoit également une retraite. M. K a introduit un recours hiérarchique contre cette décision auprès du ministre de l’intérieur. Il a reçu une suite favorable en octobre 2012.

-*Ministère de l’intérieur, sous-direction de l’accès à la nationalité française, 6 septembre 2011
T., jeune majeur, est arrivé en France à l’âge de six ans. Toute sa famille (ses parents et son frère) a été naturalisée grâce à l’effet collectif, mais lui est devenu majeur pendant le traitement de la demande, qui a duré plus d’un an. Il a donc été invité à redéposer sa demande indépendamment de celle de ses parents, et s’est vu ajourné à deux ans au motif que, étant étudiant, il ne subvenait pas à ses besoins. L’ajournement a été confirmé le 25 janvier 2012 après un recours gracieux, un recours contentieux est pendant devant le tribunal administratif.

-*Préfecture de Seine-Maritime, 4 février 2011, Sous-direction des naturalisations, 30 septembre 2011
Madame X et son époux ont déposé conjointement leurs demandes de naturalisation. Madame se voit refuser la naturalisation en raison de la précarité de ses revenus (elle a un contrat d’insertion en qualité d’agent hospitalier), alors que son mari, lui, est naturalisé. Ils sont pourtant entrés en France ensemble et sont mariés sous le régime de communauté de biens, ce qui implique que leurs ressources sont identiques. A la suite d’un recours hiérarchique la décision de rejet a été transformée en ajournement à deux ans.

2. Instabilité

-* Préfecture du Bas-Rhin, 21 décembre 2011 et Ministère de l’intérieur, 9 mai 2012
Mme S.R. est une jeune étudiante en philosophie qui a été prise en charge par l’ASE depuis l’âge de six ans et jusqu’à sa majorité (elle aurait donc pu obtenir la nationalité française pendant sa minorité mais les indications erronées fournies par l’administration l’ont découragée de poursuivre ses démarches). Sa demande de naturalisation est ajournée à deux ans pour défaut d’« autonomie matérielle pérenne ». Or, elle parvient à subvenir à ses besoins et à financer ses études de manière autonome depuis qu’elle est majeure, grâce à une bourse et à un poste d’assistante d’éducation au sein d’un lycée, puis d’un contrat à durée indéterminée en qualité de vendeuse. Bien que cette décision aille à l’encontre des préconisations de la circulaire Valls du 16 décembre 2012 concernant les demandeurs de moins de 25 ans scolarisés depuis cinq ans en France et résidant depuis plus de dix ans sur le territoire, la sous-direction de l’accès à la nationalité française a confirmé la décision : le fait d’être une bonne étudiante, capable de financer ses études par soi-même, ne suffit pas à attester d’un « potentiel manifeste d’employabilité », pour reprendre les termes de la circulaire ministérielle.
L’intéressée a déposé un recours devant le tribunal administratif de Nantes. Dans son mémoire en défense le ministre fait valoir que son activité professionnelle reste accessoire à son activité principale d’étudiante et que ses revenus restent insuffisants pour caractériser une autonomie financière durable.

-* Préfecture de police de Paris, 11 juin 2012
M. H., ressortissant algérien, est entré en France en 2006 afin d’y poursuivre ses études et a obtenu en 2007, un Master en informatique. Son épouse est ressortissante française et le couple a donné naissance à un enfant âgé de neuf mois. Depuis janvier 2008, M. H. travaille sans interruption en CDI et séjourne en France sous couvert d’un certificat de résidence de 10 ans. L’intéressé a d’abord exercé sa profession au sein de la société Open S.A.S. et percevait alors un salaire net de 2135 euros avant d’accepter, en mars dernier, un autre CDI au sein de la société ASSA Associates. Il perçoit alors un revenu net mensuel s’élevant à 3048,64 euros.
A sa demande de naturalisation, la préfecture répond par un ajournement à deux ans permettant d’apprécier la stabilité de l’établissement de M. H., notamment sur le plan professionnel puisqu’il vient de signer un nouveau CDI le 1er mars 2012.
M. H a introduit un recours hiérarchique le 20 juin 2012.

  • Préfecture des Hauts-de-Seine, 7 juin 2012
    Mme O. F., ressortissante ukrainienne, est entrée en France en 2006 pour y suivre des études qu’elle a accomplies avec succès. Mme O. F. a signé un contrat à durée indéterminée le 25 juillet 2011 et perçoit un revenu net mensuel de 1804 euros. Elle dépose le 16 mars 2012 une demande de naturalisation auprès de la préfecture des Hauts de Seine.
    Dès le 7 juin 2012, les services préfectoraux des Hauts-de-Seine lui notifient une décision d’ajournement à deux ans, motivée par la nécessité d’apprécier la pérennité de l’insertion professionnelle de l’intéressée puisque que son CDI n’a été signé qu’en juillet 2011.
    Mme O.F. a introduit un recours hiérarchique qui a reçu une suite favorable en août 2012.

