Le 12 février 2008, au petit matin, 400 policiers entrent dans un foyer du XIIIe arrondissement de la capitale, où sont logés principalement des ressortissants maliens. L’irruption dans les locaux est d’une grande brutalité. Le bureau du directeur est fouillé, les dossiers des résidents sont embarqués. Aux étages, les chambres sont saccagées ; les portes sont parfois enfoncées à coups de bélier. Plus d’une centaine de personnes sont interpellées.
En même temps, une dépêche de l’AFP indique que la police a agi sur commission rogatoire d’un juge parisien au motif principal que les travailleurs étaient hébergés dans des conditions indignes. Ainsi, la police est intervenue pour leur bien dans cet endroit insalubre où des compatriotes abusent de leur vulnérabilité en leur soutirant beaucoup d’argent. C’est sous cet angle d’abord que la procédure sera présentée aux médias. Les 107 Maliens arrêtés pour séjour irrégulier font l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière et placés dans la foulée en rétention.
Jeudi 21 février. Palais de justice de Paris, 9 heures. La salle pour « les 35 bis » – on continue à appeler ainsi cette procédure qui consiste à confier le soin à un juge, celui des libertés et de la détention (JLD), de décider de la prolongation ou non du placement en rétention administrative – est pleine. Des résidents racontent : l’un, parti travailler, n’a pas pu de suite retrouver ses affaires, notamment 3000 € servant à financer des actions au Mali ; un autre parle de bracelets avec des numéros accrochés aux poignets de ceux qui ont été découverts sans papiers ; un troisième dénonce la complicité probable du gérant du foyer. Ils contestent l’insalubrité prétendue du foyer, réhabilité en 2001. Ils sont sous le choc.
Les avocats s’affolent dans leur coin puis travaillent ensemble pour soulever la nullité de la procédure. Le juge d’instruction a été saisi pour des infractions liées à la législation sur les étrangers (séjour irrégulier, aide au séjour irrégulier), pour faux et usage de faux et pour délit d’atteinte à la dignité de personnes dépendantes. Il a pris une commission rogatoire à l’objet particulièrement large, véritable blancseing donné à la police pour pénétrer dans le foyer et y faire… ce qu’elle veut. Mais, surtout, les faits révèlent qu’il n’y a jamais eu intention d’engager des poursuites pénales, juste d’arrêter des sans-papiers et de prendre à leur encontre des arrêtés de reconduite à la frontière. Bref, on a utilisé une compétence, celle du magistrat instructeur, et une procédure, de nature pénale, pour mener une opération de police administrative. L’enjeu est donc de taille pour les avocats : parvenir à démontrer l’illégalité de cette procédure, certes pour obtenir la remise en liberté des étrangers retenus, mais surtout pour empêcher que des opérations de ce type puissent à nouveau avoir lieu.
14 heures. Dans la « grande salle », l’audience commence. Le JLD rappelle son rôle, celui d’examiner la procédure d’interpellation et de garde à vue et de statuer sur la prolongation du placement en rétention (au vu des garanties de représentation de l’étranger). Côté avocats de la préfecture, c’est le « patron » qui s’occupera de la première affaire. Tout le monde a compris l’importance de ce premier dossier ; la salle est donc silencieuse. Seule une poignée de personnes assises au fond de la salle commentent un peu fort les arguments développés devant le juge. Ce dernier se retire pour délibérer, en même temps que l’autre magistrat statuant à l’écart dans une salle plus petite. 80 dossiers sont prévus au programme de la journée (et de la nuit).
L’attente est longue. On com prend que « ceux du fond » sont des policiers des renseignements généraux. Ils prennent des notes et discutent de la procédure utilisée. Dans la petite salle, le JLD est revenu. Une avocate vient donner des nouvelles : la procédure a été annulée… mais sur un point technique qui ne pourra pas être invoqué pareillement dans tous les dossiers. Les avocats de la préfecture s’activent, ont la mine triste. Du coup, le public croit à la remise en liberté des personnes. Surtout qu’à Melun et à Rouen, les procédures ont été annulées. On sait toutefois déjà que ce n’est pas sur le point central : le détournement de procédure. Pourtant « les 9 » poursuivis pour aide au séjour irrégulier et atteinte à la dignité ont été libérés en raison de l’absence de charges pesant sur eux. C’est bien la preuve que… Le temps qui s’écoule tend à réduire cet optimisme.
17 h 40. Le JLD revient. Il rappelle qu’il ne peut statuer sur la situation personnelle des personnes, comme pour s’excuser de la décision qu’il va rendre. Il est aisé de comprendre que l’utilisation de la commission rogatoire pour aller arrêter des sans-papiers dans un foyer ne sera pas remise en cause. « L’exception de nullité de la procédure est rejetée » ; « la prolongation de la rétention administrative est ordonnée ». La salle est demeurée muette. Juste une petite voix : « Tout ce temps de délibéré pour ça ! »
Certes, et c’est tant mieux, des étrangers auront été remis en liberté et des arrêtés de reconduite à la frontière annulés par le juge administratif, mais le détournement de procédure, lui, n’a pas été reconnu par la justice, pourtant instrumentalisée dans cette affaire. À moins que la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, trouve matière à redire.
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