Édito extrait du Plein droit n° 115, décembre 2017
« Villes et hospitalités »

Mais qu’est allé faire l’Ofpra au Tchad ?

ÉDITO

Fin octobre, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a délégué au Tchad une mission pour identifier des personnes réfugiées, « conformément aux engagements pris par la France ces derniers mois », a indiqué son directeur. En quatre jours, six fonctionnaires de l’Office ont auditionné 240 Soudanais et Centrafricains « pour vérifier qu’ils remplissent les conditions d’octroi de l’asile ».

Pour Pascal Brice, directeur de l’Ofpra, c’est une première : « Nous inventons là un dispositif qui a le double but d’offrir l’asile en France à des Africains qui en ont besoin et de montrer qu’il n’est pas utile de prendre la mer puisqu’une voie légale fonctionne. » Cette « invention » ressemble pourtant fort à la procédure de réinstallation qui existe depuis la création du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au début des années 1950. Elle consiste à transférer des personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale, installées dans des pays de premier accueil (le plus souvent dans des camps), vers des pays à même de leur offrir un meilleur avenir. Cette « solution durable » en termes de protection pour les réfugiés présente également l’avantage pour les pays riches d’apparaître comme solidaires des pays les plus démunis, qui – c’est bien connu – accueillent en pratique l’essentiel des réfugiés à l’échelle mondiale : dix de ceux qui représentent moins de 2,5 % du PIB mondial accueillent 56 % des réfugiés de la planète, quand les six pays les plus riches (États-Unis, France, Allemagne, Royaume-Uni, Chine et Japon) n’en reçoivent que 9 %. En 2017, moins de 100 000 places de réinstallation ont été proposées par les 37 pays qui participent aux programmes de réinstallation du HCR, soit moins de 10 % des besoins recensés. Quant à la France, son offre s’élève, depuis 2008, à cent dossiers par an…

Outre ce quota ridicule, la France s’est impliquée depuis 2015 dans les programmes exceptionnels de réinstallation proposés par la Commission européenne pour faire face à la « crise migratoire » : en deux ans, elle s’est engagée à accueillir 10 000 personnes en provenance du Liban et de Jordanie, puis de Turquie après la signature de l’accord conclu avec l’UE en 2016. En octobre 2017, le président de la République a annoncé que s’y ajouteraient, d’ici 2019, 3 000 exilés actuellement en Afrique. C’est dans ce cadre qu’a été organisée la mission de l’Ofpra au Tchad, après l’annonce par Emmanuel Macron, en juillet, de sa volonté de pré-traiter les demandes d’asile dans des hotspots au Niger, au Tchad et en Libye – avant de faire marche arrière pour la Libye, imprudemment ciblée – puis de la tenue d’un mini-sommet à Paris, au mois d’août, avec les représentants de ces pays pour qu’ils s’engagent à un meilleur contrôle de leurs frontières. Cette initiative soulève plusieurs questions.

S’il s’agit de répondre aux appels du HCR qui souhaite réinstaller en Europe « 40 000 migrants issus de pays qui alimentent la route de la Méditerranée centrale », pourquoi ne pas confier à l’agence onusienne le soin de sélectionner celles et ceux dont le départ est jugé prioritaire, éventuellement sur la base de critères définis en concertation avec la France, comme cela se passe au Liban ? On nous explique que l’Ofpra a examiné les dossiers de personnes présélectionnées sur des « listes fermées » du HCR, autrement dit placées sous sa protection à l’issue d’une procédure conduite par ses soins, parfois depuis plusieurs années. Si c’est le cas, quelle est la valeur ajoutée d’un entretien individuel avec des officiers de protection ? À quoi bon cette procédure, puisque, selon le guide de la réinstallation du HCR, les personnes placées « sous mandat » du HCR obtiennent « automatiquement et rapidement le transfert de leur statut » [1] par l’Ofpra en France ?

Si, au contraire, les auditions menées par l’Ofpra à N’Djamena, dont on nous dit qu’elles sont destinées à vérifier que les situations « relèvent bien du droit d’asile », constituent des préexamens de demande d’asile, la présence de ses fonctionnaires a tout du piège juridique : la procédure ne prévoit pas de recours pour les personnes qui se verraient refuser l’admission dans un programme de réinstallation français [2]. Pour elles, pas d’avocat, pas d’assistance d’un tiers à l’entretien, pas de Cour nationale du droit d’asile. En délocalisant l’Ofpra, la France exporte les apparences d’une procédure de demande d’asile, voies de recours et moyens de défense en moins.

L’avenir permettra d’évaluer les effets de cette procédure « inventive ». D’abord quantitativement : au début du mois d’octobre, un représentant du HCR déplorait l’écart entre les engagements pris par la France et l’arrivée des réfugiés : sur les 10 000 réinstallations promises, moins de 3 000 avaient été réalisées [3]. Politiquement ensuite ; car la mission de l’Ofpra en Afrique sahélienne, annoncée à grand renfort de publicité, pourrait n’être que la facette « généreuse » d’une vaste politique d’externalisation des contrôles et de tri, appuyée par l’UE, dont les personnes en transit dans ces pays risquent de faire les frais : Federica Mogherini, haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, n’a-t-elle pas déclaré, pour justifier la politique africaine de l’UE en matière de migration, que les exilés (africains) bloqués en Libye n’étaient pas des demandeurs d’asile légitimes ?




Notes

[2Ibid.

[3Les programmes de réinstallation et d’admission humanitaire en France et dans l’UE, Actes de la 9e conférence nationale du Point de contact français du Réseau européen des migrations (REM), 6 octobre 2017.


Article extrait du n°115

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Dernier ajout : jeudi 25 avril 2019, 13:02
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