-*Préfecture du Val d’Oise, 7 mai 2012
La demande de Mlle S. est ajournée à deux ans en mai 2012, pour absence d’« autonomie matérielle pérenne ». La sous-direction de l’accès à la nationalité a considéré que la situation de cette jeune femme, qui est en CDI depuis plus d’un an au moment où intervient la décision, « ne permet pas d’apprécier la pérennité de son insertion professionnelle ».

-*Préfecture de la Sarthe, 27 mars 2012
Toute la famille de Mme B, arrivée en France à l’âge de un mois, est française : elle ne doit sa nationalité étrangère qu’à sa naissance hors de France, lors de vacances prises par ses parents, ses frères et sœurs ayant tous la nationalité française par leur naissance en France. Mme B est salariée en CDI depuis six semaines, à 120 heures par mois. Elle vit avec son compagnon avec lequel elle partage loyer et dépenses courantes. Sa demande de naturalisation estajournée à deux ans, la préfecture considérant que le contrat de travail de Mme B. ne prouve pas son « autonomie matérielle pérenne ».

-*Préfecture de Seine-Maritime, 20 juillet 2011
Un réfugié rwandais, en France depuis 7 ans, a obtenu son diplôme d’état d’assistant social et travaille en tant que contractuel au département de Seine-Maritime depuis 3 ans. Son employeur étant prêt à le titulariser, il demande donc la naturalisation entre autres pour cette raison. Sa demande est ajournée à deux ans, la préfecture considérant ses revenus insuffisamment stables, alors que l’absence de nationalité est le seul frein à son embauche en CDI et sa titularisation… Sur recours hiérarchique et après intervention du président du département, le ministère de l’intérieur a rapporté cette décision d’ajournement.

3. Origine

-*Muret, sous-préfecture de Haute-Garonne, 5 septembre 2011
C. est réfugiée. Sa demande a été ajournée au motif d’un manque d’autonomie matérielle, car ses ressources proviennent des allocations familiales. Cela alors qu’elle est en CDI à temps complet depuis 2008 ; ses allocations lui sont versées parce qu’elle s’est trouvée deux fois de suite enceinte puis en congé maternité et en congé parental. Un recours hiérarchique a été introduit, son dossier est rouvert, les autorités souhaitant examiner les revenus de son compagnon récemment régularisé.

-*Torcy, préfecture de Seine-et-Marne, 2012
Un homme est ajourné à deux ans au motif que ses ressources proviennent des allocations chômage. Entré régulièrement en France en 2002 par un contrat d’introduction de travailleur, il est titulaire d’une carte de résident et a travaillé de manière continue de 2002 à 2011 en tant que cadre supérieur chez le même employeur. Licencié en 2011 pour motif économique, il est propriétaire de son logement.

4. Le cas des personnes handicapées

CE, 11 mai 2016, 2è espèce

-*CE, 11 mai 2016 (2)
Une personne de nationalité algérienne dont les ressources étaient constituées de la seule AAH et à qui avait été reconnu un taux d’incapacité de plus de 80%, avait vu sa demande de réintégration dans la nationalité française ajournée à deux ans. Le tribunal administratif de Nantes avait annulé la décision mais la cour administrative d’appel avait donné raison au ministre. Le Conseil d’Etat casse l’arrêt pour erreur de droit, car l’administration ne peut se fonder ni sur l’existence d’une maladie ou d’un handicap ni sur le fait que les ressources dont dispose l’intéressé ont le caractère d’une allocation accordée en compensation d’un handicap pour rejeter une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française. Ceci revient en effet à priver de toute possibilité d’accéder à la nationalité français des personnes qui ne disposent pas d’autres ressources que d’allocations liées à leur handicap.

CE, 11 mai 2016, 1è espèce

-*CE, 11 mai 2016 (1)
Deux personnes de nationalité marocaine dont les ressources étaient exclusivement constituées de l’AAH et d’aides au logement avaient vu leur demande de naturalisation rejetée. Le tribunal administratif de Nantes avait annulé la décision, mais la cour administrative d’appel avait donné raison au ministre, estimant qu’il avait pu, sans illégalité, opposer aux intéressés la nature de leurs ressources. Le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la cour pour erreur de droit, car une telle position a pour effet de priver de toute possibilité d’accéder à la nationalité française les personnes qui ne disposent pas d’autres ressources que des allocations liées à leur handicap. Or l’administration ne peut, dit-il, se fonder exclusivement ni sur l’existence d’une maladie ou d’un handicap ni sur le fait que les ressources dont dispose l’intéressé ont le caractère d’allocations accordées en compensation d’un handicap, pour rejeter une demande de naturalisation.

CAA Nantes 15-3-16

-*CAA Nantes 15 mars 2016
Mme A., de nationalité marocaine, bénéficiaire de l’AAH, voit sa demande de naturalisation ajournée à deux ans au motif de ce que la précarité de sa situation de demandeur d’emploi ne lui permettrait pas de disposer de revenus suffisamment stables pour subvenir durablement à ses besoins. Sa situation de handicap n’est donc pas prise en considération, non plus le fait qu’elle dispose de son logement et que ses enfants lui viennent en aide. Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel de Nantes rejettent son recours, le ministre n’ayant pas commis à leurs yeux d’erreur manifeste d’appréciation

CAA Nantes 10-11-15

-*CAA Nantes, 10 novembre 2015
M. A. qui présente un taux d’incapacité égal ou supérieur à 80 % et dont les ressources ne sont constituées que de l’AAH, du complément de ressources AAH et de l’allocation de logement, voit sa demande de naturalisation ajournée à deux ans. Le ministre relève que, si l’intéressé a obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé par la maison départementale des personnes handicapées, il a cependant été reconnu apte à exercer une activité professionnelle compatible avec son handicap par décision du 12 octobre 2010. Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel rejettent le recours de l’intéressé en relevant que l’intéressé n’établit pas qu’il serait, ainsi qu’il le soutient, inapte à l’exercice de toute activité professionnelle du fait de son handicap et que, dans ces conditions, le ministre, eu égard au large pouvoir dont il dispose pour apprécier l’opportunité d’accorder ou non la nationalité française à l’étranger qui la sollicite, n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

Décision préfecture
TA Nantes

-*Préfecture des Hauts-de Seine, 4 novembre 2011 et TA Nantes 30 avril 2015
M. G.B. est apatride et reconnu invalide depuis 2002 à plus de 80%. Sa demande est rejetée par la préfecture au double motif que son intégration professionnelle n’est pas satisfaisante et que ses motivations pour devenir Français ne permettent pas de démontrer l’adhésion aux valeurs de la République. Monsieur A. aurait en effet comme « motivation essentielle de pouvoir retourner dans son pays d’origine pour y retrouver ses proches ». Le tribunal administratif estime ce dernier motif entaché d’erreur de fait, d’autant que le postulant vit depuis plus de vingt ans avec une compagne de nationalité française avec laquelle il est marié. En revanche, le tribunal valide le motif tiré de l’absence d’intégration professionnelle et estime que le ministre n’a pas entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation. Le fait que l’intéressé soit apatride n’est même pas pris en compte.

CAA Nantes 30-12-14

-*CAA Nantes, 30 décembre 2014
M. B., de nationalité algérienne, a vu sa demande de réintégration ajournée à deux ans au motif qu’il ne dispose pas de revenus personnels et ne subvient à ses besoins qu’à l’aide de prestations sociales. La décision est annulée par le tribunal administratif de Nantes. Mais la cour administrative d’appel entérine la décision ministérielle : alors même que lui a été reconnu un taux d’incapacité égal ou supérieur à 80 % et un taux de capacité de travail inférieur à 5 %, le ministre, qui n’a pas opposé au requérant son absence d’activité professionnelle mais seulement l’insuffisance des ressources, n’a commis ni erreur de droit ni erreur manifeste d’appréciation.

CAA Nantes, 14-2-14

-*CAA Nantes, 14 février 2014
M. C. à qui un taux d’incapacité de 80 % a été reconnu, incapacité qui le rend inapte à l’exercice d’un emploi salarié et lui a ouvert droit à une pension d’invalidité, a vu sa demande de réintégration ajournée à deux ans au motif qu’il n’avait pas de ressources personnelles suffisantes lui assurant une autonomie matérielle et ne subvenait à ses besoins, pour l’essentiel, qu’à l’aide de prestations sociales. Le tribunal administratif puis la Cour administrative d’appel de Nantes entérinent la décision ministérielle qui n’est entachée à leurs yeux ni d’erreur de droit, ni d’erreur manifeste d’appréciation, ni de discrimination, dès lors que le ministre n’a pas fondé sa décision sur l’état de santé du demandeur.


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Dernier ajout : vendredi 20 mai 2016, 15:16
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